L'infirmière Libérale Magazine n° 269 du 01/04/2011

 

RISQUES PROFESSIONNELS

L’exercice au quotidien

Un jour, Marie, infirmière libérale dans le Loiret, reçoit par SMS une demande en mariage de la part d’un patient régulier. Comment décliner une proposition émanant d’un homme fragilisé par la maladie ?

« Pendant un an, de 2005 à 2006, j’ai été remplaçante à Orléans, en binôme avec une collègue. À l’époque, j’avais 30 ans et j’étais célibataire. Nous comptions parmi nos patients monsieur S., la quarantaine, qui était atteint d’un cancer de la sphère ORL. Ayant subi une chirurgie lourde, il ne pouvait plus s’alimenter normalement. Nous passions le voir à tour de rôle pour la nutrition parentérale. D’habitude, je veille toujours à garder des relations très professionnelles avec mes patients, en respectant le vouvoiement, en n’abordant pas de sujets personnels… Mais il est difficile de rester totalement hermétique lorsque l’on voit un patient une heure par jour pendant des mois !

Le dimanche, lorsque j’avais un peu plus de temps, il m’offrait un café et parfois un croissant. Cet homme divorcé semblait assez seul, il avait peu de visites. Et puis il se savait condamné par la maladie…

Fin mai 2006, je lui ai annoncé que c’était mon dernier passage : j’avais décidé d’arrêter les remplacements et d’acheter une clientèle à la campagne. C’était un dimanche matin. Dans l’après-midi, il m’a envoyé un long SMS pour me dire qu’il était heureux d’avoir fait ma connaissance… et me proposer sérieusement de l’épouser – même s’il s’attendait à une réponse négative. J’ai été totalement stupéfaite. Je ne m’y attendais pas. Pour moi, monsieurS. était un patient agréable mais il ne me plaisait pas particulièrement. Mais comment le lui dire ? J’avais peur que mon refus ne le fragilise encore davantage dans sa maladie.

Au bout de deux heures, et après avoir pris les conseils de ma collègue, je lui ai finalement envoyé un message disant, en substance, que j’avais aussi apprécié le lien qui s’était tissé entre nous, mais que mon chemin se ferait sans lui, pour des raisons qui m’étaient propres. Nous nous sommes revus le soir-même : ma collègue devant s’absenter, j’ai dû passer brancher sa perfusion. Monsieur S. n’était pas accablé, mais plutôt gêné. Évidemment pas autant que moi ! Il m’a avoué avoir été soulagé d’avoir fait cette déclaration. Par la suite, j’ai continué à prendre de ses nouvelles. Puis son état s’est aggravé et je lui rendais visite à l’hôpital pendant l’été. Il est décédé en septembre et je suis allée à ses obsèques. Je me suis demandé si je n’avais pas suffisamment posé les limites pour éviter ce genre de situation… Mais je ne pense pas. »

Avis de l’expert

Un cas d’école à enseigner aux étudiants !

Louis-Antoine Alric, psychologue et psychanalyste

« Cette histoire est un cas d’école à enseigner aux élèves d’Ifsi sur le thème de la distance professionnelle ! Même si le cadre est bien posé, cela n’empêche pas que le soigné, en l’occurrence – parfois, ce peut être le soignant –, ait des affects, des désirs… La situation est plus complexe quand on se rend au domicile du patient dans la mesure où on se trouve sur son territoire. Mais cette infirmière a très bien réagi. Elle a été capable d’accueillir cette demande, tout en la déclinant avec délicatesse, sans crier au scandale. Elle a mis un peu de distance en prenant le temps d’en discuter avec sa collègue. Par sa réponse, elle s’est positionnée en tant que professionnelle, sans provoquer de la souffrance chez ce patient. »