L'infirmière Libérale Magazine n° 271 du 01/06/2011

 

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DANGER > Les chimiothérapies à domicile peuvent présenter des risques pour le personnel soignant. À l’AP-HP, des infirmières d’HAD s’estiment même en danger. Des libérales sont sollicitées.

Plus que d’ordinaire, l’AP-HP (Assistance publique-Hôpitaux de Paris) sollicite des infirmières libérales pour réaliser des chimiothérapies en hospitalisation à domicile (HAD). Cela peut s’expliquer par le fait que plus d’un tiers des 188 infirmières de soins adultes d’HAD exerce, en ce moment, un droit généralement peu utilisé par le personnel soignant : le droit de retrait(1). Ces professionnelles de santé, réparties dans douze des seize unités de soins adultes, redoutent en effet de faire face à un « danger grave et imminent » en préparant les chimiothérapies administrées à domicile.

Événement indésirable

Cette tâche de reconstitution doit être centralisée en amont. Mais, à l’AP-HP, cette centralisation traîne, déplorent la CGT, Sud ou encore la CFDT. Lancée en novembre 2009, elle devrait être terminée fin 2012, selon la direction. À cette date, c’est l’hôpital européen Georges-Pompidou qui réalisera les quelque 8 000 préparations annuelles de la HAD(2). Et les infirmières se chargeront de leur seule administration.

Les droits de retrait peuvent donc être interprétés comme un signe de “ras-le-bol”, amplifié par un incident survenu à la mi-mars. Au domicile d’un patient soigné pour cancer, un infirmier a ressenti des irritations à la gorge, apparues alors qu’il reconstituait trois produits anticancéreux. Mêmes symptômes chez une aide-soignante et l’épouse du patient, pourtant situées dans une autre pièce.

Cet événement indésirable, la direction de la HAD, par la voix de Marie-Agnès Guéraud, coordinatrice des soins, l’explique par « un défaut de pratique : si l’infirmier avait adapté son masque et utilisé le petit percuteur prévu entre la seringue et le produit, il n’y aurait pas eu, a priori, d’effet indésirable. Il l’a reconnu ». Quant au retard de la centralisation, il s’expliquerait par des raisons informatiques. Il faut, notamment, implanter le logiciel Chimio dans chaque établissement de l’AP-HP. « Nous sommes demandeurs depuis des années, mais cela ne dépend pas de l’HAD », souligne la responsable.

Après l’incident, les règles à respecter et le matériel à utiliser ont été rappelés. Par ailleurs, l’HAD a commencé à déployer un système clos. Ce qui ne satisfait pas totalement les syndicats, qui réclament une protection collective, garantie par la centralisation, et non uniquement individuelle. Le CHSCT(3) de la HAD s’est réuni à propos de la préparation des chimiothérapies. Suivi le 4 mai d’un CHSCT central sur ce même sujet, mais cette fois à l’échelle de toute l’AP-HP. À la suite de cette réunion, au cours de laquelle les conditions de travail des préparateurs en pharmacie ont aussi été évoquées, la CGT comme la CFDT estiment que « le danger grave et imminent n’est pas levé ».

La réglementation

Le cas de l’AP-HP pourrait, peut-être, en être une illustration : le développement de la chimiothérapie à domicile, énoncé comme une mesure prioritaire dès le Plan cancer de 2003, n’est pas facile. La réglementation, et en particulier l’arrêté du 20 décembre 2004, « a eu un côté positif pour la protection de l’environnement et des personnels, commente, de façon générale, Pascale Dielenseger, présidente de l’Association française des infirmiers(ères) de cancérologie. Mais elle a aussi rendu plus difficile l’organisation des chimiothérapies à domicile. Il est très complexe, voire impossible, par exemple, de les proposer sur un bassin de population trop large », en raison des contraintes de conservation et de transport des produits préparés. Libérales ou non, « les infirmières ne devraient préparer à présent que très peu de chimiothérapies à domicile », note cette professionnelle.

De rares réseaux

Selon Annick Touba, présidente du Syndicat national des infirmiers et infirmières libéraux, aujourd’hui, « les chimiothérapies à domicile sont réalisées en HAD(4) plus qu’en réseaux ville-hôpital, rares ». Elle-même participe au réseau Onco Pays de la Loire. « Il faut une bonne coopération avec les praticiens hospitaliers, acceptée par les généralistes », explique-t-elle. Les traitements sont préparés en hôpital, à Nantes, puis livrés dans des officines de ville, où vont les chercher les infirmières. Ces dernières ont un autre rôle : « Quand un malade rentre en chimiothérapie, c’est une Idel qui fait la visite de faisabilité de ce soin, pour 50 euros. Cela fonctionne. »

Peu d’administrations

Bref, à l’heure actuelle, l’administration à domicile de chimiothérapies est, en général, « très peu réalisée par les infirmières libérales, note François Verney, de la Fédération nationale des infirmiers. Ce que nous faisons essentiellement, c’est le suivi des patients cancéreux hors chimiothérapies, ainsi que l’arrêt et l’ablation de pompes portables/infuseurs, en fin de chimiothérapies ambulatoires ». Et d’évoquer sa propre expérience : « Les seules chimiothérapies pour cancer que j’ai pratiquées à domicile étaient des prises en charge de patients parisiens passant un mois de vacances en Bretagne », raconte ce libéral installé à Saint-Brieuc, la préfecture des Côtes-d’Armor. Quand on lui parle de produits cytotoxiques, ce professionnel ne pense d’ailleurs pas forcément au seul traitement du cancer : il évoque leur administration en intramusculaire pour des polyarthrites rhumatoïdes. « L’Assurance maladie semble vouloir développer les chimiothérapies réalisées par les libérales », conclut toutefois Annick Touba.

(1) Article 5-6 du décret du 18 mai 1982 pour les fonctionnaires.

(2) Aujourd’hui, seules les poches pour la HAD prescrites à l’hôpital européen Georges-Pompidou sont réalisées à l’hôpital européen Georges-Pompidou.

(3) Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail.

(4) Le nombre de journées de chimiothérapies en HAD a augmenté de plus de 9 % entre 2008 et 2009, selon la Fédération nationaledes établissements d’hospitalisation à domicile.

Un domaine méconnu

« On se rend compte, lors de réunions d’information, que les phénomènes d’irritation des muqueuses et de la peau sont encore, de façon non exceptionnelle, décrits lors de la préparation ou de l’administration des cytotoxiques. Ceci traduit naturellement une insuffisance des mesures de prévention anormale », relève Michel Falcy, toxicologue à l’INRS*. Les irritations évoquées à l’AP-HP « peu[ven]t entrer dans ce cadre ». En général, les chiffres manquent sur de tels effets. De même, les éventuelles conséquences, à long terme, pour les soignants, de la préparation de chimiothérapies, « ne sont pas suffisamment connues ». Parmi les connaissances existantes, la mise en évidence, « depuis des années », d’effets génotoxiques. « Tous les cytotoxiques n’ont pas les mêmes dangers, précise le docteur Falcy. Les agents alkylants sont ceux qui doivent inciter à la plus grande prudence lors des manipulations. » Attention également à la possible contamination, « parfois ignorée », lors de la manipulation de linges ou d’objets souillés par les patients.

* Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles.