Une pathologie complexe
Cahier de formation
Le point sur
Associant des signes cutanés, oculaires, vasculaires ou encore neurologiques, la maladie de Behçet n’est pas facilement identifiable. Ne menaçant que très rarement le pronostic vital, il s’agit toutefois d’une pathologie à surveiller en raison du risque de cécité.
Décrite en 1937 par un dermatologue turc, Hulusi Behçet, la maladie de Behçet est une vascularite chronique, c’est-à-dire une inflammation des vaisseaux sanguins.
Elle touche principalement les jeunes adultes (entre 18 et 40 ans) avec une prévalence plus forte dans la population masculine (bien que cela semble remis en question par de récentes études). Elle s’observe plus fréquemment dans les pays du bassin méditerranéen (en Turquie, sa prévalence est de 80 à 300 personnes sur 100 000) et au Japon (prévalence 10 pour 100 000). La prévalence européenne la plus élevée se situe en Italie avec une atteinte de 2,5 individus sur 100 000. Il semble que la maladie ait une origine génétique – l’antigène HLA-B51 est souvent retrouvé chez les malades (60 % des cas) – mais cela n’en fait toutefois pas une maladie héréditaire, les formes familiales étant très rares (moins de 5 % des cas).
Les atteintes sont multiples, mais l’on recense dans trois quarts des cas des atteintes oculaires, notamment des uvéites (inflammation de l’uvée). Une aphtose bipolaire (buccale et génitale) est également associée à la maladie. C’est d’ailleurs la présence de ces trois symptômes (uvéite et aphtoses buccale et génitale) qui détermine les critères de classification de la maladie.
→ Les atteintes oculaires sont les plus fréquentes et les plus redoutées puisqu’elles peuvent aboutir à la cécité. L’inflammation se traduit par une vision floue et une baisse de l’acuité visuelle. On recense des uvéites, des vascularites rétiniennes, des œdèmes papillaires ou encore des névrites optiques (nerf optique atteint) évoluant par poussées.
→ Les poussées aphteuses sont généralement le premier signe de la maladie. Au niveau buccal, on les trouve sur la face interne des joues, la langue, le palais et le larynx, seule ou en grappe caractéristique. Au niveau génital, on les retrouve dans 50 à 80 % des cas, sur la verge et le scrotum chez l’homme et au niveau des lèvres, du vagin et du col de l’utérus chez la femme. La présence d’une aphtose au niveau buccal et génital est très évocatrice de la maladie. Les signes évoluent là aussi par poussées, apparaissant et disparaissant plus ou moins rapidement, avec ou sans cicatrice.
→ La peau peut également subir certaines atteintes : hypersensibilité aux traumatismes, nodules hypodermiques, érythème noueux (nodule douloureux qui court le long des veines) ou pseudo-folliculite. On peut aussi observer chez certains malades la formation de petites vésicules ou de pustules lors d’injection ou de piqûres.
→ Le système nerveux peut également être atteint dans de rares cas, qui sont, de fait, graves : on parle alors de neuro-Behçet et l’on observe une méningo-encéphalite ou une myélite pouvant, lors d’un diagnostic, faire passer la maladie pour une sclérose en plaques.
→ La maladie étant une vascularite, les vaisseaux sanguins sont également touchés : les veines sont en effet concernées, dans 10 à 40 % des cas, par des thromboses. Plus rarement, les artères peuvent elles aussi être touchées, avec des risques plus graves, notamment d’anévrisme de l’aorte ou de l’artère pulmonaire.
→ Enfin, dans 5 à 70 % des cas (selon le pays concerné), les articulations sont atteintes par la maladie de Behçet sous forme d’arthralgie (poignet, genou, cheville).
Les premiers signes peuvent varier d’un individu à l’autre, mais ce sont souvent des poussées aphteuses qui annoncent la maladie, accompagnées ou non de signes oculaires.
La maladie évolue par phases de poussées, au cours desquelles le malade présente certains des symptômes décrits ci-dessus (seuls ou combinés) puis ceux-ci régressent plus ou moins vite dans le temps. Contrairement à certaines maladies évoluant elles aussi par poussées (sclérose en plaques, notamment), la maladie de Behçet a tendance à s’éteindre progressivement avec l’âge, mais subsistent les handicaps liés aux symptômes (notamment au niveau visuel). Chez la femme en âge de procréer, la maladie ne présente aucune contre-indication pour une grossesse, mais il faut que la patiente soit placée sous surveillance pour adapter les éventuels traitements de la maladie.
→ Il peut être posé par l’observation des symptômes. Le critère majeur d’identification de la maladie est la survenue d’une aphtose buccale à trois reprises (et observée par un médecin) combinée à un autre critère. Pour ce dernier, il peut s’agir de la survenue d’une aphtose génitale, d’une uvéite, d’un érythème noueux ou d’une hypersensibilité aux points de piqûre, cette dernière étant validée par un test.
→ La maladie n’est pas décelable par le biais d’analyses biologiques : néanmoins, on peut observer, à travers un test sanguin, un syndrome inflammatoire avec élévation du nombre de globules blancs (polynucléaires), une accélération de la vitesse de sédimentation et une élévation des immunoglobulines (surtout les Ig A).
Aucun traitement direct de la maladie n’existe. Les patients atteints par cette pathologie héritent donc d’un arsenal thérapeutique qui traite les symptômes.
→ Les anti-inflammatoires sont utilisés, notamment pour les manifestations articulaires de la maladie. Parmi eux, la colchicine, prescrite en masse chez les patients souffrant de la maladie.
→ Le thalidomide, en prescription hospitalière, agit sur les aphtoses, mais n’a pas non plus d’action directe sur la maladie. De plus, il est incompatible avec une grossesse : il fut en effet incriminé dans les années 1960 comme étant un puissant tératogène, c’est-à-dire qu’il provoquait de multiples malformations chez le fœtus. Il fut d’ailleurs interdit à une époque et bénéficie d’une nouvelle AMM européenne depuis 2008 pour être utilisé dans le cas de maladies n’ayant pas d’autres voies thérapeutiques.
→ Les corticoïdes (type prednisone, prednisolone) sont administrés par voie orale ou en bolus lors de symptômes neurologiques ou oculaires.
→ Les immunosuppresseurs sont prescrits en deuxième intention pour les atteintes oculaires ou neurologiques. Azathioprine, cyclosporine, cyclophosphamide, interféron et anticorps monoclonaux sont autant de pistes thérapeutiques possibles, mais présentent des effets secondaires plus lourds que les autres traitements. À ajuster en fonction de la balance bénéfice-risque.
La maladie de Behçet peut, au premier abord, être confondue avec d’autres pathologies et elle n’est pas souvent diagnostiquée à la première poussée.
Ses symptômes sont en effet variés et touchent différents organes. Lors de l’interrogatoire du clinicien, certains symptômes peuvent être occultés, car le patient ne pense pas forcément qu’il y a un lien entre eux. Si l’aphtose est un symptôme typique, elle peut être occultée par un signe plus “gênant” comme l’atteinte oculaire, sans qu’un lien ne soit fait entre les deux.
Un malade souffrant de la maladie de Behçet peut ainsi attendre quelques mois ou années avant qu’on ne pose un diagnostic ferme de la maladie. On peut par exemple lui suspecter une sarcoïdose du fait de la présence d’érythème noueux, d’uvéite et d’arthralgie ou une sclérose en plaques lorsque l’atteinte neurologique est prépondérante : c’est l’association de différents symptômes et l’élimination d’autres maladies qui permettent de poser un diagnostic ferme et définitif.