L'infirmière Libérale Magazine n° 272 du 01/07/2011

 

L’appel du large

Dossier

Partir, oui, mais pour où ? Pour continuer à travailler de manière autonome, comme en France ou presque, il est nécessaire de connaître les contraintes réglementaires, les démarches à mener et le cadre d’exercice des pays les plus tentants. Zoom sur certaines destinations.

Libérales, indépendantes, autonomes, privées, entrepreneuses… De nombreuses appellations recouvrent l’exercice non salarié du métier d’infirmière dans les pays où il existe. Et la réalité réserve bien des surprises sur le champ de compétences de ces “libérales” !

AVENTURE D’UNE ANNEE OU DE TOUTE UNE VIE

Avant de songer à s’installer comme libérale à l’étranger, mieux vaut déjà s’assurer de sa maîtrise de l’idiome local, naturellement. Certains pays testent d’ailleurs le niveau linguistique des candidates au moment de la reconnaissance de leur diplôme. Priorité donc, dans ces pages, aux pays et régions où l’on parle français, anglais et espagnol, les langues les plus parlées par les Français.

Deuxièmement, les migrations infirmières internationales s’orientent généralement vers les pays à niveau de vie comparable ou supérieur à celui du pays d’origine. Mais l’herbe y est-elle réellement plus verte que sous les cieux franco-métropolitains ?

Tout dépend de ce que l’on recherche en priorité. Trouver de meilleures conditions de travail ? Découvrir une autre culture du soin ? Un autre pays ? Changer de vie ? Partir à l’aventure pour un temps indéterminé ? S’installer ailleurs pour toujours ? Changer régulièrement de port d’attache ? Un avantage du métier d’infirmière réside dans la grande diversité de ses modes et lieux d’exercice, notamment là où les infirmières sont en nombre insuffisant et donc, parfois, chouchoutées.

EN AMÉRIQUE DU NORD

C’est le cas au Québec, où 98 % des 71 000 infirmières (dont presque 500 Françaises) exercent pourtant à l’hôpital, dans des centres de soins communautaires, etc. Environ 1 500 infirmières dites “autonomes” exercent de façon privée dans la “Belle province”, dont tout juste dix-sept Françaises, indique Carole Mercier, secrétaire générale de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ). Chose étrange pour nos repères français : le tiers de ces infirmières autonomes est spécialisé dans les soins de pieds ! D’autres sous-traitent leurs services à des agences qui les affectent à des remplacements en établissement. Tout en étant complètement à leur compte. La version québécoise de l’exercice libéral* a donc de quoi désarçonner les Françaises (lire page suivante) !

Aux États-Unis, les infirmières peuvent aussi créer leurs propres entreprises comme nurse entrepreneurs et proposer leurs services… à ceux qui peuvent se les offrir, car ces soins, monnayés environ 30 dollars de l’heure, ne sont pas pris en charge par les assurances santé. Comme dans beaucoup de pays, « les petits soins infirmiers qui sont faits en libéral en France, comme les injections ou les pansements, sont réalisés par le malade ou sa famille, souligne Claudie, une infirmière française (salariée) installée depuis de nombreuses années en Californie. Ou alors le patient se rend dans une clinique ou le cabinet du médecin, où il sera pris en charge par une infirmière. […] Et pour les malades chroniques, qui nécessitent des soins journaliers, des associations emploient des infirmières. Mais peu d’assurances prennent en charge les soins à domicile et peu de gens font appel à ce type de soins. » Alors ce sont les familles qui prennent le relais, ou même des bénévoles des églises… L’aventure semble bien délicate à tenter pour une Française, sauf à disposer d’une (très) solide sécurité financière préalable.

Une autre difficulté réside dans le fait que ces deux pays d’Amérique du Nord distinguent plusieurs types de nurses. Les États-Unis offrent ainsi les statuts de licensed vocational nurse, registered nurse, nurse practitioner, dont les cursus et les fonctions diffèrent (de même que les appellations, selon les états…). Au Québec, les “infirmières” ont obtenu un diplôme d’études collégial en trois ans alors que les “infirmières cliniciennes” ont passé un baccalauréat en sciences infirmières en trois ans à l’université… Salariées, elles n’ont pas exactement le même champ d’action, ni le même salaire.

Les démarches pour exercer dans ces pays sont aussi longues (plusieurs mois) et coûteuses (plusieurs milliers de dollars américains pour les États-Unis). Et il faut y ajouter la question du visa, considérablement compliquée du côté américain…

ACCORD FRANCO-QUÉBÉCOIS

La France et le Québec, via leurs Ordres respectifs, ont cependant conclu en juin 2010 un accord de reconnaissance mutuel (ARM) qui allège les démarches pour les infirmières des deux pays qui souhaitent exercer de l’autre côté de l’Atlantique. Il permet aux infirmières françaises de ne plus avoir à passer un examen professionnel (500 dollars canadiens) mais il impose aux candidates des deux pays de suivre un stage de 75 jours en milieu clinique. « Si le stage est réussi, explique Carole Mercier, l’infirmière reçoit un permis et est inscrite au tableau de l’Ordre. » Mais l’accord ne dit pas à quel type de diplôme infirmier québécois équivaut le DE français, une pierre d’achoppement pour les Françaises qui veulent travailler à l’hôpital car leur niveau de rémunération en dépend…

RECONNAISSANCE DU DIPLÔME

Sur ce plan, les choses sont plus simples en Europe puisque la directive de 2005/36/CE b (ch. III) permet à toute infirmière diplômée dans un pays de l’Union européenne de travailler dans un autre, sous n’importe quel statut. Aucune n’est cependant exonérée des démarches de demande d’autorisation d’exercer, à formuler auprès des autorités de chaque pays. Chaque pays les organise à sa façon. Pour travailler en Angleterre, par exemple, il faut s’inscrire auprès du Nursing and midwifery council (www.nmc-uk.org) qui reconnaît automatiquement les diplômes des ressortissants des pays membres de l’UE obtenus après le 29 juin 1979. Il suffit de fournir une série de documents à demander, en France, au centre d’information sur la reconnaissance académique et professionnelle des diplômes (Enic-Naric France, www.ciep.fr/enic-naricfr/).

PAS D’ELDORADO EN ESPAGNE

La reconnaissance du diplôme n’ouvre pas forcément la porte de l’exercice libéral local, car il n’existe pas toujours, ou alors sous une forme très différente. Isabelle Grillo a quitté son travail salarié sur la côte d’Azur en 2000 pour ouvrir un cabinet libéral à Majorque. Après l’homologation des diplômes, une procédure longue à l’époque, « je suis partie avec une amie pour ouvrir un cabinet libéral en pensant que l’Espagne fonctionnait comme la France, raconte-t-elle. Mais nous nous sommes aperçues en arrivant que l’exercice libéral n’existait pas », car les soins remboursés étaient pratiqués dans les centres de santé, ou à domicile, par leurs salariés (ou la famille, formée).

Pendant un an, elles ont cependant proposé leurs services aux Espagnols, surtout en matière de nursing et de gardes de nuit, facturant leurs actes à un niveau comparable à celui de la France. Des dépenses qui restaient à la charge des patients. « Au début, les gens étaient étonnés face à des infirmières à la fois étrangères et privées, mais ils se sont montrés rapidement très accueillants », poursuit Isabelle. Mais quand sa consœur a choisi d’arrêter l’aventure, elle n’a pas pu continuer seule et a préféré bifurquer vers le salariat.

Pierre-Yves Guyomarch a eu plus de chance. Après avoir exercé en libéral pendant vingt ans en France puis aux Antilles, il a fait valoir sa qualification auprès du Collège officiel infirmier de Santa-Cruz à Tenerife, équivalent de l’Ordre. Il a exercé ainsi pendant cinq ans, auprès des touristes étrangers, francophones et anglophones. « Il n’a pas été évident de se faire une clientèle », souligne-t-il. Nomenclature seulement indicative, honoraires libres… Les choses étaient pourtant simples. D’autant que les patients français ou belges se faisaient rembourser les soins sur présentation de ses factures. « J’ai arrêté, car de plus en plus de gens ne voulaient plus payer, arguant qu’ils avaient la carte vitale ou étaient pris en charge à 100 % en France », ajoute Pierre-Yves. Depuis, il se rend une dizaine de jours par mois en France pour effectuer des remplacements en libéral.

RÈGLES CANTONALES EN SUISSE

En Suisse non plus, l’exercice libéral n’est pas très développé, les soins à domicile étant souvent assurés par les soignants salariés de centres médico-sociaux, qui se développent et recrutent, d’ailleurs. Les Françaises peuvent y exercer après avoir fait valider leur compétence, pour le canton de Genève, auprès de la Croix rouge suisse (http://bit.ly/mTFAao). Elles doivent ensuite obtenir un numéro de concordat qui leur permet de facturer aux tarifs conventionnels mais qui nécessite de disposer d’une adresse en Suisse (ne serait-ce que celle d’un bureau). Certaines indépendantes s’organisent en coopératives, explique Dominique Kaufeler, directrice d’une coopérative genevoise. Les 52 infirmières qui en sont membres organisent leur travail librement, choisissent leur type de patient mais elles peuvent aussi s’arranger entre elles pour se remplacer. Elles disposent donc, par ce biais d’outils de facturation, d’espaces de travail et de réunion, etc. Une formule intéressante, mais, depuis le 1er janvier, les règles de financement des soins à domicile ont changé et plongé les indépendantes dans la confusion. « La nouvelle convention, indique Dominique Kaufeler, prévoit non plus un, mais trois payeurs : les assureurs, comme avant, mais aussi le patient ainsi que les cantons. » Or aucun des 26 cantons ne semble avoir adopté la même formule, certains refusant même de mettre la main au porte-monnaie… D’une manière générale, la directrice de la coopérative précise que les indépendantes « n’ont jamais beaucoup gagné ». De plus, le niveau des charges dont elles doivent acquitter s’élève à environ 40 % de ce qu’elles touchent.

COUSINS BELGES

Finalement, c’est en Belgique que l’exercice libéral ressemble le plus à ce que connaissent les infirmières françaises (http://bit.ly/j6N8Py). Certes, il existe aussi en Belgique deux types de professionnelles : les infirmières bachelières qui ont suivi des études supérieures dans de “hautes écoles” et celles qui ont obtenu un brevet au cours d’études secondaires. Certaines sont “graduées”, d’autres “hospitalières”… Une situation un peu déconcertante pour les Françaises ! Mais, en Wallonie tout du moins, « 70 % des patients à domicile sont soignés par des infirmières indépendantes », indique Aurore de Wilde, présidente de la Fédération des infirmières indépendantes de Belgique.

La reconnaissance professionnelle du diplôme d’infirmier acquis en France se déroule au niveau du ministère de la Santé fédéral (http://bit.ly/mu72F3). Pour pouvoir exercer comme indépendantes, les Françaises candidates à l’expatriation en Belgique comme les infirmières belges doivent demander un “numéro d’agréation” à l’Institut national d’Assurance maladie-invalidité (Inami, http://bit.ly/iyuIA9), ce qui permet de facturer puis de s’installer comme indépendantes. Ensuite, elles travaillent à peu de choses près comme en France. Un peu trop, peut-être, pour celles qui rêvent d’aventure. Mais ne dit-on pas que l’aventure se trouve au bout de la rue…

* Plus d’informations sur le site de l’Ordre des infirmières et infirmiers québécois http://bit.ly/lLE85u.

ÉTONNANT QUÉBEC !

Des infirmières autonomes

• Louiselle Bouffard, infirmière autonome québécoise, pratique exclusivement des soins de pieds. Elle a choisi ce mode d’exercice autonome pour la liberté qu’il lui offre dans l’organisation de son travail et dans sa façon de tisser un lien avec ses patients : ses soins ne durent jamais moins d’une heure… Elle exerce son activité sous statut privé, comme une entreprise. Elle a donc le droit de faire de la publicité, même si « le bouche-à-oreille est ma meilleure publicité », souligne l’infirmière. Elle ne prescrit pas mais peut recommander des médicaments en vente libre. Louiselle a son propre cabinet mais « je loue aussi un local dans un centre communautaire pour personnes âgées et une clinique médicale, où j’exerce en pratique privée ». Pas besoin de prescription médicale pour faire appel à ses soins. Mais, sauf assurance exceptionnelle, ils ne sont pas remboursés… Elle fixe elle-même ses tarifs : au minimum 40 $ canadiens (50 dans les locaux loués).

• Autonome aussi, mais française, Sophie Calvalido, exerce tout autrement. Arrivée à Montréal (par amour !) en 2004, juste après son DE, elle a d’abord travaillé pendant trois ans à l’hôpital qui l’avait recrutée au Salon infirmier de Paris (ce qui avait simplifié et diminué le coût de ses démarches) puis selon un schéma proche de l’intérim. Avant de passer au statut autonome, mais comme “incorporée” à deux agences qui lui fournissent des opportunités de travail, en structure hospitalière ou communautaire. Elle sous-traite pour elles, en quelque sorte, et perçoit des sommes bien plus élevées que des salaires mais assorties d’aucun avantage social. En revanche, Sophie organise son travail comme elle veut (« je ne travaille jamais la nuit »). Un luxe quand dates de congés et changements d’affectation dépendent uniquement de l’ancienneté… Vis-à-vis des patients, « cela ne change rien, affirme Sophie. Je travaille au même poste depuis quatre mois. Pour les patients, je suis une infirmière comme une autre ».

Interview
Aurore de Wilde, présidente de la Fédération des infirmières indépendantes de Belgique

Indépendantes en Belgique

Comment fait-on appel aux services des infirmières indépendantes en Belgique ? Les patients recourent à nous directement, sur prescription médicale ou sans, comme pour les soins d’hygiène. Nous avons une liste d’actes parmi lesquels figurent des actes délégués par les médecins. Mais si l’Institut national d’Assurance maladie-invalidité (Inami) accepte que nous les réalisions, les mutuelles ne veulent pas les rembourser…

Devez-vous souscrire à une convention ? Il existe une convention à laquelle il n’est pas obligé d’adhérer. Mais si nous ne sommes pas conventionnées, les tarifs sont inférieurs. Très peu d’infirmières ne sont pas conventionnées. En l’absence de gouvernement, toute évolution de la convention est bloquée.

Le tiers payant est-il pratiqué pour les soins infirmiers ? Il existe un système de ticket modérateur que nous pouvons réclamer aux patients, mais, dans notre région [celle de Charleroi, Ndlr], les infirmières refusent de le demander, car beaucoup de gens ne pourraient pas le payer.

Les indépendantes gagnent-elles mieux leur vie que les salariées ? Oui, mais nous travaillons aussi beaucoup plus, 60 à 85 heures par semaine pour certaines contre 36 ou 38 heures à l’hôpital. Et là où les salariés paient 30 euros par trimestre de mutuelle [cotisations sociales, Ndlr], nous payons 350 euros pour des prestations faibles.

AUX MARQUISES

Attraits et revers de l’outremer

Après avoir roulé sa bosse à Tahiti, Mayotte, Saint-Martin, en Nouvelle Calédonie et ailleurs, Alexandre Magne exerce aux Marquises, à Hiva Oa, 3 500 habitants, y compris ceux d’une île située à quatre heures de bateau, un petit centre médical… « Ma patientèle, explique-t-il s’apparente à celle d’un IDE libéral en milieu rural, avec comme différence l’éloignement de tout centre hospitalier », ce qui complique les évacuations sanitaires. Autre différence : la santé ne figure pas en tête des préoccupations des Polynésiens qui vivent sans trop se soucier de l’avenir… 365 jours par an ou presque, de 5 h 30 à 9 h 30 puis de 15 h 45 à 18 heures, il soigne les patients atteints de rhumatisme articulaire aigu, des élèves des pensionnats de l’île, des diabétiques, refait des pansements et répond aux premières urgences. L’exercice libéral connaît, selon Alexandre, une grave crise en Polynésie : baisse des quotas d’actes (28 000 AIS ou AMI par an) et de la lettre-clef, passage de 80 à 70 % du ticket modérateur qui n’est d’ailleurs « pratiquement jamais payé », patients encouragés à fréquenter plutôt les dispensaires… Lorsqu’on ajoute la baisse des prescriptions de soins liée à l’absence prévue du médecin local, il s’attend donc à perdre 30 % de ses revenus cette année. Certes, la vie paraît douce sur l’île de rêve où reposent Gauguin et Brel mais, confie l’infirmier, « la formation continue et les relations avec les confrères me manquent beaucoup ».