La dermatologie
Cahier de formation
LE POINT SUR
Les effets secondaires cutanés des chimiothérapies et des radiothérapies, qui peuvent affecter la qualité de vie des patients, sont heureusement mieux pris en compte par les équipes soignantes. Les laboratoires développent depuis peu des produits cosmétiques spécialement adaptés. Bien plus qu’un simple effet markerting…
Plus d’un million de personnes vivent avec un cancer, dont certains nécessitent un traitement par chimiothérapie ou radiothérapie. Selon une récente étude du laboratoire spécialisé Evolife, plus des deux tiers des patients traités présentent une toxicité cutanéo-muqueuse, due à l’inflammation provoquée par les traitements. La raison ? La chimiothérapie agit sur toutes les cellules, qu’elles soient malignes ou saines. Les cellules à renouvellement rapide – la peau, les follicules pileux et la matrice unguéale – sont les premières touchées. Chimiothérapie et radiothérapie amincissent et abîment l’épiderme. Par ailleurs, des travaux publiés à partir de 1990 montrent que les fibres nerveuses cutanées, épidermiques et dermiques, libèrent des neuromédiateurs – notamment la substance P – qui aggravent l’inflammation due aux traitements. Ce qui se traduit souvent par une forte sécheresse, voire des irritations de la peau et des muqueuses :
→ le cuir chevelu devient hypersensible et démange ; le port d’une perruque est parfois insupportable ;
→ la peau est sèche et très réactive, ce qui peut donner lieu à des dermites, des gerçures, des engelures ;
→ des éruptions acnéiformes, un rash cutané, un syndrome main-pied (peau sèche, rouge, inflammatoire, voire desquamante et douloureuse, au niveau de la plante du pied et de la corne des mains) peuvent apparaître ;
→ les ongles se fragilisent et deviennent mous et cassants ; parfois, la seule préhension d’objets devient très douloureuse ; une onycholyse (décollement de l’ongle) peut survenir ;
→ les muqueuses subissent une inflammation : sécheresse buccale, aphtes et mucites, gencives fragilisées, inflammation des zones vaginale ou anale.
Ces manifestations peuvent entraîner des troubles digestifs (difficultés à s’alimenter, diarrhée, constipation) ou une gêne lors des rapports sexuels.
Autres conséquences de ces traitements : les soucis esthétiques tels que les ongles abîmés, la chute de cheveux, un teint terreux, une transpiration excessive due à l’absence de pilosité… Ces problèmes concernent tout aussi bien les hommes que les femmes.
Autant de troubles qui altèrent sensiblement la qualité de vie. Dans certains cas, les équipes en viennent à minorer le dosage de la thérapie, ou à la différer dans le temps. Les traitements s’en trouvent allongés et peuvent, de ce fait, se révéler moins efficaces.
Quelques conseils donnés par la Ligue contre le cancer permettent de préserver son “capital” dermique et muqueux : se laver à l’eau tiède, au savon de Marseille, ne pas frotter la peau, ne pas se raser, éviter déodorants et parfums, mettre des gants pour faire la vaisselle ou le ménage… Il est conseillé, pour soulager les muqueuses, de faire des bains de bouche, de boire souvent, de sucer des sorbets ou des glaçons, ou encore de mâcher des chewing-gums pour favoriser la salivation… Le port d’un casque réfrigéré, pour éviter les chutes de cheveux, est parfois recommandé.
Souvent, les équipes soignantes proposent des vernis durcisseurs ou protecteurs pour les ongles, des antiseptiques et antifongiques pour lutter contre les mucites, ou encore des injections de cyclines per os pour les éruptions acnéiformes. Des émollients et antioxydants peuvent se révéler utiles pour soulager les dermites.
Les patients peuvent-ils utiliser des produits de cosmétique traditionnels ? « Oui, dans la mesure où ils sont sains, non toxiques, sans hormones et non allergisants », répond le Dr Françoise May-Levin, cancérologue, conseiller médical de la Ligue contre le cancer. Le “bio” n’est pas forcément impératif. Il faut surtout bannir les produits parfumés, qui peuvent irriter une peau fragilisée par les rayons, et éviter les corps gras.
Aucun produit cosmétique ne doit être posé sur les régions exposées aux rayons. Et, dans tous les cas, pour l’utilisation d’un produit ou le recours à des soins esthétiques, il faut avoir l’aval du médecin. L’exposition solaire pouvant raviver l’inflammation cutanée, il convient d’utiliser un écran total. « Il est possible de se teindre les cheveux après les traitements, à condition, là encore, de recourir à un produit très doux, sans ammoniaque », précise le Dr Françoise May-Levin. Pour elle, prendre soin de soi, quand on suit un traitement, est primordial. « Une personne atteinte d’un cancer a besoin d’aimer son corps, encore plus dans la maladie qu’en temps normal. Les soins esthétiques et de coiffure proposés à l’hôpital sont précieux, d’autant plus qu’ils sont personnalisés et enrichis de conseils. » La plupart des services de cancérologie s’adjoignent en effet les services de socio-esthéticiennes (lire notre portrait paru dans ILM n° 269), qui interviennent dans le cadre d’un projet de soin ou d’accompagnement au sein des équipes, notamment en lien avec l’infirmière d’annonce. En dispensant des conseils sur le maquillage et la coiffure, elles aident les malades à retrouver un teint plus lumineux, à masquer les effets secondaires des traitements. Ce qui leur permet de se réconcilier avec leur corps, de se mettre en valeur, et, peut-être, de mieux accepter la maladie.
Certains laboratoires se spécialisent dans les produits de dermocosmétique adaptés aux personnes subissant une thérapie anticancéreuse. Pour exemple, la gamme d’Evolife apparue en 2007 se compose de sprays antitranspirants, de produits pour les bains de bouche, de dentifrices pour les gencives fragilisées, de sprays capillaires, de lotions nettoyantes pour le visage, de produits apaisants contre le rash cutané, de gels contre la peau sèche… Ces produits sont généralement disponibles en pharmacie, en parapharmacie et chez les prothésistes capillaires. Autre fabricant qui a choisi cette niche de dermocosmétique : VEA.
Remerciements au Dr Danièle Avenin, oncologue à l’hôpital Tenon, AP-HP et au Dr Françoise May-Levin, conseiller médical à la Ligue contre le cancer, pour leur relecture.
Le Plan Cancer II (2009-2013) souligne l’importance des soins de support, initiés par le Plan CancerI (2003-2007). La prise en charge des effets secondaires cutanés des traitements en fait partie. Au service cancérologie de l’hôpital Tenon, à Paris, l’équipe se dit soulagée par l’arrivée sur le marché des produits de dermocosmétique. « Lors de la consultation d’annonce, les patients se montrent encore plus paniqués par les effets secondaires des traitements que par la maladie elle-même, souligne le Dr Danielle Avenin, oncologue. L’équipe pluridisciplinaire doit prendre en charge ces effets indésirables qui, parfois, handicapent la qualité de vie du patient pendant le traitement. Jusque-là, nous étions un peu démunis, maintenant, nous avons des réponses à apporter. »