L'infirmière Libérale Magazine n° 273 du 01/09/2011

 

Le débat

En juin dernier, le socialiste et ancien ministre de l’Intérieur Daniel Vaillant proposait une « légalisation contrôlée du cannabis », dans l’objectif de « modérer la consommation des Français ». Un pavé dans la mare qui fait débat.

Catherine Lemorton Députée PS Haute-Garonne, pharmacienne, membre du Pra 31 (Passages réseau addictions)

Faut-il dépénaliser le cannabis ?

Pas comme ça, pas maintenant. On ne jette pas l’idée d’une dépénalisation contrôlée de cette façon, d’autant plus lorsqu’on a une élection présidentielle à gagner : on ne va pas donner du grain à moudre au camp d’en face qui prône le tout sécuritaire. Cela étant dit, le débat de la dépénalisation du cannabis est à ouvrir, c’est une évidence. On a en France une loi très répressive, avec pourtant un très grand nombre de consommateurs. La dépénalisation d’usage est plus ou moins mise en place sur le territoire : si vous consommez du cannabis en Creuse ou dans la Meuse, vous risquez plus qu’à Toulouse ! Comment la justice peut-elle être crédible ?

Comment faut-il mener le débat ?

Pour commencer, il est important de différencier l’usage de la vente. Ensuite, il faut ratisser large quand on traite un tel sujet. Et informer les parents. Quand leurs enfants se révèlent consommateurs de cannabis, c’est souvent trop tard, certains présentant déjà une forte dépendance ou des troubles psychotiques importants. Il faut aussi réfléchir à la façon dont on peut aider toute la communauté éducative. Et élargir le champ de réflexion aux autres drogues : le rail de coke, par exemple, on peut en consommer et rester socialisé. Je n’ai pas fait ma religion sur ce sujet mais la répression à la française n’est certainement pas efficace. Et puis, autoriser la consommation ne va pas l’augmenter. Vous voyez bien comment les choses se passent aux Pays-Bas : qui consomme dans les coffee shops ? Les touristes ! En revanche, il ne faut pas oublier les quartiers qui ne vivent que de ça. Si on dépénalise le cannabis, il y a fort à parier que les dealers passeront à d’autres drogues.

Quelles différences faites-vous entre le cannabis et l’alcool, en matière de santé publique ?

L’alcool cause plus de dégâts que le cannabis. Aujourd’hui, est-ce plus dangereux de fumer un joint en soirée que de boire toute la journée ? Éliminer l’alcool du débat sur les toxicomanies est une erreur monumentale. Vous connaissez beaucoup de jeunes qui fument un joint sans boire en même temps ?

Quid de l’utilisation du cannabis à visée thérapeutique ?

Il y a d’autres alternatives mais, à partir du moment où l’on met les gens sous morphine, pourquoi ne pas utiliser le cannabis L’idée ne me gêne pas.

Étienne Apaire Président de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (Mildt)

Vous êtes opposé à la dépénalisation du cannabis. Pourquoi ?

Le rôle de la Mildt est de conseiller le gouvernement pour qu’il établisse sa religion. Le gouvernement est opposé à la dépénalisation du cannabis pour plusieurs raisons. D’abord, les dernières études scientifiques révèlent qu’il y a un réel danger à consommer du cannabis. Une étude de 2007 montre par exemple les liens entre les pathologies psychiatriques et la consommation de cannabis. Cela ne veut pas dire que tous les consommateurs de cannabis auront des troubles psychiatriques, mais il y a une forme de principe de précaution à adopter. Ensuite, il y a d’importants dommages sociaux causés par la consommation de cannabis : les difficultés d’acquisition des connaissances à l’école, l’augmentation des risques en matière de sécurité routière, etc. Aujourd’hui, plus personne ne conteste ces dangers.

Quelles différences faites-vous entre le cannabis et l’alcool, en matière de santé publique ?

On a de tout temps eu des difficultés de santé publique avec l’alcool. Cependant, la consommation a diminué de moitié depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. La législation a également évolué : sur la route, l’alcool est un produit illicite. De même que dans de nombreuses entreprises. La vente est interdite aux mineurs. C’est le fruit de l’histoire si l’alcool est intégré dans notre pays. Ce n’est pas le cas du cannabis.

Quid de l’utilisation du cannabis à visée thérapeutique ?

C’est un problème médical, cela ne regarde pas le gouvernement. Les médecins choisissent le médicament le mieux adapté. D’ailleurs, la France, au niveau international, encourage l’utilisation des opiacées comme anti-douleurs.

Imaginons que, demain, un gouvernement veuille dépénaliser le cannabis…

Ce serait très difficile à mettre en œuvre et inutile. On aurait une explosion du nombre de consommateurs. On cite souvent l’exemple des Pays-Bas et de leurs coffee shops. Je choisirais plutôt celui de la Suède, qui lutte de façon intensive contre le cannabis et qui a un nombre de consommateurs très bas. C’est l’exemple à suivre !