L’hygiène
Dossier
L’hygiène est une composante importante des soins, qu’ils soient prodigués en institution ou à domicile. Plus que jamais, l’infirmière, en tant que professionnelle de santé, se doit de montrer l’exemple en appliquant les bases de l’hygiène. Pour ensuite mieux transmettre ces notions aux patients.
Isabelle, infirmière en Bretagne, arrive comme chaque matin chez ce couple de patients diabétiques pour l’insuline et, comme tous les jours, elle réalise les mêmes gestes : sortir de sa voiture, ouvrir le portail de la fermette où habitent ses patients, empêcher les chiens de se ruer gentiment sur elle en leur faisant au passage une caresse, et frapper à la porte pour signifier son arrivée. Puis vient la poignée de main amicale.
Ces petits gestes, elle les effectue chaque jour : autant de sources potentielles de contamination. Heureusement, Isabelle n’hésite pas à se laver les mains : « Je n’utilise que le point d’eau des patients. Pour le reste, je me balade toujours avec mon propre savon liquide et je demande de l’essuie-tout pour m’essuyer les mains – au cas où, j’ai même des mouchoirs jetables. »
Pourtant, nombreuses sont les infirmières libérales qui n’osent pas demander à se laver les mains : « Certains patients s’en étonnent encore, explique Sylvie, infirmière à Paris. Pour eux, j’ai les mains propres et je n’ai pas à me les laver, ni avant, ni après ! » Et que dire de ces patients à l’hygiène parfois douteuse que côtoie cette infirmière qui préfère rester anonyme : « Il est difficile de leur faire comprendre la nécessité d’avoir une hygiène parfaite autour du geste de soin. Il m’arrive encore de faire des prises de sang alors que le chat de la maison tourne autour de moi. Allez faire comprendre à une personne âgée que vous soignez qu’il vaudrait mieux que son chat préféré s’éloigne le temps du soin ! » Les exemples sont nombreux et chaque infirmière détient probablement, selon son expérience, quelques anecdotes autour de l’hygiène.
Pour autant, l’hygiène, et notamment celle des mains, est primordiale pour la réalisation d’un soin de qualité. Mais elle est parfois difficile à appliquer, notamment au chevet du patient : « Les règles d’hygiène apprises en école d’infirmière, qui sont poussées à l’extrême, me font simplement sourire, plaisante Sandra, libérale à Libercourt (62). J’imagine bien frapper chez les gens avec les pieds pour ne pas contaminer les mains ou ne jamais serrer la main qu’un patient me tend… » Reste qu’après ces gestes, le lavage est essentiel avant et après le soin pour se débarrasser des salissures et des germes potentiellement contaminants qui colonisent la peau. Encore faut-il disposer d’un point d’eau facilement accessible. Un paramètre parfois difficile à obtenir chez certains patients qui ne laissent pas l’infirmière aller dans la salle de bain ou chez qui l’évier de la cuisine est constamment encombré.
Pour pallier ce problème récurrent, il existe depuis de nombreuses années une alternative qui a conquis le secteur de la santé mais aussi le grand public depuis l’épisode de la grippe A : la solution hydro-alcoolique (SHA). C’est un produit à base d’alcool, d’agents antiseptiques et de glycérine (pour la protection cutanée) qui s’utilise pour désinfecter les mains : il s’applique par friction sur les mains et les poignets pendant au moins trente secondes jusqu’à évaporation du produit. Pas d’eau, pas de serviette : c’est l’alternative parfaite à l’hygiène des mains sans point d’eau. Ce qui explique qu’elle a largement conquis le grand public, qui ne l’utilise cependant pas toujours à bon escient. Pour utiliser correctement ces SHA, Il faut savoir que les mains doivent être macroscopiquement propres, c’est-à-dire non souillées. Et il faut bien l’appliquer, en quantité suffisante. Alors les mains sont propres et débarrassées des microbes. Néanmoins, certains professionnels, qui l’utilisent quasiment en routine, préfèrent y associer de temps en temps un lavage au savon, car le produit aurait tendance à rendre les mains collantes. Le soignant n’aurait alors plus cette sensation de mains propres !
Outre l’hygiène des mains, domaine dans lequel toute infirmière se doit d’être irréprochable, se pose également la problématique de la tenue : à l’hôpital, la blouse fait figure d’uniforme, les gants sont presque une seconde peau. Mais qu’en est-il dans l’exercice libéral ?
Un guide édité en 2006 par la DGS
Il n’y a qu’au cabinet que l’infirmière maîtrise davantage les paramètres d’hygiène. Certaines règles professionnelles (décret 93-221 du 16 février 1993) régissent en effet des impératifs de zonage pour garantir un travail en toute rigueur : une zone dédiée aux soins, dégagée et propre, et une zone technique fonctionnelle et organisée. Sans compter le ménage – impératif et quotidien – du cabinet, comme l’indiquent les recommandations de la SFTG. « Mon associée et moi faisons appel à une femme de ménage qui passe chaque jour. Nous lui avons néanmoins indiqué certains impératifs à respecter pour le nettoyage du cabinet. Il ne faut pas oublier que nos cabinets accueillent des malades », rappelle Nicole, à Lille. Une discipline qui est loin de s’être imposée du côté des patients où l’hygiène est parfois calamiteuse : tables encombrées où la soignante ne peut même pas poser ses affaires, pansement de la veille fortement souillé par du cambouis, patient alité dont les draps n’ont visiblement pas été changés depuis des semaines, etc. Des problèmes que toute infirmière a rencontrés au moins une fois dans sa pratique : « La propreté, c’est quelque chose de très subjectif, considère Nicole qui raconte que, d’un domicile à l’autre, cette notion est très variable. Certains patients sont très tatillons sur l’image qu’ils vont renvoyer et leur domicile est irréprochable, d’autres le sont beaucoup moins et cela se voit : parfois, on ne sait même pas où poser notre sac ! »
« Si la déontologie ne nous permet pas de tourner les talons devant un domicile sale, il m’arrive parfois de n’emporter que le strict nécessaire chez certains patients, pour ne pas avoir à poser mon matériel chez eux », déplore Sandra, qui rencontre des patients peu regardants sur l’hygiène. Et même si l’éducation autour de cette thématique fait partie des missions de l’infirmière, ce n’est pas chose facile : comment dire ou faire comprendre à un patient que son domicile n’est pas entretenu ? Encore une problématique que les infirmières sont nombreuses à rencontrer. Parfois, le cas thérapeutique de certains patients peut les aider à engager la conversation sur ce thème : s’il est fragilisé, il est plus facile de donner des conseils d’hygiène et de propreté, de même s’il souffre d’une plaie chronique ou difficile à cicatriser. Tout comme l’aération des locaux : il est recommandé d’aérer dix minutes chaque jour – hiver comme été – un logement. Facile à rappeler l’été pour profiter de l’air frais du matin et l’hiver pour éviter les accidents liés au monoxyde de carbone !
Si le sujet des infections dites nosocomiales, contractées à l’hôpital, est désormais bien documenté, force est de constater que l’hospitalisation à domicile ou les soins infirmiers ne sont pas en reste. Et même si aucune étude globale ne vient étayer directement les faits, il apparaît qu’un certain nombre d’infections liées aux soins peuvent apparaître au domicile du patient : d’une part, parce que certains patients les ramènent directement d’un établissement de soin, précise le Dr Fabien Squinazi, directeur du laboratoire d’hygiène de la ville de Paris (voir interview page précédente) et, d’autre part, parce que les professionnels de santé, qu’ils soient médicaux ou paramédicaux, vont d’un patient à l’autre, sans toujours respecter les bases de l’hygiène, comme en témoignait Élisabeth Hubert, présidente de la Fédération nationale des établissements d’hospitalisation à domicile (Fnehad), lors des États généraux du Lien en janvier dernier. Et, contrairement aux idées reçues sur le sujet, ce ne sont pas toujours des bactéries anodines : on peut retrouver des bactéries multirésistantes (BMR) aux antibiotiques, même à domicile, raconte Fabien Squinazi. Sans oublier les bactéries apportées par le réseau d’eau du domicile ! En effet, si l’eau des établissements de santé est régulièrement contrôlée, celle du domicile ne l’est pas autant au point d’usage (c’est-à-dire directement au robinet de l’usager). Le tartre peut ainsi favoriser la prolifération de bactéries et les siphons peuvent héberger toute une flore microbienne peu avenante. Quant aux légionelles tant redoutées à l’hôpital pour les patients fragiles, elles peuvent également coloniser les réseaux d’eau communs, prévient le Dr Fabien Squinazi. Sans pour autant faire l’objet de contrôles : elles peuvent donc sévir en toute impunité !
S’il n’est plus à prouver qu’il existe un lien évident entre l’hygiène et la santé d’une personne, il demeure encore difficile de le faire accepter par l’ensemble des patients : pourtant, dans la vie de tous les jours, des pratiques d’hygiène correctes permettent de réduire de plus de 20 % les risques d’infection ! Et, dans le cas du lavage des mains, on constate une diminution de 31 % des maladies gastro-intestinales et de 21 % des maladies respiratoires. Ce qui n’empêche pas, chaque hiver, les épidémies de gastro-entérites ou de grippe de montrer que les basiques ne sont pas totalement acquis par la population.
D’où le rôle éducatif de l’infirmière qui peut, à l’occasion d’une visite, rappeler les règles de base d’une bonne hygiène à domicile : « Quand je me lave les mains avant de m’occuper d’un patient, j’en profite parfois pour glisser quelques idées sur l’importance de l’hygiène et notamment celle des mains pour sensibiliser les patients. La perspective de la contamination par le virus de la grippe A avait momentanément mobilisé les populations autour de cette problématique, mais, hélas, le soufflé est vite retombé », déplore Isabelle. D’autant que la contamination des mains ne se voit pas forcément : « Si les mains sont souillées, cela se voit – macroscopiquement parlant – mais lorsqu’elles sont simplement contaminées, il n’y a pas de signal visuel direct », précise Nathalie, infirmière en hospitalisation à domicile (HAD) dans la métropole lilloise. Il est pourtant du devoir de l’infirmière d’informer le patient sur ces risques invisibles. « Cela fait partie de l’éducation à la santé », rappelle Nathalie, ainsi que des missions du métier d’infirmier, comme l’indique le décret 81-539 du 12 mai 1981
Et quand l’infirmière n’arrive pas à se faire entendre, elle s’adapte pour maintenir un minimum de conditions correctes d’hygiène : « Pour les plaies, on revient plus souvent faire les soins quand on sait que le patient a une hygiène douteuse. J’ai même fait venir une patiente au cabinet car j’estimais qu’elle ne voulait rien entendre sur les risques auxquels elle s’exposait chez elle et qu’elle se mettait en danger. Les conditions dans lesquelles je devais réaliser ses pansements étaient franchement déplorables : il n’y avait pas un seul centimètre carré qui ne soit encombré ou sale dans la pièce où elle me recevait pour ses soins », explique Loïc, infirmier à Narbonne.
De son côté, Isabelle a appris à aménager son poste de travail à domicile : « Pour les prises de sang, le laboratoire me fournit une boîte avec les tubes et l’aiguille à l’intérieur… J’ai pris l’habitude de poser ce dont j’ai besoin à l’intérieur de la boîte ouverte pour que cela ne soit pas en contact avec la table ou le lit des patients visités. » Une gestuelle à apprivoiser mais aussi des patients à convaincre !
(1) Infections liées aux soins réalisées en dehors des établissements de santé, Guide de prévention, janvier 2006.
(2) Le métier d’infirmier « comprend en outre différentes actions concernant l’éducation, la formation, l’encadrement et la prévention en matière de santé et d’hygiène ainsi que l’application et la promotion de mesures contre l’infection et la contagion ».
« L’éducation à l’hygiène fait partie du rôle propre de l’infirmière : il est nécessaire d’y faire référence dans la pratique quotidienne. Mais il est aussi difficile de donner des conseils d’hygiène à des gens que l’on rencontre pour la première fois, ces conseils pouvant être vécus comme des critiques. Chez les patients où je me rends tous les jours, l’éducation à l’hygiène de base est plus facile, le courant passe mieux. En ce qui concerne l’exercice du métier d’infirmière, il nous appartient de respecter ou de faire respecter les règles d’hygiène strictes, quel que soit l’environnement : en premier lieu avec l’hygiène des mains, facilitée par l’usage de solutions hydro-alcooliques, mais aussi en demandant aux patients de stocker le matériel de soins dans un endroit propre réservé à cet effet et d’avoir un minimum de surface propre pour travailler. Enfin, de mon côté, je respecte une chronologie dans les patients à visiter pour éviter de contaminer un patient fragilisé. »
L’élargissement de la définition d’infections nosocomiales à la notion d’infections liées aux soins en septembre 2004 nécessite un ensemble de recommandations spécifiquement dédiées à l’exercice libéral. C’est dans ce contexte que la Haute Autorité de santé (HAS) a émis en juin 2007 des recommandations
* Guide de 275 pages téléchargeable sur l’adresse raccourcie http://bit.ly/qvzbJU.
Quel geste les infirmières doivent – elles privilégier pour un maximum d’hygiène d’un patient à l’autre ? Il faut insister le plus possible sur l’hygiène des mains. Quand il n’est pas possible de se laver les mains chez le patient, il faut user des solutions hydro-alcooliques afin d’effectuer une désinfection des mains. L’usage des gants en libéral est-il compatible avec l’exercice infirmier ? Tout à fait. C’est un dispositif intéressant pour se protéger et protéger le patient, surtout quand l’infirmière n’a pas accès à un point d’eau pour se laver les mains. Des conseils pour se prémunir des infections à domicile ? Il faut éviter les infections croisées, donc, ne pas utiliser le même matériel d’un patient à l’autre, surtout pour les soins contaminants. Mais pour les soins plus invasifs, l’infirmière a tout intérêt à travailler avec des kits stériles prescrits par le médecin. Se pose aussi la question de l’évacuation des déchets. L’infirmière étant productrice de ces déchets de soins, elle se doit d’en débarrasser le patient et ne pas les jeter avec les déchets ménagers ! Quid des bonnes pratiques ?
Les bonnes pratiques en libéral existent mais je dirai qu’il faut se rapprocher de l’exercice hospitalier pour réaliser les soins : d’ailleurs, il y a de plus en plus d’hospitalisation à domicile, on ne doit pas faire de différence. Les règles de bonnes pratiques en hygiène sont autant valables à l’hôpital qu’à domicile.
Les objets de la vie courante sont porteurs de germes de toutes sortes. Une étude menée par le laboratoire d’hygiène de la ville de Paris en 2008 montre que de très nombreuses bactéries ont été identifiées sur les lunettes : dans un tiers des 23 paires de lunettes analysées, on retrouve des staphylocoques, dont 9 % du très redouté staphylocoque doré ! Plus douillet, le cas de l’oreiller : une récente étude britannique conclut qu’après deux ans d’usage, plus d’un tiers du poids d’un oreiller est composé de peaux mortes, de bactéries, d’acariens vivants ou morts et d’excréments d’acariens… Pire, dans certains cas, des staphylocoques dorés résistants aux antibiotiques ou des virus comme celui de la grippe ou de la varicelle ont également été détectés.
S’EN LAVE LES MAINS
Cet ouvrage passionnant et faussement léger regorge d’infos et de conseils pratiques sur nos mauvaises habitudes de tous les jours. L’étude sur les traces d’urines relevées sur un bol de cacahuètes au comptoir vient de là ! Un secret : l’auteur, spécialiste de l’hygiène, a travaillé avec le Pr Squinazi…
Dr Frédéric Saldmann, Flammarion, 2007. Existe en poche.
LE GRAND MÉNAGE
Sous-titré Tout ce qu’il faut éliminer pour être en bonne santé, ce nouvel opus explore avec bonheur les pistes ouvertes avec le précédent.
Dr Frédéric Saldmann, Flammarion, 2008.