JAPON
Initiatives
Ravagée par le tsunami du 11 mars dernier, la petite ville de Minamisanriku, située à quelque 85 kilomètres de l’épicentre, redessine son réseau de santé sur une page blanche. Le soin à domicile, plus que jamais, représente la priorité pour une population très âgée et peu mobile.
Tantôt elle rit, tantôt elle pleure. Madame Tabata, 83 ans, vit dans le gymnase d’un collège, sur quelques mètres carrés de matelas. La vieille femme est une rescapée du tsunami du 11 mars, celui qui a ravagé sa ville et tant d’autres sur 600 kilomètres de côte au nord-est du Japon. Deux mois plus tard, la doyenne du refuge est toujours hantée par les images terribles de parents et d’amis emportés sous ses yeux. Les allers-retours de vagues géantes ont malheureusement laissé peu de blessés… « Taihen, taihen (c’est dur, c’est dur) », répète-t-elle.
Au fil du discours, Tabata ressasse aussi le mot « arigato (merci) », car ses enfants sont saufs. Elle appelle auprès d’elle Haruka, une petite fille occupée à ses devoirs sur un tatami voisin. Âgée de 10 ans, celle-ci a perdu son père dans le tsunami. Son grand frère de 15 ans a arrêté l’école pour travailler. « Taihen, Taihen. »
Une infirmière du service de santé publique rejoint Mme Tabata sur son tatami : Fumi Okada est envoyée par la préfecture de Kochi (île de Shikoku), située à plus de 900 kilomètres au sud du pays. « Depuis les premiers jours de la catastrophe, nous venons une semaine sur deux à Minamisanriku. En alternance avec des collègues, je rends visite aux sinistrés dans les centres d’hébergement. Je les ausculte, prends leur tension, vérifie le suivi de leur traitement et leur état de santé général. Et, surtout, je les écoute. » Agenouillée au bord du matelas, la professionnelle hoche la tête et invite la vieille dame à se confier. « Parler les soulage, explique-t-elle. Ces personnes vivent depuis plus de deux mois en communauté, de façon précaire. Ils ne souffrent plus du froid ni de la faim, mais du stress et du manque de sommeil. Ils ont tout perdu, et l’avenir est sombre. Dans ce contexte, notre rôle est avant tout préventif et psychologique. »
Le collège en question héberge plus de 200 personnes. Bâti sur les hauteurs, il offre une vue plongeante sur Minamisanriku, dont 95 % des bâtiments ont été détruits. La ville est située à 85 kilomètres de l’épicentre du séisme géant. En forme de delta, elle a accueilli le tsunami : la mer s’est engouffrée jusqu’à 4 kilomètres dans les terres, le long des rivières, et le sol s’est affaissé de 75 centimètres.
Les 17 700 habitants de Minamisanriku n’ont eu que trente minutes pour réagir après les violentes secousses. Officiellement, 1 206 personnes sont mortes ou portées disparues. La station balnéaire, réputée pour ses algues et ses oursins, son air pur et ses petites plages de rêve, n’est plus qu’un immense terrain vague où domine une odeur de mort, où les rapaces ratissent le ciel.
Du collège, on aperçoit l’hôpital public Shizugawa, le plus gros bâtiment encore debout. Les vagues y ont pourtant atteint le troisième étage. Seuls 34 patients sur 109 ont pu être montés sur le toit, et sauvés. Les autres ont été emportés. Sur les parois de l’hôpital, des filets de pêche sont emmêlés aux fenêtres. Un bateau y tient encore en équilibre.
Mais comment reconstruire sur le néant ? Par où commencer ? Peut-on revivre dans une cuvette exposée à l’océan ? Doit-on abandonner la pêche, pour imaginer autre chose ? À toutes ces questions, le docteur Nishisawa tente de répondre. Il était l’un des cinq médecins de l’hôpital Shizugawa. « Le sixième vient de partir à la retraite, regrette-t-il. Nous vivions déjà avant le tsunami une pénurie chronique de praticiens. Aujourd’hui, c’est catastrophique. Outre l’hôpital public, la ville comptait six cliniques, toutes détruites. Seules deux structures ont promis de reprendre leurs activités. Les autres jettent l’éponge. »
Le cataclysme a mis tragiquement en exergue les failles du système de santé japonais dans ces régions au tissu économique fragile. À Minamisanriku, un tiers de la population avait plus de 65 ans en février dernier. La ville ne comptait déjà plus de psychologue ni de gynécologue, par exemple : les femmes devaient se déplacer jusqu’à Tome ou Ishinomaki, à plus de trente minutes en voiture. Mais la plupart des véhicules ont été réduits à l’état de carcasses. « Nous pouvions compenser la pénurie de personnel médical par des visites à domicile. Mais c’est devenu difficile. Notre priorité est de renforcer les soins aux personnes âgées dépendantes et immobilisées. »
Depuis le tsunami, le docteur Nishisawa exerce à l’Arena, un complexe sportif reconverti en refuge, en centre administratif et de santé pour la ville. Il a dû faire face à divers degrés d’urgence, auprès des rescapés bloqués chez eux et des réfugiés – en juin, 2 414 personnes vivaient encore dans 23 centres d’hébergement. « Juste après la catastrophe, j’étais le seul médecin à l’Arena, se souvient-il. Je recevais 300 à 400 patients par jour. Une quarantaine de personnes étaient immobilisées, souvent pour cause de fractures ou d’infection pulmonaire, à la suite d’inflammations causées par l’eau de mer dans les poumons. Tout cela s’est aggravé avec le froid et la neige. Puis de l’aide extérieure est arrivée. Les malades les plus critiques ont pu être transportés par hélicoptère dans des hôpitaux de l’arrière-pays, tandis que d’autres personnes arrivaient à pied tous les jours. »
Après une semaine, l’Arena a pu porter ses efforts sur d’autres refuges – en plaçant dans certains d’entre eux du personnel médical permanent – et secourir les personnes à domicile grâce à des rondes de santé. Les patrouilles mobiles ont concentré leurs visites dans des maisons associatives, transformées en cliniques de quartier. « Dans les premiers temps, nous avons beaucoup manqué de médicaments, contre l’hypertension et le cholestérol notamment, poursuit le docteur. Puis les routes ont été dégagées, la fourniture d’essence s’est régularisée, et la chaîne d’approvisionnement a repris un cours presque normal, avec les grossistes habituels de Minamisanriku et l’aide d’autres régions. Aujourd’hui, les livraisons sont quotidiennes. »
Dans la seconde quinzaine du mois d’avril, la municipalité est sortie de l’urgence. En mai, un hôpital provisoire a vu le jour aux pieds de l’Arena. Le bâtiment préfabriqué, unique structure de santé de la ville, accueille quotidiennement 200 à 250 personnes en consultation. Un service gratuit de navettes fait le lien avec les différents centres d’hébergement et les maisons de quartier.
« Tout est loin d’être parfait. Le niveau d’hygiène n’est pas satisfaisant, déplore Masahiro Goto, administrateur de l’hôpital. Les toilettes de fortune, extérieures, sont sommaires. Les couloirs sont ouverts à la pluie et au vent. En termes d’équipement, le peu de matériel que nous ayons n’est pas très moderne. Nous utilisons un appareil de radiographie à rayons X, sans enceinte de confinement pour intercepter les radiations. Et il nous manque une cinquantaine de lits. Pour l’heure, nous hospitalisons 39 patients dans une salle prêtée par la ville voisine de Tome. » De là à construire un nouvel hôpital, le chemin promet d’être long. « Dans un premier temps, nous voulons bâtir une autre structure provisoire, offrant une meilleure hygiène, mais la ville manque de place et de terrains plats. Il est difficile d’envisager autre chose avant un an. »
Si l’aide humanitaire est au rendez-vous, grâce à des centaines de volontaires venus de Tokyo et d’ailleurs, et plutôt bien structurée, la municipalité manque de personnel qualifié. L’aide psychologique apportée par les ONG ne peut se substituer à une véritable prise en charge. « Nous avons besoin de renfort médical sur le long terme, de docteurs et d’infirmières prêts à s’installer dans notre ville, ainsi que de véhicules pour rendre visite aux habitants. » À côté de ces urgences, d’autres problématiques comme la menace nucléaire, plus de cent kilomètres au sud, paraissent encore secondaires.
Le statut d’infirmière libérale n’existe pas au Japon. Mais il existe des kango stations, ou “stations de soins”, groupements de plusieurs professions liées aux prestations à domicile. Ces entreprises fournissent des soins infirmiers, de la kinésithérapie, des bains, et des services d’aides-soignants (helpers). Ces activités sont coordonnées par un directeur de soins, en lien avec le médecin traitant ou l’hôpital de référence du patient. Depuis 2000, le Japon a créé une assurance obligatoire (dès 40 ans) destinée à couvrir les soins de longue durée aussi bien en institutions qu’à domicile.