L'infirmière Libérale Magazine n° 274 du 01/10/2011

 

Aide à domicile

Dossier

Dans ses conclusions, le débat national sur la dépendance appelle au développement de l’aide à domicile. Les auxiliaires de vie sont ainsi amenées à prendre de plus en plus de place au chevet des personnes en perte d’autonomie. De quoi évincer les infirmières libérales ?

Elles emportent l’enthousiasme populaire. Les aides ménagères et auxiliaires de vie ont largement suscité l’intérêt des participants au débat national sur la dépendance(1) qui s’est clos en juin. Si bien que Roselyne Bachelot-Narquin, ministre des Solidarités et de la Cohésion sociale, a confié à Bérengère Poletti, la députée ardennaise, une mission parlementaire visant à évaluer les difficultés des services d’aide à domicile et à proposer des solutions. Elle devrait rendre son rapport définitif en décembre. D’ici là, parmi les infirmières libérales, les discussions ne sont pas près de cesser…

Au sein de la profession, en effet, l’essor des services à la personne soulève encore bien des questionnements. Pendant que certaines Idels y voient l’occasion de valoriser leur rôle, d’autres craignent un délitement de leurs attributions. Le fossé se creuse à force que, sur le terrain, les publicités en tous genres foisonnent. Du soutien scolaire au portage de repas jusqu’au ménage et au jardinage, les offres ne manquent pas. Dans cette large palette de prestations, l’aide à la toilette, au lever et au coucher des personnes en perte d’autonomie tient une place prépondérante. De quoi s’attirer les foudres des infirmières installées dans les zones où s’implantent ces structures.

PARTIE ÉMERGÉE DE L’ICEBERG

En témoigne l’expérience d’Alexandre Lacorre, cogérant de l’agence All Services de Beaulieu-sur-Mer (06), une enseigne du réseau de franchises initié en 2007 par Marcel Affergan, président de Convergence infirmière (lire ci-après, voir également notre dossier Des soins de marques paru dans L’ILM n° 254). « Nous avons subi des intimidations et des menaces, confie le gestionnaire. Pendant deux ans, nous n’avons eu aucun client sur la ville de Beaulieu. Nous sommes allés à la rencontre des infirmiers libéraux pour expliquer notre démarche puis la situation s’est assouplie. »

Pour sûr, l’aide à la toilette et aux gestes de manutention, proposée par All Services à grands coups de réclame (sur leur site Internet notamment), cristallise les tensions. Même si Jean-François Limelette, cogérant de l’établissement de Beaulieu, assure privilégier « la piste infirmière » pour répondre à ce type de demande de la part de sa clientèle, la confusion règne. D’autant que, comme le veut l’enseigne, ce dernier assume le rôle d’infirmier coordinateur de la société tout en ayant, par ailleurs, un cabinet libéral. « À Beaulieu, les confrères ont cru que je cherchais à détourner leur patientèle. Mais mon cabinet se trouve à Nice, se défend-il. Cela a permis de bien distinguer les deux activités. »

N’en demeure pas moins que les Idels ont de quoi sentir leurs prérogatives rognées par les services à la personne, a fortiori lorsque ces établissements proposent des plages horaires plus vastes que les leurs…

Difficile de rivaliser, surtout lorsque lesdites structures vantent leurs facilités de paiement liées aux Chèques emploi service universel (CESU) et aux abattements fiscaux qui découlent de l’emploi à domicile. La concurrence prend parfois même des tournures très agressives, comme l’évoque Catherine Kirnidis, secrétaire général du Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (Sniil) : « Cela a été très difficile pour des infirmières qui voulaient s’installer dans un petit village du Vaucluse où une association d’aide à domicile avait pignon sur rue. Tout le monde y était habitué, les habitants comme le médecin. À ma connaissance, elles ont dû renoncer. »

GLISSEMENT DES TACHES ?

« Il y a un glissement des pratiques. On n’a pas à opposer les professionnels du social et du sanitaire », commente Philippe Tisserand, président de la Fédération nationale des infirmiers (FNI). Les lignes de démarcation semblent en effet de plus en plus poreuses. Le phénomène est d’autant plus criant lorsque les infirmières elles-mêmes rechignent à faire les toilettes. « Certaines considèrent que cela relève du rôle de l’aide-soignante et ne veulent pas s’en occuper », admet Yann Frat, Idel et blogueur (voir page suivante). S’ajoutent à cela les médecins qui prescrivent des passages d’auxiliaires de vie sociale (AVS), comme c’est le cas dans l’exemple cité précédemment par Catherine Kirnidis (Sniil).

« Le même cas s’est présenté pour les kinés : les syndicats et associations ont insisté sur le fait que la jurisprudence vise l’acte réalisé et le libellé mis en avant pour le réaliser, et pas seulement la prescription de l’acte », analyse David Guillon, élu départemental de l’Ordre infirmier dans les Alpes-Maritimes, suite à l’interpellation d’un Idel. Reste à savoir ce qu’en disent les instances nationales – que nous ne sommes pas parvenus à joindre… Toujours est-il que la réglementation apporte un début de réponse, comme l’explique David Guillon : « Le décret relatif à la NGAP infirmière précise, par son article 11 relatif à la DSI, que les IDE libéraux peuvent assurer un rôle de relais vis-à-vis des prises en charge AVS (AIS 3.1) et suivre un patient de façon hebdomadaire quand il ne relève pas de soins infirmiers mais présente des risques de perte d’autonomie (AIS 4). »

Si l’ensemble des témoins interrogés dans le cadre de ce dossier reconnaissent, sans exception, l’importance des aides à domicile, tous réclament aussi une meilleure lisibilité des actions menées par ces auxiliaires. Le dialogue de terrain, prôné par Catherine Kirnidis, apparaît comme une première démarche. Mais elle reste limitée à une zone géographique donnée.

COORDINATION OU CONCURRENCE ?

La nécessité de mieux coordonner actions sanitaires et sociales s’accentue chaque jour. Résultat : certaines organisations ont pris les devants… « Il existe aujourd’hui un paysage d’associations spécialisées soit dans les soins, soit dans l’aide, commente la directrice de communication de l’Aide à domicile en milieu rural (ADMR). Notre idée est d’accompagner les personnes dans leur globalité. C’est pour cette raison que nous développons maintenant des Ssiad (Services de soins infirmiers à domicile, ndlr), en parallèle à nos services d’aide à la personne. »(2)

Pour éviter que la situation ne leur échappe, certains syndicats tentent d’imposer le concept d’infirmière référente. Dans sa contribution au débat national sur la dépendance, le Sniil note que « 60 % de l’activité des 70 000 infirmières et infirmiers libéraux concerne la prise en charge de personnes dépendantes ». Le syndicat propose de ce fait que « les infirmières libérales soient enfin intégrées dans tous les dispositifs d’évaluation et d’organisation de la dépendance […]. L’organisation institutionnelle de la prise en charge de la dépendance doit intégrer la formalisation d’une coopération avec les infirmières libérales ». Dans la même logique, la FNI suggère « d’instaurer un dispositif d’infirmières référentes, conformément aux engagements pris par le bureau de l’OMS pour l’Europe, et ainsi de doter la profession d’outils fiables et partagés pour évaluer les situations individuelles et définir des plans de prise en charge personnalisés ».

Un premier pas semble avoir été franchi en ce sens à travers l’avenant n° 3 à la Convention nationale des infirmiers libéraux du 22 juin 2007(3). Ce document, signé le 24 juin dernier par quatre syndicats (Convergence infirmière, FNI, Onsil et Sniil) et l’Union nationale des caisses d’Assurance maladie (Uncam), appelle à « mettre en place des dispositifs, en coordination avec les différents acteurs concernés, aussi bien dans le secteur ambulatoire qu’hospitalier ou médico-scial, favorisant et améliorant le maintien ou le retour à domicile des patients ». Cela se traduirait, toujours selon ce texte qui attend la validation du ministère, par une « majoration spécifique, appelée MCO, d’une valeur de 5 euros par passage de l’infirmière pour la prise en charge des patients en soins palliatifs et des patients nécessitant des pansements complexes pour les soins les plus lourds, notamment les escarres et les plaies chroniques. Cette majoration visera à valoriser le rôle dévolu à l’infirmière en matière de coordination, de continuité, et l’environnement des soins ».

MANQUE DE FORMATION

Cette volonté de mieux réguler l’offre d’aide à domicile ne résout cependant pas le problème majeur du secteur. Comme en atteste le groupe de travail n° 3 (Accueil et autonomie des personnes âgées) du débat national sur la dépendance, la formation des intervenants paraît encore insuffisante. D’après son rapport(4), « 62 % n’ont aucun diplôme du secteur sanitaire ou social ». Quant aux salariées en emploi direct, elles « ont un niveau d’études moins élevé et moins a dapté au métier d’aide à domicile que leurs collègues exerçant exclusivement en mode prestataire […]. Elles possèdent notamment rarement (3 %) le diplôme d’État d’auxiliaire de vie sociale (DEAVS) ou le Certificat d’aptitude aux fonctions d’aide à domicile (Cafad), alors que plus d’un tiers des salariées des organismes prestataires le détiennent »(5). Ces carences expliquent sans doute les bévues relevées par nos témoins…

Pour redorer leur blason, les organismes d’aide à domicile pointent les agréments accordés par leurs tutelles et sans lesquels il leur serait impossible d’exercer. La SARL Aide et Sérénité – All Services dispose pour sa part d’un arrêté préfectoral l’autorisant à fournir des services à la personne. Ce document officiel en dresse une liste précise. « Cet agrément arrive bientôt à échéance, indique Alexandre Lacorre. Nous sommes donc dans une procédure en vue d’obtenir la certification Qualisap délivrée par le bureau Veritas. » Si la démarche est méritoire, suffit-elle pour autant à combler les lacunes ? Toujours selon Alexandre Lacorre, cet « agrément implique un plan de formation précis pour l’année suivante et un taux de salariés diplômés ou en cours de validation en augmentation ». Il n’impose en revanche pas de taux minimal…

À ces imprécisions, s’ajoutent de nombreuses questions encore en suspens, à commencer par celle de la responsabilité des intervenants à domicile ou encore celle du financement du cinquième risque… Pour l’heure, d’après le rapport du groupe de travail n° 4 du débat national de la dépendance, « les caisses de Sécurité sociale sont de loin les principales contributrices à la dépendance, avec des dépenses d’environ 15 Md€ (62 % de la dépense) ». Alors que l’Assurance maladie peine chaque année à boucler son budget, cette charge croissante liée à la perte d’autonomie des personnes âgées pourrait de plus en plus creuser les comptes. À moins que les conseils généraux, compétents dans le domaine social, ne soient davantage mis à contribution ? Le tournant est peut-être déjà amorcé…

(1) Concernant la réforme à proprement parler, un « nouveau point sera fait début 2012 » a annoncé Roselyne Bachelot début septembre. Dans les faits, ce report entraîne la prolongation de la prise en charge de la dépendance par les conseils généraux.

(2) Malgré une demande auprès de l’Union nationale de l’aide, des soins et des services aux domiciles (Una), notre rédaction n’a pas pu trouver d’interlocuteur au sein de cette organisation représentative pour une interview à ce propos.

(3) Lire notre actualité page 9, parue dans L’ILM n° 273.

(4) Les rapports publiés à l’issue du Débat national sur la dépendance sont téléchargeables sur www.cinquieme-risque.fr.

(5) Le diplôme d’État d’auxiliaire de vie sociale (DEAVS) est régi par la circulaire DGAS/SD 4A n° 2007-297 du 25 juillet 2007.

Témoignage

« Créer le statut d’infirmière référente »

Philippe Tisserand, président de la Fédération nationale des infirmiers (FNI)

« Dans les faits, l’infirmière libérale s’occupe de beaucoup de choses, sans pour autant en avoir la légitimité. Il existe en effet aujourd’hui de plus en plus de services indispensables qui interviennent aux domiciles de nos patients. On leur alloue des heures. Mais il y a un problème de coordination… Or le métier d’infirmière se situe, par nature, au confluent du médical et du paramédical. C’est pourquoi la FNI a proposé de créer le statut d’infirmière référente, en s’appuyant sur des directives de l’OMS et les travaux du HCAAM (Haut Conseil pour l’avenir de l’Assurance maladie). Pour y parvenir, nous avançons pas à pas. L’avenant n° 3 à la Convention nationale de 2007 devrait apporter un jalon de plus. »

Témoignage

« Une mauvaise évaluation des besoins »

Jean-François Limelette, Idel à Nice et cogérant de l’agence All Services de Beaulieu-sur-Mer (06)

« L’idée d’ouvrir une structure d’aide à domicile est venue d’un constat récurrent sur le terrain. Les familles se plaignaient souvent du peu de formation et de ponctualité des intervenants. De plus, je me suis aperçu que les problèmes étaient souvent dus à une mauvaise évaluation des besoins. Faut-il seulement une compagnie ou plutôt une aide sur des tâches spécifiques ? Je suis chargé de répondre à ce type de questions au sein de la SARL Aide et Sérénité – All Services*. J’interviens en tant qu’infirmier coordinateur, tout comme formateur auprès des salariés. Dans un premier temps, je me déplace au domicile de nos clients pour définir leurs besoins. S’il faut une aide à la toilette, je privilégie toujours la piste infirmière. Il est vrai qu’il est parfois difficile de trouver une IDE disponible aux horaires souhaités… »

*www.allservices.fr

Interview Nicole Bouchard, auxiliaire de vie sociale dans les Bouches– du-Rhône (13)

« Pas le droit de faire le nursing »

Dans quelles conditions avez-vous débuté ce métier ?

J’ai commencé en 2006. Je venais de prendre ma retraite. Cela m’a permis de compléter mes revenus mais aussi de ne pas rester isolée. C’est une activité qui, en soi, n’est pas gratifiante, mais qui apporte une relation à l’autre.

En quoi consistent vos missions ?

Ce n’est jamais la même chose. Il peut s’agir de préparer des repas, de jouer le garde-malade, de s’occuper des enfants, de faire le ménage… Mais je n’ai pas le droit de faire le nursing. L’association pour laquelle je travaille dispose d’un Ssiad [Service de soins infirmiers à domicile, ndlr]. C’est lui qui se charge des soins de nursing, des levers ou des couchers. Il m’arrive parfois – mais c’est plutôt rare – d’aider au coucher. Je n’ai pas reçu de formation pour cela.

Quelle est votre relation avec les soignants ?

Je les croise mais nous n’avons pas de contact. Il arrive souvent que des infirmières nous laissent des consignes, par l’intermédiaire des familles ou d’autres intervenants.

Témoignage

« C’est parfois une catastrophe ! »

Yann Frat (pseudonyme), Idel et auteur du blog “Un infirmier dans la ville”*

« J’ai le sentiment qu’on a retiré des tâches aux infirmiers… La preuve : je suis en contact avec une AVS qui reçoit des prescriptions de médecins ! Je ne suis pas syndiqué, mais tous les soins de dépendance semblent glisser du secteur médical vers le secteur social. Nous sommes en train de perdre les toilettes. Et ce n’est même pas au profit des aides-soignantes, qui sont pourtant bien formées pour cela ! Je ne nie pas le rôle des AVS : il est vraiment utile, de par la présence humaine non médicale qu’elles apportent aux patients. Cela dit, je passe régulièrement après des AVS qui interviennent seules. C’est parfois une catastrophe ! J’ai d’ailleurs pu le constater chez une dame que je soignais suite à une dérivation péritonéale. Je n’avais pas le temps de faire la toilette. J’avais un peu fermé les yeux, d’autant qu’on m’avait dit que l’AVS s’en occupait… Au bout de quinze jours, je me suis aperçu que l’AVS faisait la toilette sans retourner la dame ! Cela lui a provoqué un début d’escarre. Il faut que les médecins aient conscience que notre rôle ne se limite pas seulement à laver les malades. »

* http://yannfrat.com (précédemment http ://idedanslaville.canalblog.com)

en savoir +

→ GUIDE PUBLIÉ PAR LA CFDT portant sur les compétences des auxiliaires de vie sociale (AVS). Daté de mars 2009, ce fascicule s’appuie sur le référentiel de la profession. Il tente notamment de délimiter la frontière entre aide à la toilette et toilette : www.cfdt.fr/content/ medias/media19660_RpSdlbMzFBILFUx.pdf

→ BLOG D’UNE AVS qui se décrit comme « aide-ménagère, confidente, dame de compagnie, souffre-douleur, taxi… » : vieuxetmerveilles.blogspot.com

Témoignage

« Savoir où se trouve la limite entre le soin et l’aide »

Catherine Kirnidis, secrétaire générale du Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (Sniil)

« La grande difficulté est de savoir où se trouve la limite entre le soin et l’aide. En règle générale, les auxiliaires de vie accompagnent les personnes dans les gestes de la vie courante. Dès lors que l’on se trouve face à des personnes en situation de dépendance, il existe un risque de dérive. J’ai eu le cas d’une AVS qui s’était permise de modifier une prescription médicale : elle avait donné deux comprimés de lazylix à ma patiente en une prise au lieu de deux. La dame a fait une chute de tension… Il y a aussi ces cas où l’aide à domicile se charge de mettre les bas de contention à un malade alors que c’est pourtant le rôle de l’infirmière ! Pour éviter les problèmes, il suffit d’expliquer aux auxiliaires de vie le rôle de chacun. J’ai pu m’en rendre compte quand j’avais dispensé une formation au personnel de l’ADMR d’Avignon, sur l’initiative de l’association elle-même. Les AVS m’avaient alors confié leurs difficultés.

Elles m’avaient dit par exemple qu’elles n’utilisaient pas le même cahier de liaison que les infirmières pour respecter le secret médical. Pourtant ce carnet reste chez le patient, au vu et au su de tous. »