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RESTRUCTURATION → Après avoir vécu des mois incertains, l’Ordre national des infirmiers (Oni) prend des dispositions pour assurer sa survie. Les conseillers nationaux ont en effet adopté, mi-septembre, un plan de restructuration exigé par les partenaires financiers de l’instance.
Avec une gestion financière en dents de scie depuis sa création, l’Oni a frôlé cet été la cessation de paiement avec un déficit d’environ 8 millions d’euros. S’il a été sauvé in extremis par la Banque Populaire – Caisses d’épargne (BPCE), celle-ci a exigé un plan de restructuration pour redresser les comptes.
Ce plan, adopté mi-septembre par le Conseil national de l’Ordre avec 36 voix contre 5, mais pas encore approuvé par la BPCE*, maintient le président par intérim, Didier Borniche, à sa tête. Quelques jours avant le vote, le successeur de Dominique Le Bœuf avait réaffirmé l’ambition de l’Oni d’assurer « les missions de service public que la loi lui a confiées » et exclu de réduire son rôle à une fonction « purement technique et administrative » de tenue du tableau d’inscription. Pour remplir ce rôle et « atteindre l’équilibre dans les meilleurs délais », des mesures drastiques ont été prises dans le plan de restructuration, comme la fermeture des bureaux départementaux de l’Ordre, jugés « trop coûteux », le regroupement des locaux au niveau régional, la disparition de 75 emplois en équivalent temps plein et le déménagement du siège national, situé en plein cœur de la capitale. Au niveau des recettes, le plan mise sur une large progression du nombre d’inscrits à jour de leur cotisation avec un objectif fixé à 90 000 professionnels d’ici la fin de l’année, contre 64 926 à ce jour. « La nouvelle commission de communication va réfléchir aux moyens à déployer pour convaincre les infirmiers de l’utilité de l’Ordre et les faire adhérer », souligne Emmanuel Boularand, trésorier adjoint au national.
Face à cette nouvelle politique, certains élus locaux de l’Oni ont démissionné de leur fonction pour manifester leur désaccord et surtout leur mécontentement d’être tenus dans l’ignorance. Philippe Tisserant, président de la Fédération nationale des infirmiers (FNI) et conseiller national, fait partie des démissionnaires “surprises“ de cette seconde quinzaine de septembre. « Ce n’est plus l’Ordre dont les infirmiers ont rêvé, et moi le premier. Autonome financièrement et politiquement, démocratiquement représenté avec des gens élus, des infos qui circulent et une représentation de terrain au niveau départemental. Ce n’est plus le cas. Les 47 pages du plan de restructuration n’ont même pas été communiquées aux conseillers nationaux… Nous demander d’adopter un plan sans l’avoir lu, c’est inacceptable. » Contacté par L’ILM, le ministère de la Santé se refuse à porter un jugement sur le contenu du plan de restructuration, car « l’Ordre est un organe indépendant ». « Il est cependant dommage que l’instance ait attendu si longtemps avant de prendre de telles mesures », a fait savoir le ministère.
Du côté des autres syndicats, le plan de restructuration ne fait pas clairement l’unanimité. Le Syndicat des infirmières et infirmiers libéraux (Sniil) est le seul à apporter son soutien à la restructuration de l’Oni. « Nous pensons que c’est jouable, a fait savoir la présidente du Sniil, Annick Touba. Je fais confiance au nouveau président et à son équipe. » Toutefois, comme les autres syndicats, le Sniil a rappelé qu’il « s’opposerait à toutes mesures coercitives obligeant les infirmières libérales à cotiser sous peine de déconventionnement ». « Si l’Ordre veut prendre des mesures coercitives, elles doivent s’appliquer aussi bien aux infirmiers salariés qu’aux infirmiers libéraux », a prévenu la présidente.
Le ministre de la Santé, Xavier Bertrand, avait manifesté cet été sa préférence pour un Ordre dont la cotisation serait facultative pour les salariés, car, d’après le ministère, « un Ordre ne peut pas se construire sur une contrainte à payer, il s’agit d’une mauvaise orientation ». À l’Oni, les élus affirment qu’aucun texte gouvernemental n’est prévu pour aller dans ce sens. « Je pense que le statu quo va se maintenir, indique Emmanuel Boularand. D’autant plus qu’une cotisation facultative serait un précédent pour les autres Ordres. » « L’Ordre représente toute une profession, les modalités ne peuvent pas être différentes entre les infirmiers », poursuit Thierry Amouroux, président du Conseil départemental de l’Ordre infirmier de Paris.
Les syndicats ont également rappelé que la loi de 2006, portant création de l’Ordre, stipule que la cotisation doit être versée par toute personne inscrite au tableau. De fait, la FNI, l’Organisation nationale des syndicats des infirmiers libéraux (Onsil), Convergence infirmière et Résilience menacent d’appeler leurs adhérents à ne plus payer leur cotisation pour éviter une rupture d’égalité entre les infirmiers libéraux et les salariés. « Il serait naïf de penser que les infirmiers salariés vont payer leur cotisation alors que leur ministre de tutelle leur dit de ne pas le faire », estime Jean-Michel Elvira, président de l’Onsil. Et d’ajouter : « Nous ne savons pas si le plan de restructuration est viable car si les libéraux sont les seuls à cotiser, l’instance n’aura pas assez d’argent pour fonctionner et, de fait, n’aura plus de raison d’être. » Même discours du côté de la FNI qui ne voit pas l’intérêt pour les libéraux d’adhérer à un “Ordre 2” qui se verrait « privé de ses moyens d’actions et amputé de ses principales missions ». « Les caisses d’Assurance maladie ne feront pression que sur les infirmiers libéraux, pourquoi pas sur les infirmiers salariés ? », s’interroge Marcel Affergan, président de Convergence infirmière, qui estime qu’une instance « rejetée par 85 % de la profession ne peut pas exister ». Un point de vue partagé par Hugues Dechilly, secrétaire général de l’anti-ordre Résilience, qui persiste et signe : « Nous allons continuer le combat tant que l’Oni n’est pas mort. »
Face à ce désaveu syndical, le nouveau bureau de l’Oni veut cependant croire au soutien de cinq autres Ordres de professionnels de santé – médecins, pharmaciens, kinésithérapeutes, sages-femmes et chirurgiens-dentistes. « Nous avons tenu un Comité de liaison inter-Ordres la semaine dernière et nous avons décidé de soutenir l’Ordre infirmier », a fait savoir Patrick Fortuit, vice-président de l’Ordre des pharmaciens. Un soutien déjà – tardivement – affirmé à la fin du mois d’août, période à laquelle les Ordres avaient certes pointé du doigt « des erreurs de gestion » qui ont mis le « Conseil national de l’Ordre des infirmiers dans une situation financière périlleuse ». Mais « cette institution, chargée d’une mission de service public, regroupant l’ensemble des infirmières et infirmiers, quel que soit leur mode d’exercice, aux côtés des autres Ordres des professions de santé, est plus que jamais indispensable en tant que garant du respect de la déontologie et de la qualité de l’offre de soins ».
L’Oni devrait tenir une conférence de presse d’ici la fin du mois afin de présenter la mise en œuvre du plan de restructuration. Une présentation très attendue par les syndicats.
* À l’heure où notre magazine part chez l’imprimeur, nous apprenons que la BRED-Banque Populaire, partenaire financier de l’Oni, aurait accepté de prolonger sa ligne de crédit jusqu’au 30 septembre. À suivre sur notre site www.espaceinfirmier.com.
Depuis la réunion du Conseil national du 13 septembre, la présidence du bureau est assurée par Didier Borniche, infirmier au CHU de Rouen. Le bureau se compose par ailleurs de Karim Mameri (secrétaire général), infirmier cadre de santé à Elbeuf, de Jean-Yves Garnier (trésorier), infirmier libéral dans le Calvados. Les vice-présidents sont Sonia Ferré, infirmière libérale en Eure-et-Loire, Cécile Cayet, infirmier de santé au travail en Rhône-Alpes, et Olivier Drigny, infirmier anesthésiste au CHU de Dijon. Marilyne Pecnard, infirmière coordinatrice dans le Loir-et-Cher, est la secrétaire générale adjointe, et Emmanuel Boularand, infirmier de santé au travail à Paris, le trésorier adjoint.