L'infirmière Libérale Magazine n° 274 du 01/10/2011

 

Le Débat

Deux rapports récents s’en prennent à la fraude sociale. Un sujet qui devrait à nouveau faire l’objet d’échanges lors des débats parlementaires de l’automne.

Pierre Fender, directeur du contrôle contentieux et de la lutte contre la fraude à l’Assurance maladie

Selon le bilan 2010 de la lutte contre la fraude, des infirmières se seraient rendues responsables de 12,7 millions d’euros de fraudes en matière de prestations en nature. Qu’entend-on par prestations en nature ?

Il s’agit de tous les remboursements de soins, d’actes, de prescriptions ou de déplacements. Cela s’entend par opposition aux prestations en espèces que sont les indemnités journalières, les rentes ou l’invalidité.

Comment expliquer que les infirmières libérales soient à l’origine d’une telle fraude ?

La somme est élevée, mais la fraude ne concerne qu’une petite minorité de la profession, car l’ensemble travaille bien. Cela étant posé, l’Assurance maladie a fait de la fraude l’un de ses axes prioritaires depuis 2006. Plus on avance dans le temps, plus on est efficace. Nous mettons régulièrement en place des programmes nationaux sur telle ou telle profession. Cela a été le cas de la profession infirmière en 2008, de même que les médecins généralistes ou les masseurs-kinésithérapeutes. Les effets de ce programme ont été observés en 2009 et 2010. En 2008, les fraudes détectées chez les infirmières représentaient une somme de 4,7 millions d’euros, puis 11,7 millions en 2009 et 12,7 millions en 2010.

Combien d’infirmières étaient concernées l’année dernière ?

Sur l’année, nous avons lancé 65 ? procédures pénales et 21 saisines ordinales. Il y a donc un nombre très restreint de fraudeurs. On a par exemple détecté une infirmière qui avait facturé pour 50 000 euros d’actes non réalisés en 2008. Non seulement elle facturait des actes fictifs, mais en plus elle se faisait aider par une tierce personne non diplômée et non déclarée à l’Urssaf. Nous l’avons repérée parce que les personnes pour lesquelles elle avait facturé des actes étaient absentes au moment de ces soins supposés. Cette infirmière est privée de ses droits civiques et a été condamnée à une peine de 18 mois d’emprisonnement dont 12 avec sursis, sans compter le remboursement des sommes indues. Elle a fait appel.

Après ce programme national, vous attendez-vous à une diminution des fraudes ?

C’est ce que l’on souhaite. Là, il ne s’agit pas d’erreurs de nomenclature, on est dans de l’escroquerie ! L’Assurance maladie s’est engagée massivement sur ce sujet : on va continuer à détecter et faire sanctionner les fraudeurs, quels qu’ils soient. Je le rappelle, nous contrôlons tout le monde : les assurés, les professionnels de santé, les établissements, les transporteurs sanitaires, les fournisseurs. Nous ne diminuerons pas notre pression.

Dominique Tian, député UMP des Bouches-du-Rhône (13), auteur du rapport parlementaire d’information sur la lutte contre la fraude sociale (juin 2011)

Selon le bilan 2010 de la lutte contre la fraude, des infirmières se seraient rendues responsables de 12,7 millions d’euros de fraudes en matière de prestations en nature. Que pensez-vous du fait que des professionnels de santé puissent frauder ?

Si l’on rapporte ce chiffre au total de la fraude à la Sécurité sociale, que l’on estime autour de 3 milliards d’euros, ce n’est pas excessif. Les infirmières ne sont pas les responsables de la fraude. Plus de 99 % d’entre elles font bien leur travail. Les infirmières libérales sont une profession appréciée. Il n’est pas question de les montrer du doigt. Cela dit, à l’heure où l’on demande des sacrifices à la Nation, dans un pays où les gens paient des cotisations considérables, il est important que ce soit bien géré.

La France n’est cependant pas un cas à part en matière de fraudes.

C’est le moins que l’on puisse dire. En Grèce, il y a des milliers d’aveugles qui ne sont pas aveugles. La gestion dans ce pays a été très laxiste. Toutes proportions gardées, en France, la fraude reste de la mauvaise gestion. Cela n’amuse pas les parlementaires de dire que la gestion sociale est mauvaise, laxiste et dispendieuse. Mais on a aujourd’hui le courage de dire qu’il y a un souci. Xavier Bertrand avance par exemple qu’un arrêt de travail sur six n’est pas justifié. De surcroît, on apprend que les arrêts de travail progressent de trois jours par an dans la fonction publique territoriale…

Dans votre rapport, vous posez la question de la faiblesse des caisses pour lutter contre les fraudeurs.

Le mode de gestion de la Sécurité sociale n’est plus adapté. La Cour des comptes ne dit pas autre chose : on ne peut plus consommer des médicaments que nos petits-enfants paieront. On espère un PLFSS [Projet de loi de financement de la Sécurité sociale, ndlr] qui mettra les uns et les autres devant leurs responsabilités. L’essentiel du travail pédagogique est fait. Maintenant, il faut y aller. Comment peut-on moralement dépenser l’argent de nos petits-enfants ? Ne pas parler de ces sujets, c’est nier une réalité archi-connue, inacceptable. Des amendements seront déposés sur ce sujet.

« Les fraudes détectées chez les infirmières représentaient une somme de 4,7 millions d’euros en 2008, puis 11,7 millions en 2009 et 12,7 millions en 2010. »

« Les infirmières ne sont pas les responsables de la fraude. Plus de 99 ?% d’entre elles font bien leur travail. (…) Il n’est pas question de les montrer du doigt. »