LOIRET (45)
Initiatives
En marge de son activité d’infirmière libérale près d’Orléans, Pascale Barray-Mettoudi conçoit des tabliers de cuisine originaux. Depuis quatre ans, elle a créé quatre cents modèles, à partir de tissus de qualité dénichés dans des vide-greniers ou dans des boutiques spécialisées… Elle nous dévoile quelques-uns de ses secrets de fabrication.
À l’origine, il y a une histoire d’amour entre Pascale Barray-Mettoudi et les tissus. Aménagé dans une pièce de sa maison d’Olivet, dans la banlieue orléanaise, son atelier regorge de rouleaux, panneaux, coupons, nappes, draps, rideaux… D’un tiroir bondé, elle extirpe un bout de tissu et vous incite à le toucher : « J’ai un rapport sensuel aux tissus : je tâte toujours les étoffes avant de les acheter. »
De toutes les matières, c’est le coton qu’elle préfère : « Un matériau de qualité, moelleux, doux à travailler. » Ses tabliers sont le plus souvent 100 % coton ou faits d’un mélange de coton et de polyester (polycoton). Le “superwax”, tissu fabriqué en Hollande à la fois très fin et solide, n’a plus de secrets pour elle. Elle affectionne aussi le coton ciré ou encore gaufré, dénommé “nid-d’abeille”. En marge d’un satin de coton couleur rouille aux reflets moirés, Pascale Barray-Mettoudi montre le liseré blanc sur lequel est indiqué « 1984, manufacture de Wesserling ». « Cette usine de textile réputée a fait faillite. Aujourd’hui, on fabrique encore des tissus en France, dans quelques rares usines, en Alsace et en Lorraine. Mais, depuis les années 1980, la plupart du coton utilisé provient de l’étranger et n’est pas de bonne qualité. » Alors Pascale chine, fouille, surfe sur le Web pour dénicher les perles devenues rares et explore les vide-greniers tout autour d’Orléans. Au cours de ces pérégrinations, elle tombe parfois sur des pépites, « des coupons exceptionnels remisés dans une armoire depuis quarante ans et qui n’ont pas bougé ». Cette jeune quinquagénaire aime avant tout les tissus “vintage”, les motifs fleuris et colorés des années 1950 et 1960, « qui traduisent bien la gaîté et l’insouciance de l’après-guerre ». L’apogée, ce furent les années 1970, une période de “folie douce” qu’affectionne notre créatrice, comme en témoignent plusieurs de ses modèles aux tissus psychédéliques, ornés de motifs géométriques, aux couleurs bigarrées qui se côtoient dans une joyeuse cacophonie.
Pascale s’approvisionne aussi en tissus neufs dans les boutiques spécialisées. Elle achète des coupons, mais également des nappes, des draps, des rideaux… En recherchant toujours la qualité et l’originalité. À l’un de ses voisins jardiniers, elle a proposé un imprimé à carreaux gris et blancs. « Pour les hommes, je choisis des tissus sobres : j’ai également remarqué qu’ils aiment souvent les rayures. »
Pascale avoue tout de même quelques infidélités au coton : il lui arrive de recourir au lin ou à la toile de store. Pour les matières premières, elle fait feu de tout bois : « Un jour, j’ai récupéré de la toile de store synthétique quand mes voisins ont fermé leur entreprise : je l’ai passée à la machine à 60 °C, ce qui a enlevé son apprêt. » La toile de store est devenue un tablier aux rayures blanches et vertes, avec une “patte de tour de cou” jaune. « J’ai ajouté une grande poche, une fleur, un essuie-mains en éponge verte, et cela a donné un tablier printanier. » L’idée d’insérer un essuie-mains dans une anse cousue sur le bas de la pièce est d’ailleurs devenue un usage. Autre exemple de recyclage intelligent : des serviettes de table cousues les unes sur les autres, pour donner vie à une belle création bigarrée. Ou le col d’une vieille veste en lin, devenu la patte de cou d’un tablier-robe aux couleurs flamboyantes.
Le plus souvent, c’est après avoir esquissé quelques croquis sur son cahier de travaux pratiques que Pascale passe à la réalisation. Une fois le tissu choisi dans son stock, elle se laisse porter par sa créativité, ajoutant une poche ici, un bouton là, un nœud, un morceau de biais… L’actualité peut aussi l’inspirer : en mars, elle a conçu une pièce rayée bleu marine et blanc, à l’effigie du drapeau japonais, en hommage aux victimes du tsunami.
Pascale fabrique aussi des pièces à la demande de clients. Dans ce cas, son inspiration s’accorde à leurs goûts ou leurs desiderata. Comme ce tablier sur lequel elle a cousu de grands motifs en forme de bouteille de vin et de verre de bordeaux destiné à un amateur de vin.
Pascale ne fait jamais deux fois la même pièce. Elle tient à la créativité et à la liberté que lui offre sa passion. « Il m’est arrivé de refaire des pièces similaires, à la demande, mais j’ai toujours ajouté un motif ou un élément différent à chaque fois. Si je fais de la série, je crains de m’ennuyer. Ce n’est pas le but recherché ! » Pour vendre ses tabliers, elle s’appuie sur son réseau de connaissances et le bouche-à-oreille. Elle organise des ventes privées chez des amies et dispose aussi d’autres canaux de distribution, comme les salons et les marchés artisanaux. En général, son stock fond assez vite après ces manifestations. Deux boutiques d’Orléans vendent également quelques-uns de ses modèles. Entre le coût des tissus et les prix abordables de ses pièces, Pascale dégage une faible marge. Mais, pour elle, la création de tabliers est et doit rester un hobby, pas un business : « Je ne suis pas du tout une femme d’affaires ! »
À 17 ans, le bac déjà en poche, Pascale traverse l’Atlantique pour une année sabbatique. Elle atterrit dans le Minnesota, dans une famille avec laquelle elle est toujours en contact, et fait une seconde terminale. Au lycée, elle choisit une série de matières qu’elle ne connaît pas : psychologie, sociologie, comptabilité, cuisine et… couture. De ce séjour chez l’Oncle Sam, il lui reste, entre autres acquis, le souvenir d’un certain conservatisme de l’Amérique profonde, une excellente pratique de l’anglais et des compétences en couture : « J’y ai appris le b.a.-ba : faire les ourlets, les poignets, les cols, tailler un patron… »
De retour en France, elle affine son savoir-faire, sur le tas, pendant vingt-cinq ans : retouches, confection sur-mesure pour son fils et pour elle-même. Et puis, peu à peu, s’insinue l’envie de passer à autre chose. « Il y a quatre ans, quand je me suis lancée, j’ai eu envie de créer des pièces de couture originales. J’ai pensé : pourquoi pas des tabliers élégants ? C’était à un moment où le travail au cabinet infirmier était particulièrement difficile, car nous suivions plusieurs patients en fin de vie. J’avais besoin de souffler. » Son idée : ériger ces pièces au rang de vêtement à part entière.
Son site Internet témoigne du travail accompli. Plus de quatre cents modèles en quatre ans. Certains ressemblent d’ailleurs davantage à des robes qu’à un tablier. « Une jeune fille m’a acheté un tablier fait de pans de tissus à la longueur irrégulière, me disant qu’il ressemblait à la robe de la fée Clochette ! » Parfois, elle opte pour un bas en forme de jupe plissée, auquel elle ajoute la bavette (la partie posée sur le thorax). D’autres fois, elle crée des pinces de haut en bas… Elle passe alors plus de temps sur ces pièces que pour un tablier classique – auquel elle consacre en moyenne quatre heures.
Depuis dix ans, Pascale exerce en libéral dans un cabinet de Saint-Jean-Le-Blanc, près d’Orléans, en association avec trois autres infirmières. Elle apprécie le fonctionnement en quatuor, « qui permet de s’organiser, de s’épauler et de se relayer dans les situations difficiles ». Pascale pense notamment aux soins aux malades en fin de vie, de plus en plus fréquents, dans la mesure où ces personnes restent davantage au domicile aujourd’hui. Auparavant, elle a travaillé à l’hôpital, en service de chirurgie digestive et de cardiologie. Mais c’est le soin de proximité qu’elle préfère. « Je suis profondément soignante. Nous, les libérales, nous allons chez les patients, nous avons la clé de leur maison… Un lien de confiance s’établit. Et on sent une grande convivialité : je reviens souvent de mes tournées avec des bottes de poireaux, un bouquet de muguet, un plat tunisien… Avec l’une de mes patientes, j’apprends même quelques mots d’arabe ! » Mais le métier est parfois éprouvant. Et c’est auprès de ses tabliers que Pascale se ressource. Elle envisage d’ailleurs d’ouvrir des ateliers de création de tabliers, à son domicile. « L’idée, ce serait des séances de quatre à cinq heures maximum. Chaque participant apporterait son tissu et repartirait avec son tablier. » Un projet qui se tisse pour l’année prochaine.