L'infirmière Libérale Magazine n° 275 du 01/11/2011

 

Le débat

Gère-t-on différemment le secteur de la santé selon que l’on est un gouvernement de droite ou de gauche ? La santé sera-t-elle au cœur de la campagne qui s’ouvre ? Deux économistes de la santé livrent leurs points de vue.

Didier Tabuteau

directeur de la chaire santé à Sciences-Po Paris, co-auteur du Manifeste pour une santé égalitaire et solidaire (Odile Jacob)

Qu’est-ce qu’une politique de santé de droite et une politique de santé de gauche ?

Cette notion n’est pas clairement identifiée dans le débat politique. Qui plus est, lorsque l’on parle de politique de santé, on englobe la santé, la santé publique, l’organisation du système, le médico-social et l’Assurance maladie. C’est important de préciser les choses car, sur la santé publique, il y a consensus : tout le monde veut améliorer l’état de santé de la population.

Où se situent les zones de clivage ?

La plus importante est sans doute celle de la régulation des dépenses : va-t-on augmenter le reste à charge par le biais du ticket modérateur, des franchises, ou régulera-t-on l’offre via les tarifs et les pratiques des professionnels de santé ? Cela dit, il y a parfois des exceptions. Le plan Juppé, en 1996, était une démarche sur l’offre de soins, pas sur le reste à charge. Il y a un autre clivage, très récent, autour de la notion de service public hospitalier. Il y avait depuis les années 1970 un fort consensus autour de cette notion. La loi HPST, en restreignant les missions de service public et en les confiant indistinctement aux secteurs public et privé, a constitué une rupture considérable.

Les questions de santé feront-elles débat d’ici le printemps 2012 ?

En 2007, malgré les franchises médicales, la santé a été la grande absente de la campagne présidentielle. Depuis, le système s’est dégradé. Les sujets qui pourront faire débat sont ceux de la démographie des professions de santé et de l’accès financier aux soins. Le troisième sujet sera celui de la crise hospitalière. Et évidemment celui de la confiance dans le système de santé. On sent que les partis politiques tournent autour de ces questions sans vouloir trop s’y engager. Ils n’ont a priori pas une très grande appétence pour ces questions. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous avons rédigé ce manifeste [ndlr : avec 4 autres experts], pour que le débat ait lieu.

Les candidats craignent-ils ces questions explosives ?

Ce sont des sujets douloureux et les mesures à prendre sont soit contraignantes pour la population et les professionnels de santé, soit pénalisantes financièrement. Qui plus est, dans notre pays, il n’y a pas une santé nationale comme il y a une éducation nationale. Il n’y a pas eu de Jules Ferry de la santé. La sensibilité du public est très importante sur ces questions, il y a une charge émotionnelle très forte qui inquiète souvent les politiques.

Claude Le Pen

professeur d’économie à l’université Paris-Dauphine

Qu’est-ce qu’une politique de santé de droite et une politique de santé de gauche ?

Des thèmes qui reviennent avec une certaine identité à droite et à gauche. La gauche met l’accent sur la maladie comme phénomène social, résultante du stress au travail, de l’environnement. Pour la droite, la maladie est plutôt biologique. La gauche insistera sur les soins collectifs, sur l’hôpital, les centres de santé, alors que la droite mettra plus l’accent sur le secteur libéral. En matière économique, la gauche voudra encadrer l’offre de soins tandis que la droite responsabilisera l’assuré, par les franchises médicales, le ticket modérateur. C’est un peu caricatural puisque les gouvernements combinent un peu tous ces thèmes en fonction des circonstances. Ces clivages sont plus idéologiques que politiques.

Le PLFSS actuellement en discussion au Parlement est-il de droite ?

Donner une couleur politique au PLFSS est une affaire compliquée. Quand on regarde les PLFSS depuis le gouvernement Juppé, il est difficile de trouver des notes qui soient franchement de droite ou de gauche. Les choses sont plutôt liées aux relations tissées entre les professionnels de santé et le gouvernement, à un moment donné. Regardez les tensions qu’il y a eu entre Roselyne Bachelot, lorsqu’elle était ministre de la Santé, et les professionnels de santé.

Les questions de santé feront-elles débat d’ici le printemps 2012 ?

On va retrouver le sujet de la désertification médicale, parce que c’est un sujet transversal, qui touche les élus locaux. Mais les idées en la matière divergent : au sein même du parti socialiste, certains prônent des mesures autoritaires, et d’autres, l’incitation. On peut voir un clivage similaire au sein des élus de la majorité. Rien n’est noir ou blanc : si vous prenez les franchises médicales, les candidats de gauche n’ont pas dit vouloir les abroger. Pour une raison simple, elles rapportent 800 millions d’euros par an. On entendra sans doute la gauche dire qu’il y a des renoncements aux soins, que l’hôpital public est en déshérence, etc. Mais elle ne supprimera pas la tarification à l’activité, pas plus que la loi HPST. La majorité défendra son bilan. On aura sans doute un débat sur le financement, avec l’idée d’une fusion de la CSG avec l’impôt sur le revenu. Mais cela entrera dans le cadre de la politique de financement public, pas dans celle de la santé.