L'infirmière Libérale Magazine n° 275 du 01/11/2011

 

Suivi social

Dossier

Chaque jour, vous vous trouvez confrontée à des patients en difficulté sociale : problèmes financiers, insalubrité, isolement et dépendance. Vous alertez alors les services sociaux. Des partenaires avec lesquels les relations sont plus ou moins efficientes. Pourquoi ? Comment améliorer les circuits de l’information et accélérer la résolution de situations délicates ?

« Je me souviens d’un couple âgé dont le mari était hospitalisé. Sa femme était seule à la maison. Le soir, inquiète, je suis passée la voir : je l’ai retrouvée à terre avec un bras cassé… Elle est donc partie à l’hôpital. Mais que faire de la maison et des chiens, pendant qu’elle était hospitalisée ? »

Ce témoignage de Nicole Milani, infirmière libérale à Rognes, dans les Bouches-du-Rhône (13), trouvera sans doute un écho parmi vous. Combien d’infirmières libérales diplômées d’État (Idels) se sont retrouvées face à des situations ne relevant pas de leurs compétences de soins, mais d’une prise en charge sociale ? « J’ai appelé la mairie, poursuit Nicole Milani. Un policier municipal a mis les chiens au chenil du service technique. Ils ont suivi le dossier pour ne pas laisser cette dame isolée. ». Pour cette Idel qui exerce dans une commune de 6 000 habitants, la résolution de ces situations est relativement facile : « J’ai la chance d’exercer en milieu rural, où le tissu familial est encore présent. Quand il n’y a pas de famille, je contacte les élus de la ville. J’ai le numéro de portable des conseillers du maire. »

UNE GRANDE VARIÉTÉ DE PROBLÈMES

Si la dépendance et la maltraitance sont les situations les plus fréquemment rencontrées, ce ne sont pas les seules : personnes confrontées à d’importantes difficultés financières, problèmes d’hygiène ou d’insalubrité… « J’ai en tête le cas d’un patient déficient mental, qui vivait dans des conditions d’insalubrité extrême, relate Ève-Marie Cabaret, infirmière libérale à Ligny-Le-Ribault (Loiret, 45). J’en ai parlé au médecin traitant. Nous avons prévenu ensemble les services sociaux, qui font passer de temps en temps une société de nettoyage. » Pour Nadine Delevoye, qui exerce à Ifs, dans le Calvados (14), « les situations les plus problématiques sont les sorties hospitalières non organisées : qui va s’occuper du patient au jour le jour ? Heureusement, le plus souvent, les assistantes sociales des hôpitaux tentent de planifier les choses ».

Il arrive même que vous détectiez des personnes en difficulté sociale en dehors de votre patientèle. En témoigne Caroline Deblangy, assistante sociale dans les Bouches-du-Rhône : « Un jour, alors que je travaillais dans un accueil de jour pour SDF à Marseille, j’ai été contactée par une infirmière libérale qui avait donné des premiers soins à un homme dans la rue et qui cherchait une solution pour lui. »

En milieu rural, il n’est pas rare que vous passiez directement par la mairie, qui agit le plus souvent via le CCAS (Centre communal d’action sociale, cf. encadré p. XX). « Il y a toujours un contact possible : en premier lieu, le médecin traitant du patient concerné ou le maire de la commune, explique Marie-France Fourmon, libérale à Vasles, dans les Deux-Sèvres (79). Les municipalités peuvent souvent apporter une aide. Je pense à une dame qui n’avait rien pour se chauffer : la mairie lui a acheté du bois. La solidarité arrive à s’organiser. »

LES PARTENAIRES À CONTACTER

La règle générale est de contacter les assistantes sociales dites “de secteur”, qui dépendent du Conseil général et gèrent les problèmes sociaux sur un territoire : montage de dossier pour solliciter une aide, recherche d’une place dans un établissement adapté… Les caisses d’Assurance maladie et les entreprises ont aussi des assistantes sociales.

Outre ces contacts privilégiés, il existe des “guichets uniques”, en particulier en gérontologie : on songe notamment aux Clic (Centres locaux d’information et de coordination) ainsi qu’aux réseaux de santé gérontologiques, de plus en plus nombreux.

Mais l’action et la réactivité des services sociaux sont-elles appréciées ? Pas toujours.

UNE ACTION EFFICACE ?

« Je note souvent un manque de disponibilité des assistantes sociales, témoigne Ève-Marie Cabaret. Il faut dire qu’elles doivent faire face à une multiplicité de situations (solitude, manque de lien social, dépendance, pauvreté…), ce qui requiert tout un panel de compétences. L’idéal, pour nous, serait de disposer d’un cabinet de groupe intégrant une assistante sociale. »

En 2006, la Drees a édité un ouvrage qui fait office de radiographie du métier d’infirmière libérale*. Selon ce document, les relations entre vous et les assistantes sociales sont loin d’être idéales. Seules 1 % des infirmières interrogées ont déclaré avoir pris contact avec une assistante sociale dans les semaines précédentes, lit-on dans l’étude : « Les infirmières libérales ont très rarement affaire aux travailleurs sociaux. En revanche, les quelques infirmières libérales qui font référence aux travailleurs sociaux en parlent en des termes peu favorables. Elles reprochent aux assistantes sociales de ne pas intervenir lorsqu’elles font appel à elles ou bien de ne rien entreprendre pour tenter de remédier aux difficultés des patients […]. Il est également fait référence à l’inadaptation des réponses apportées par les services sociaux. »

Selon Alain Vilbrod, chercheur en sociologie, qui est l’un des co-auteurs de ce rapport, le problème se pose avec encore plus d’acuité depuis que les effectifs sont à la baisse, dans les conseils généraux et dans les hôpitaux, alors que la précarité augmente (lire son interview ci-contre). Conséquence : les organigrammes changent souvent, et les Idels ne sont pas mises au courant. « L’information pourrait être améliorée du côté des services sociaux sur les changements de personnel, par mailing auprès des infirmières. Mais peut-être les assistantes sociales craignent-elles d’être submergées par les demandes et préfèrent-elles rester discrètes ? », se demande Alain Vilbrod.

SE FAIRE CONNAÎTRE ET DIALOGUER

Assistantes sociales mais aussi structures et guichets uniques ont pourtant tout intérêt à se faire connaître de vous, qui êtes des relais d’information importants. Un exemple de communication possible : « Le Conseil général du Bas-Rhin a édité des livrets avec les coordonnées de tous les acteurs sociaux pour les professionnels de santé », précise Élisabeth Guenneugues, infirmière libérale à Odratzheim (67).

Ce département a également créé sept “Espaces d’accueil seniors” (Espas). L’Espas de Molsheim a organisé en 2010 des réunions pour le grand public et pour les professionnels sur la dépendance. Un bon moyen pour connaître ses partenaires en matière d’action sociale.

UN PROBLÈME DE DISPONIBILITÉ

Cela dit, vous ne saisissez pas toujours ces opportunités de mise en réseau qui vous sont offertes. La raison ? Des horaires décalés, un planning chargé, encore et toujours… Danielle Oble-Fradeau, infirmière coordinatrice au réseau de santé gérontologique de Gâtine, dans les Deux-Sèvres, raconte : « Environ 25 % des infirmières invitées viennent aux réunions que nous organisons pour enclencher la prise en charge d’un patient… Ce n’est pas beaucoup. Je crois qu’il y a un vrai problème de temps : elles sont surchargées, la démarche de soins infirmiers limite leur disponibilité. »

Pourtant, le dialogue entre les deux professions semble primordial : « Chacune a ses propres contraintes. Parfois nous avons le “nez dans le guidon” et ne pensons pas toujours à contacter des tiers, des partenaires…, commente Rachel Meyer, responsable de l’Espas d’Haguenau, dans le Bas-Rhin. Il y a encore des frontières à effacer entre le sanitaire et le social. Même si nous avons appris à connaître les infirmières, leur mode de fonctionnement, leur planning et leurs horaires, ce qui a amélioré les relations avec elles. »

AU-DELÀ D’UN RÔLE D’ALERTE ?

De par vos passages quotidiens au domicile des patients, vous êtes les mieux placées, avec les aides ménagères, pour détecter des personnes en difficulté. « Les infirmières sont la courroie de transmission entre les patients, les familles et les assistantes sociales, rappelle Alain Vilbrod. Quand on dit cela aux caisses d’Assurance maladie, elles rétorquent que cela ne fait pas partie de leurs attributions. Certes, mais qui d’autre pourrait jouer ce rôle-là » Un rôle qui s’avère cependant chronophage : « Cela demande beaucoup d’énergie, de nombreux coups de fil : il faut contacter le médecin, la mairie, la famille… C’est du temps non rémunéré », souligne Marie-France Fourmon, libérale qui exerce à Vasles (79). Un simple coup de fil ne suffit pas… Vous vous trouvez souvent impliquées malgré vous dans le suivi. Avec, parfois, à la clé, des déconvenues liées aux limites de l’action sociale : « De temps en temps, on note des freins socioculturels chez les patients : ils refusent les solutions qui leur sont proposées, en particulier pour le maintien à domicile… », regrette Élisabeth Guenneugues.

Faut-il prendre en compte ce temps passé pour le “suivi social” ? Faut-il aller à rebours de la tendance qui consiste à développer le nombre d’actes techniques, pour vous confier une mission de coordination médico-sociale ? Certains y songent. Mais encore faudrait-il que les conditions de travail et la nomenclature le permettent. Nous n’en sommes pas là. Pour l’heure, vous vous retrouvez plus que jamais la “tête dans le guidon”…

* Le métier d’infirmière libérale, Drees, n° 58, avril 2006, par Florence Douguet et Alain Vilbrod.

Témoignage

« Nous savons qui appeler en cas de problème »

Vincent Dabin, infirmier libéral à Saint-Aubin-Le-Cloud (Deux-Sèvres, 79)

« L’année dernière, j’avais un patient de 80 ans qui vivait dans des conditions d’hygiène déplorables. J’ai appelé le Centre local d’information et de coordination (Clic) qui m’a conseillé de dénoncer la situation au service des personnes vulnérables du Conseil général. Finalement, ce patient a été hospitalisé, puis il est parti en maison de retraite. Tout le monde s’est bougé pour en arriver là. L’assistante sociale a mené une enquête sociale. Nous sommes en milieu rural, dans un département tranquille, et les contacts avec les services sociaux fonctionnent bien. Nous savons qui appeler : assistante sociale, médecin, Conseil général… Nous passons très souvent par le réseau gérontologique de Gâtine, dans les Deux-Sèvres (79), qui met en place une prise en charge efficace et optimise les moyens autour d’une personne. Il est associé au Clic, qui est une plateforme de renseignements sur le plan médico-social. C’est très utile localement, car nous avons une population vieillissante. Nous, infirmiers, pouvons percevoir des choses que d’autres ne voient pas, et inversement. Aussi est-il utile de travailler en complémentarité avec les aides ménagères. Souvent, ce sont elles qui mettent le doigt sur des situations que je n’avais pas remarquées, comme l’alcoolisme d’un patient. »

Témoignage

« La dépendance des personnes âgées, grand problème social »

Élisabeth Guenneugues, infirmière libérale à Odratzheim (Bas-Rhin, 67)

« Je suis conseillère municipale à Odratzheim (450 habitants), en charge du social. Aussi je m’occupe moi-même des dossiers de mes patients résidant sur la commune et qui se trouvent confrontés à des difficultés sociales. Je prépare les dossiers de demande d’Apa, par exemple. Pour les patients qui n’habitent pas à Odratzheim, je contacte le Conseil général, avec lequel nous travaillons en partenariat étroit. Être élue présente des avantages : j’ai des relais, une voix pour me faire entendre et faire avancer les dossiers… Par ailleurs, en milieu rural, on connaît les patients. Lors du Plan canicule, on sait qui aller voir. Le grand problème social, c’est la dépendance des personnes âgées seules à domicile, qui risquent de tomber et de se blesser. On ne peut pas les laisser seules derrière leur porte. L’infirmière passe voir si tout va bien, elle s’occupe des animaux quand elle est là… C’est un accompagnement quotidien. On maintient ces personnes à domicile aussi longtemps que possible, mais il faut mettre en place une prise en charge adaptée. »

Témoignage

« Nous adressons régulièrement des mailings aux infirmières libérales »

Rachel Meyer, responsable de l’Espace d’accueil seniors de Haguenau (Bas-Rhin, 67)

« Créé par le Conseil général, l’Espace d’accueil seniors (Espas) d’Haguenau assure une mission d’accueil, d’information du public et d’orientation des professionnels pour tout ce qui concerne les personnes âgées. Par ailleurs, en cas de situation complexe touchant une personne âgée dépendante, l’Espas est saisi par différents intervenants comme les infirmières, les médecins, les communes, pour organiser une concertation afin de définir et de mettre en œuvre un projet cohérent avec le choix de vie de la personne. Récemment, une infirmière libérale nous a sollicités pour déclencher une demande d’Apa pour une personne âgée isolée en fin de vie, et mettre en place des moyens incluant une aide à la préparation de repas et l’intervention d’une aide-ménagère. Nous adressons régulièrement des documents et des plaquettes, par mailing, aux infirmières libérales, pour elles mais aussi pour leurs patients, afin de les informer et faire connaître nos actions : prévention de la dépendance, aide aux aidants, groupes de parole… Elles-mêmes viennent aux réunions que nous organisons tous les trimestres pour les professionnels. »

Interview Alain Vilbrod, professeur de sociologie, université de Bretagne-Ouest, co-auteur du rapport de la Drees

« Les Idels peinent à savoir qui contacter »

Selon vous, les infirmières expriment un désappointement à l’égard des assistantes sociales…

En effet, elles ne savent pas toujours à qui s’adresser pour une prise en charge sociale. Elles ne sont pas systématiquement informées quand une nouvelle recrue arrive dans le secteur ou quand une restructuration intervient au sein des services du Conseil général. Les contraintes budgétaires pèsent lourdement sur les hôpitaux et les collectivités. Ce qui implique des réorganisations, de nouveaux organigrammes…

Aussi les Idels peinent-elles à savoir qui contacter.

Trouvent-elles l’action des assistantes sociales efficace ? Elles trouvent que les assistantes sociales ne sont pas assez disponibles. Elles sont aussi étonnées de voir que les assistantes sociales de secteur ignorent parfois tout de la situation d’une personne en grande difficulté. Nombre de situations difficiles passent à travers les mailles des filets des assistantes sociales, pour différentes raisons. Il est vrai que la précarité ne cesse d’augmenter et, inversement, le nombre d’assistantes sociales diminue, avec le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux.

Analyse
LES ASSISTANTS DE SERVICE SOCIAL

De moins en moins nombreux

Les “assistants de service social” sont plus communément appelés assistantes sociales, car, comme pour vous, il s’agit en grande majorité d’une population féminine. La plupart d’entre elles sont employées par les collectivités territoriales, mais aussi par les hôpitaux, les organismes de protection sociale et les associations. Parmi les collectivités territoriales, ce sont les conseils généraux qui emploient le plus fréquemment les assistantes sociales, qu’ils affectent à la “polyvalence de secteur”. Les secteurs couvrent 3 500 à 5 000 habitants maximum, à l’intérieur des circonscriptions. Avec le lancement, en juin 2007, de la RGPP (Révision générale des politiques publiques), le gouvernement a décidé de ne remplacer qu’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite. 100 000 postes de fonctionnaires auraient été supprimés entre 2007 et 2010. Ce qui affecte les assistantes sociales, qui relèvent, pour la plupart, de la fonction publique territoriale ou de la fonction publique hospitalière.

Témoignage

« Il faut sans cesse réactiver le travail de partenariat »

Francine Durand-Mabire, coordinatrice du Clic-CCAS de Marseille (13)

« Nous travaillons en complémentarité avec les Idels : elles sont sur le volet soins, nous sommes sur le volet social. En 2002, quand j’ai pris mes fonctions, j’ai contacté les syndicats d’infirmiers libéraux pour obtenir des listings d’infirmières libérales. J’ai réalisé un mailing pour les informer de l’ouverture du Clic, mais aussi pour rappeler les fonctions du CCAS et les inviter à nous contacter, notamment en cas de problème avec une personne âgée dépendante. Cette action a facilité la connaissance du Clic et du CCAS par les infirmières libérales. Mais ce travail de partenariat et d’information n’est jamais fini, il faut sans cesse le réactiver. Dans un journal syndical, nous avons récemment communiqué sur la réorganisation territoriale du Clic. À Marseille, nous disposons aussi des Espaces services aînés (Esa). Les infirmières savent qu’elles peuvent se tourner vers l’assistante sociale de ces structures de proximité pour les situations complexes qu’elles rencontrent, ou si une nouvelle difficulté se présente. »

À qui s’adresser ?

• Les assistantes sociales de secteur, qui dépendent du Conseil général.

• Le Conseil général : le service social pour une intervention “généraliste”, le service des personnes âgées pour une demande d’Allocation personnalisée d’autonomie (Apa) ou pour toute prise en charge d’un senior.

• La mairie ou le CCAS (Centre communal d’action sociale) ou Cias (Centre intercommunal d’action sociale). Établissement public administratif présidé par le maire de la commune, le CCAS (ou Cias) gère des banques alimentaires, débloque des fonds pour des personnes en difficulté, favorise l’accès aux loisirs, s’occupe de maintien à domicile…

• Les assistantes sociales des caisses d’Assurance maladie : Cnam, MSA…

• L’assistante sociale de l’entreprise dans laquelle travaille le patient.

• Pilotés par le Conseil général, les Clic (Centres locaux d’information et de coordination) sont des guichets d’accueil et d’information dédiés à la prise en charge des personnes âgées (http://clic-info.personnes-agees.gouv.fr).

• Les réseaux de santé gérontologiques.

• En cas de maltraitance, contacter le Conseil général, ou encore l’association Alma France qui dispose de 54 antennes départementales : www.alma-france.org (lire le dossier sur la maltraitance paru dans L’ILM n° 263, octobre 2010).