L'infirmière Libérale Magazine n° 276 du 01/12/2011

 

Cahier de formation

Savoir faire

Mme J., 48 ans, est très déprimée depuis sa mastectomie. Son mari et ses enfants en souffrent…

Elle a besoin de temps pour s’habituer à ce corps transformé. Toute la famille est chamboulée par sa détresse. Ils ont besoin d’un soutien bienveillant, d’une oreille extérieure attentive à leur souffrance  vous pouvez jouer ce rôle. Indiquez-leur l’existence d’associations de soutien, de groupes de parole, de forums, de psychologues spécialisés, etc. Aidez Mme J. à reprendre confiance en elle en l’écoutant…

SOUTIEN PSYCHOLOGIQUE DE LA PATIENTE

Dans le cas du cancer du sein, les femmes ont un grand besoin de soutien car, au-delà de la maladie, de la confrontation avec la mort, c’est leur image de femme qui est ébranlée. Si la dimension psychologique du cancer du sein et de ses traitements est de plus en plus souvent prise en compte dans les structures de soins multidisciplinaires, avec la participation de psycho-oncologues, il est également important que le soutien psychologique continue, de retour à la maison. L’infirmière libérale peut y contribuer.

Modification de l’image corporelle

Apprivoiser son image

L’image corporelle est fortement modifiée après une mastectomie. Les femmes le vivent comme une véritable amputation, même si certaines expriment un soulagement à l’idée d’être débarrassées de cette “mauvaise” partie de leur corps qui met leur vie en danger.

Le premier regard porté sur son corps après l’intervention est un choc violent. La femme ne se reconnaît plus. Certaines refusent de regarder, d’autres s’observent à longueur de journée, obsédées par leur sein perdu. Même dans les cas de reconstruction immédiate, ce nouveau sein est lisse, dépourvu de mamelon. Les phrases qui se veulent encourageantes, du type « le cancer est derrière vous » ou « le résultat est très bon, on ne voit pas la différence » ne correspondent pas au ressenti de la femme, qui n’a pas encore intégré la modification de son corps.

Chacune son rythme

Porter une prothèse externe, ou avoir un volume de sein reconstruit, cache le changement aux yeux des autres. Pour certaines, c’est la condition d’une reprise de confiance en soi, en son pouvoir de séduction, cela aide à reprendre ses activités quotidiennes et professionnelles. Mais, seules face au miroir, ou face à un conjoint, la réalité est tout autre. Il persiste souvent un sentiment de honte, le sentiment de ne plus être une “vraie” femme. Pour d’autres, lorsque l’urgence vitale qui les a forcées à accepter l’ablation du sein n’est plus d’actualité, il est difficile de se remobiliser pour affronter la reconstruction. Elles décident alors d’en rester là et s’attachent à accepter ce corps différent. D’autres ont besoin de temps avant d’aborder la reconstruction mammaire, puis la reconstruction de l’aréole et du mamelon, vécue alors comme l’événement qui clôt définitivement le dossier de leur maladie.

Faire son deuil

Face au choix de non-reconstruction, de reconstruction immédiate ou différée, de prothèse artificielle ou de reconstruction autologue, chaque femme doit pouvoir exprimer ses angoisses, ses désirs, ses choix. La solution la plus rapide n’est pas la meilleure pour toutes, le temps du “deuil du sein perdu” doit être respecté. Les représentations mentales qu’une femme appose sur son sein sont diverses : attribut de la séduction, élément érotique, organe nourricier… Elles dépendent de son âge et de son vécu. Il est donc important de créer les conditions favorables pour qu’elle puisse les exprimer et trouver la solution qui lui convient le mieux. Dans ce contexte, l’infirmière est une accompagnante de proximité. Elle doit respecter le temps du deuil et aider la femme à se réapproprier son corps. La parole, l’attention et les soins y contribuent, en levant les tabous posés par l’entourage ou la femme elle-même, en l’aidant à mettre des mots sur ses émotions, ses peurs, mais aussi ses désirs.

Atteinte à la féminité

La chute des cheveux est souvent une conséquence très mal vécue. Même si la femme sait que c’est transitoire, que « ça va repousser », c’est une atteinte à son aspect physique, à sa féminité. Ce signe extérieur de la maladie difficile à masquer est souvent associé à la symbolique du malade cancéreux. La chute des cils et des sourcils est également difficile à vivre – même si elle semble moins grave que celle des cheveux – car elle modifie le regard et l’expressivité. La perte des poils pubiens, plus intime, n’est pas dénuée d’impact psychologique. Elle peut être associée à une régression vers l’enfance, une perte de son identité sexuelle, d’autant plus douloureuse que la libido est mise à mal durant cette période.

Engager le dialogue aide la femme à dédramatiser la perte de la pilosité. Cela peut aussi l’aider à assumer ses choix esthétiques. Épaulées par leur entourage ou par des professionnels, certaines femmes vivent positivement leur métamorphose physique, en prenant en main leur “relookage” forcé, mais maîtrisé. Il n’est pas futile d’être attentive à sa féminité et à son apparence durant les périodes de traitement, à passer du temps chez l’esthéticienne ou le coiffeur, lorsque cela agit positivement sur le moral et le psychisme. C’est un point à souligner dans les échanges avec ces femmes. Cela n’est pas évident pour toutes, surtout pour celles qui se sentent coupables de ne plus avoir assez d’énergie pour assurer leur rôle au sein de leur couple, de leur famille ou de leur entreprise.

La vie après le cancer

Pendant les traitements, l’urgence est d’extirper le mal pour faire reculer le danger de mort. Toute l’énergie et la volonté sont orientées vers la survie. La femme se laisse porter par les décisions médicales, sur lesquelles elle n’a pas vraiment de prise. C’est souvent ensuite, lorsque le tourbillon des rendez-vous et des traitements s’achève, que les femmes baissent la garde et se retrouvent seules face à elles-mêmes. Le risque d’effondrement psychique est important : des études évaluent que 25 à 30 % des patients cancéreux font une dépression, en majorité à la fin des traitements. Alors que les médecins et l’entourage sont optimistes, ces femmes se sentent fragiles, déstabilisées par cette période mouvementée. Elles peuvent avoir le sentiment d’être abandonnées, livrées à elles-mêmes, avec le spectre de la rechute qui rôde (le mot de rémission n’est prononcé qu’au bout de cinq ans…). Cette parenthèse ouverte dans la vie “normale” au moment du diagnostic se referme sur un horizon souvent bouleversé : des amitiés n’ont pas survécu, d’autres relations se sont créées, la relation de couple a évolué, l’environnement professionnel n’est plus le même, les priorités ont changé…

Le soutien psychologique fondé sur l’écoute, l’empathie et la libération de la parole reste donc nécessaire, bien après l’arrêt des traitements. L’infirmière peut jouer ce rôle, ou orienter la femme vers un psychologue, une association, un groupe de parole, etc. Malheureusement, le contact avec la patiente est souvent rompu à ce moment-là…

SOUTIEN PSYCHOLOGIQUE DE L’ENTOURAGE

Le cancer du sein bouleverse la vie de la malade, mais également celle de ses proches. Leur rôle de soutien est fondamental, mais leur souffrance doit également être considérée. Ils ont eux aussi besoin d’être accompagnés dans cette épreuve. L’infirmière libérale est un médiateur qui peut faire passer certains messages.

Le conjoint

Les pratiques médicales intègrent de plus en plus les proches dans les soins, par des efforts d’information et de soutien psychologique. À l’extérieur, l’infirmière libérale est une source externe d’informations, délivrées à la maison, qui peut être complémentaire. C’est aussi un interlocuteur avec lequel le conjoint peut se sentir libre d’exprimer ses propres émotions, sans avoir le sentiment que cela puisse interférer sur les soins que recevra sa compagne.

De nombreuses autres questions surgissent au fur et à mesure que la maladie s’installe dans la vie quotidienne, relatives à son rôle de soutien auprès de la femme qui souffre, aux perturbations de la relation de couple et de la relation amoureuse. D’après une étude menée par l’institut Curie auprès de femmes atteintes de cancer du sein, « plus de la moitié des personnes interrogées présentent des difficultés ou une insatisfaction sexuelles qu’elles attribuent à la maladie tumorale, et ce, parfois plusieurs années après l’arrêt de leur traitement ». Sentiment de dévalorisation, de l’atteinte à la féminité après une mastectomie ou des effets secondaires des traitements (baisse de libido, fatigue, sécheresse vaginale, etc.) : les conjoints doivent être informés de ces aspects pour pouvoir aider leur partenaire.

En cas de difficultés d’organisation, il faut les orienter vers les assistantes sociales attachées aux structures spécialisées de cancérologie. Elles aident les malades et leurs familles dans les tracas administratifs et les informent sur les aides dont ils peuvent bénéficier : aide financière, intervention d’une aide ménagère, d’une assistante maternelle, reconnaissance d’une incapacité professionnelle, etc.

Les enfants

Vouloir protéger les enfants en leur cachant le cancer du sein de leur mère est rarement la bonne attitude à adopter. Les enfants perçoivent la maladie, quel que soit leur âge : l’emploi du temps est perturbé, les adultes ne réagissent pas comme d’habitude, des conversations s’interrompent brutalement quand ils arrivent, maman quitte la maison pendant plusieurs jours, elle perd ses cheveux, etc. Le non-dit génère des angoisses, parfois même un sentiment de culpabilité, qu’il sera difficile de désamorcer après-coup.

L’infirmière peut aider les parents à trouver les bons mots à dire aux enfants. Elle peut aussi servir de médiateur, si les parents ont du mal à s’exprimer. Elle peut expliquer que des transformations physiques qui bouleversent l’enfant (perte des cheveux, prise de poids) ne sont que temporaires. Des associations ont élaboré des outils adaptés aux enfants (bandes dessinées, brochures, etc.) qui permettent d’aborder les diverses aspects de la maladie en fonction de leur âge. Écoute, bienveillance et attention à leurs questions restent la base d’un bon accompagnement.

La famille

Lors d’une forme génétique de cancer du sein, tous les membres de sa famille sont potentiellement porteurs des mêmes gènes. La loi définit « l’obligation faite au patient auquel une anomalie génétique grave a été diagnostiquée d’informer ses apparentés, si des mesures de soins ou de prévention peuvent leur être proposées », ce qui est le cas pour le cancer du sein. Dans les familles unies, cela ne pose généralement pas trop de problème. C’est plus délicat lorsqu’il existe des conflits familiaux, ou pour des familles géographiquement éclatées.

La révision de la loi de bioéthique votée en juillet 2011 prévoit ces situations : « Si la personne ne souhaite pas informer elle-même les membres de sa famille potentiellement concernés, elle peut demander par un document écrit au médecin prescripteur […] de procéder à cette information. […] Le médecin porte alors à leur connaissance l’existence d’une information médicale à caractère familial susceptible de les concerner et les invite à se rendre à une consultation de génétique, sans dévoiler ni le nom de la personne ayant fait l’objet de l’examen, ni l’anomalie génétique, ni les risques qui lui sont associés […]. »

L’infirmière ne doit pas se substituer à la femme ou au médecin pour transmettre l’information. Elle peut cependant lui rappeler ses obligations légales, et la convaincre par le dialogue de l’importance de diffuser cette information qui pourrait par la suite s’avérer vitale pour une femme ou pour une petite fille de sa famille.

Point de vue…

L’infirmière est le réceptacle des angoisses de la femme

Élisabeth Mazet, infirmière libérale à Montpellier (34), opérée d’un cancer du sein

« Quand je soigne une femme traitée pour un cancer du sein, l’essentiel de mon intervention consiste à l’écouter. Il faut savoir entendre la détresse, même lorsque tout semble maîtrisé de l’extérieur. Ces femmes sont traumatisées : angoisse du pronostic, atteinte à la féminité, difficultés au sein du couple…Le niveau d’anxiété est souvent très élevé. L’infirmière a une position privilégiée pour recevoir la parole : il se crée une relation de femme à femme, dans un lieu intime. Nous ne sommes pas des psychothérapeutes, mais nous avons le mérite d’être présentes, réceptives, à domicile. Je rêve d’une consultation infirmière dédiée à la discussion, en dehors de tout soin technique… Mon vécu avec le cancer du sein se mêle à ma pratique professionnelle. Soigner et aider ces femmes m’aide à digérer ma propre expérience. J’ai l’impression de redonner un peu de ce que j’ai pu recevoir lorsque j’ai été soignée. Au début, je n’arrivais pas à en parler, mais plus le temps passe, plus cela me semble naturel. »

Question de patient

Le soja augmente-t-il le risque de cancer du sein ?

Tout est une question de dose. Dans le cadre d’une alimentation standard, il n’y a pas de quoi s’inquiéter. Il est probable que les concentrations de génistéine (un composé toxique pour la reproduction) soient insuffisantes si l’on cuisine des salades à base de germes de soja ou si l’on mange des yaourts contenant du soja. En revanche, les compléments alimentaires à base de soja en contiennent peut-être en quantité particulièrement importante. Concernant les femmes ayant déjà eu un cancer du sein ou à risque, il vaut mieux continuer de leur déconseiller la prise de compléments alimentaires contenant du soja ou à base de phyto-œstrogènes (contenus dans le soja).

La mesure phare du plan Cancer depuis 2009

Le plan Cancer 2009-2013 défini par le ministère de la Santé prévoit que 50 % des personnes atteintes d’un cancer puissent bénéficier d’un Programme personnalisé de l’après-cancer (PPAC). L’objectif est de développer une prise en charge sociale personnalisée et précoce de l’après-cancer, destinée en priorité aux patients les plus démunis et les plus vulnérables. La mesure 25 du plan énonce que le PPAC […] comprendra le suivi nécessaire et l’évaluation du risque de rechute et de séquelles, la prévention du risque de second cancer et les éléments liés à la réinsertion […]. Cette action implique aussi d’offrir aux personnes malades et aux aidants la possibilité d’un accompagnement psychologique après le cancer ». Quelque 35 projets pilotes sont actuellement testés dans quinze régions, pour un déploiement du dispositif prévu en 2012. Dans ce contexte, deux masters universitaires permettent aujourd’hui aux infirmières de se former aux fonctions de coordination dans les parcours complexes de soins (universités de Besançon et de Marseille).

Point de vue…

Le psychologue, utile aussi pour les infirmières…

Sylvie Persem, infirmière libérale à Pau (64)

« Je me sens plus investie auprès des patients dans ma pratique d’infirmière libérale que lorsque je travaillais à l’hôpital. Je les rencontre chez eux, dans leur intimité, je rencontre leurs proches, je connais leurs difficultés familiales ou sociales… Dans une pathologie comme le cancer du sein, je suis ces femmes pendant des mois, voire des années lorsqu’il y a rechute. Cela crée des liens forts, et c’est d’autant plus dur en cas de décès. Je suis adhérente au réseau de soins palliatifs Pallia Béarn Soule. Nous nous réunissons régulièrement pour discuter des patients avec l’équipe soignante, dont une psychologue. Elle n’est pas là pour nous fournir une aide psychologique directe, mais elle peut nous aider à gérer les difficultés, à trouver les bons mots à dire à la patiente ou à ses proches, ou à verbaliser les situations pesantes que nous vivons au quotidien. Dans notre pratique libérale, il est important de ne pas travailler de façon isolée, surtout face à des maladies graves comme le cancer. »

Question d’Idel

Existe-t-il des messages d’hygiène alimentaire à faire passer ?

Il n’existe pas d’aliments ou de compléments alimentaires anticancer, mais un mode de vie anticancer. Celui-ci comprend le respect des recommandations alimentaires du Programme national nutrition-santé, le contrôle du surpoids, la pratique d’une activité physique régulière, l’absence de tabagisme et une consommation d’alcool modérée (moins d’un verre par jour) sans oublier de se faire plaisir de temps à autre.

Une revue pour les patientes

Rose magazine a vu le jour en octobre 2011. Premier magazine indépendant* destiné aux femmes atteintes d’un cancer, il est porté par une équipe de journalistes aguerries et motivées. C’est un semestriel (200 000 exemplaires) distribué gratuitement dans les établissements de soins, publics, privés, centres de lutte contre le cancer et Eri (Espaces rencontres Informations).

Il contient plus de 200 pages d’enquêtes, de portraits, de guide pratique et de conseils pour rompre l’isolement. Fournies par des spécialistes et supervisées par un expert, les explications de la partie « Cahier médical » sont claires, précises, dénuées de jargon. Mais c’est aussi un “féminin” classique avec ses pages beauté, mode, gastronomie, psycho…

Rose magazine publie actuellement sur son site Internet le Manifeste des 343 cancéreuses pour défendre les droits des femmes malades à vivre une vie sociale normale après la maladie.

Ce manifeste sera remis aux candidats à la présidentielle…

Le magazine est également disponible en version Web sur le site www.rosemagazine.fr et sa version papier dans les 103 comités locaux de la Ligue nationale contre le cancer, Dom-Tom compris.

* Ses partenaires principaux : La Ligue nationale contre le cancer (www.ligue-cancer.net), l’Inca, Unicancer, l’ARC, l’Afsos.