L'infirmière Libérale Magazine n° 276 du 01/12/2011

 

RHÔNE-ALPES (69)

Initiatives

Soignante à plein-temps et écrivain à ses heures perdues, Annie Pivot a fait paraître en autoédition les chroniques qu’elle tient depuis vingt ans sur son quotidien d’Idel. Drôle et touchant à la fois.

Petite, elle dévorait les livres de Suzanne Pairault, Les Jeunes filles en blanc, une série de la Bibliothèque verte. Aujourd’hui, c’est au tour d’Annie Pivot de raconter des histoires d’infirmières. Il y a un an, elle a fait imprimer 700 exemplaires des Pains au lait du lundi et autres gourmandises (Pensées d’une infirmière libérale), un ouvrage autoédité. Sur 155 pages, on l’accompagne dans ses pensées.

Ses “mémoires” encore chaudes, elle s’est ensuite lancée dans un roman. Le décor ?: la Bretagne, sa région natale. Le personnage principal : une soignante, encore une fois. « Elle était infirmière libérale, mais elle a arrêté pour faire autre chose… », raconte sans trop en dévoiler Annie Pivot, embarquée dans sa voiture pour la tournée du matin. Mais, contrairement à son héroïne, elle n’envisage pas encore de dévisser la plaque de son cabinet de Civrieux-d’Azergues au nord-ouest de Lyon. Tout juste souhaite-t-elle lever un peu le pied sur le boulot pour écrire davantage.

Un rêve d’enfant

Devenir infirmière, c’était pour Annie Pivot un rêve de petite fille. Quand elle ne lisait pas, elle aimait jouer à la nurse avec ses poupées. Son baccalauréat secrétariat médical en poche, elle choisit donc tout naturellement la carrière d’infirmière. « Je n’ai pas hésité », se souvient-elle. En 1987, elle entre dans la vie active au terme de ses études dans une école de Lyon, les Alouettes, aujourd’hui fermée. Son premier emploi : infirmière dans une clinique lyonnaise au service des soins intensifs. Elle y reste deux ans avant de rejoindre une résidence pour personnes âgées. À l’époque déjà, son rôle de “nounou” auprès de « ces vieilles personnes, mains tordues, mains tremblantes, visages déformés, visages ridés, voix chevrotantes, voix hésitantes », lui tient particulièrement à cœur, écrit-elle dans Les Pains au lait… Vingt ans plus tard, sa bienveillance ne l’a pas quittée.

À l’écoute de ses résidents

Dans la résidence des personnes âgées, la jeune infirmière à l’âme d’écrivain sait écouter les histoires personnelles et saisir les manies touchantes, les travers agaçants, comme les drôles d’excentricités. « Je me souviens de Jeannette, éternelle adolescente, coquette à outrance, surprise parfois de rencontrer son image dans le miroir et de se trouver si jolie, narre aujourd’hui Annie Pivot dans ses Pensées. Elle dessinait autrefois ses sourcils au crayon et continuait de le faire, même avec les feutres qui traînaient sur le meuble près du téléphone. » Dans l’établissement habite également une certaine madame S. « Elle ne voulait pas que nous disions à son fils qu’elle avait un fiancé dans la résidence », se remémore l’écrivain-soignante. « Dans sa timidité rougissante, un jour où je tempêtais et me bagarrais avec sa multitude de vestes, robes, combinaisons, surchemises, chemises, sous-chemises, soutiens-plus-rien-du-tout, elle me dit : “Autrefois, ça occupait les messieurs !” »

Une histoire dans chaque maison

Parallèlement, Annie Pivot ne délaisse pas sa passion de jeunesse, la lecture. Elle lit de tout, avec une préférence pour Stephen King ou Paul Auster. Elle écrit aussi, de la poésie et de la prose du quotidien. « Quand il m’arrivait un événement amusant ou pas, il fallait que je l’écrive. » En 1992, elle ouvre son cabinet à Civrieux, pas loin de sa famille installée ici après avoir quitté la Bretagne puis Saint-Chamond, dans la Loire. Elle sillonne les routes, toujours à l’écoute des histoires de ses patients, tantôt amusée, tantôt affectée. « Ce qui est important dans notre métier, ce n’est pas la piqûre, mais ce qui va se passer autour », considère Annie Pivot. Chaque maison derrière une haie, au bout d’une allée, au milieu des vignes lui rappelle une scène cocasse, un caractère de cochon, un couple que la maladie sépare… « Dans toutes les maisons, j’ai quelque chose à raconter », commente Annie au volant de sa petite voiture, habituée comme toutes ses consœurs à se transporter d’un univers à l’autre. « Nous sommes comme des caméléons obligés de nous adapter à l’environnement, compare-t-elle. Quand on sonne à une porte, on ne sait pas ce que l’on va trouver derrière. »

L’envie de coucher toutes ces histoires sur le papier lui trotte souvent dans la tête. « Un jour, je vais écrire et raconter ce que je fais, se promet-elle. Ce sera ma façon à moi de montrer à quel point j’aime ce métier. » Mais les années passent sans que l’infirmière mette à l’œuvre son projet. Fin 2009, c’est enfin le déclic : « Une personne à qui je parlais beaucoup de cette envie m’a dit : “La prochaine fois, je veux que vous veniez me voir avec un chapitre !” » Annie abandonne alors ses dernières réticences et se met à raconter, page après page. « Ce livre était comme une évidence, tout était dans ma tête, je n’avais plus qu’à ouvrir les tiroirs. » Un an plus tard, son imprimeur la contacte : il a déposé un exemplaire d’essai dans sa boîte aux lettres. Le temps d’essuyer une petite larme et Annie donne son feu vert pour tirer les 700 livres. Commencent ensuite le travail de diffusion, les dédicaces…

Les patients d’Annie la connaissent désormais sous un autre jour. Elle n’est plus seulement Annie la coquette toujours bien apprêtée. Ou encore Annie la gourmande avec qui on peut échanger les recettes de cuisine. Elle est aussi Annie Pivot, l’auteur d’un “petit livre blanc” dont 500 exemplaires se sont déjà écoulés. « J’ai eu le bonheur de faire lire des gens qui n’avaient jamais lu un livre », raconte Annie.

On y croise Ange l’avocat qui a « balancé tout au long de sa carrière des torrents de phrases, dansant dans sa robe noire, jouant de ses manches la tragédie de tant de vies » et qu’un accident vasculaire a rendu aphasique. Mais aussi Secondine, 87 ans. La maladie d’Alzheimer est responsable chez elle de quelques écarts de langage qu’elle n’aurait jamais eus par le passé. Un jour qu’Annie vient la mettre au lit et fermer ses volets, Secondine demande sans retenue, en regardant le reflet dans le miroir de son armoire : « C’est qui la grosse vache en pantalon vert, là ? » « C’est moi, Secondine, que vous voyez dans le miroir, maintenant dormez », lui répond sèchement Annie, pas très contente à l’époque qu’on lui rappelle les kilos superflus de sa grossesse.

Mettre en lumière toutes les libérales

À travers ces tranches de vie drôles ou émouvantes, Annie Pivot a souhaité mettre en lumière la profession d’infirmière libérale « pour que l’on connaisse mieux notre métier parce que, souvent, on nous voit de façon épisodique sans vraiment savoir ce que nous faisons ». Pour résumer, on trouve dans son livre des récits de patients à la première personne, des considérations sur l’évolution du métier, les relations avec les médecins – les “pères-scripteurs” à l’écriture indéchiffrable – ou encore la tarification des soins. Il s’y lit le quotidien faussement banal d’une libérale : les kilomètres en voiture passés à cogiter, les chiens qui vous aboient dessus et vous salissent avec leurs grosses pattes, les commentaires sur votre tenue du jour ou le temps qu’il fait. Sans oublier les petits pains au lait que Lucie, une patiente, a pris l’habitude de vous laisser sur le coin d’un meuble chaque lundi… « Notons bien : si, un lundi, je n’ai pas mes pains au lait, il me manque quelque chose », confie l’auteur.

Annie Pivot en quelques livres…

Le livre que vous êtes en train de dévorer

La Couleur des sentiments de Kathryn Stockett, parce qu’on ne peut que se sentir concerné par la ségrégation raciale et les horreurs vécues il y a encore si peu de temps.

Le livre qui vous a fait pleurer à chaudes larmes

Des souris et des hommes de John Steinbeck, parce que certains auteurs racontent la vie comme nous allons acheter notre pain, et que nous ne pouvons que boire leurs paroles.

Le livre que vous voudriez conseiller à vos consœurs

Le mien, évidemment, Les Pains au lait du lundi et autres gourmandises ! Parce que c’est un livre dans lequel elles se retrouveront, et c’est agréable de savoir que nous ne sommes pas seules…

Le livre que vous aimez offrir

Pourquoi j’ai mangé mon père de Roy Lewis, parce que j’ai beaucoup ri en lisant ce livre et qu’il se lit en un jour et qu’on en parle beaucoup ensuite.

Le livre que vous n’avez pas réussi à finir

Dans les pas de Hannah Arendt de Laure Adler, mais je n’ai pas dit mon dernier mot ! Il est des livres à lire et des époques pour lire ces livres…

Le livre que vous auriez aimé écrire

Plus grand que l’amour de Dominique Lapierre, parce que j’ai fait mes études en pleine explosion du sida et que Dominique Lapierre a su trouver les mots qu’il fallait pour traiter d’un tel sujet.

Votre auteur favori

Stephen King, pour tout ce qui se cache derrière ses histoires abracadabrantes… Son meilleur ouvrage reste pour moi La Ligne verte.