L'infirmière Libérale Magazine n° 276 du 01/12/2011

 

Formation

Dossier

Pour faire évoluer leur carrière, certaines Idels cherchent à se reconvertir ou à diversifier leur activité. D’autres, en revanche, tentent d’y parvenir en restant fidèles au poste. La prochaine réforme de la formation professionnelle pourrait néanmoins bousculer les velléités de chacune…

Lâcher tout, changer de cap : combien d’infirmières libérales y ont, un jour, songé ? Si le phénomène paraît difficile à mesurer, est-il pour autant inexistant ? Presque insolite, a fortiori dans un magazine dédié aux Idels, cette seule question suscite néanmoins bien d’autres interrogations.

Quelles motivations poussent certaines infirmières libérales à déserter leur cabinet ? De quelle manière s’y prennent-elles ? Et, au final, s’agit-il bien de véritables reconversions ?

CLAQUER LA PORTE DU CABINET ?

Aucune étude ne semble s’être véritablement penchée sur le sujet. Reste que le parcours des quelques Idels qui s’aventurent dans une reconversion professionnelle laisse tout de même pensif…

À la différence du salariat, le libéral nécessite une démarche individuelle particulièrement réfléchie. D’autant que, pour s’installer, il est nécessaire de justifier d’une expérience minimale en institution et de remplir bon nombre de formalités. Vu les conditions d’accès, le choix pour ce mode d’exercice ne ressemble guère à une décision prise à la va-vite… L’abandonner ne se fait donc pas, non plus, de manière intempestive.

À l’occasion de sa propre démarche de reconversion, Christophe Peiffer, Idel dans les Alpes-Maritimes (06), a réalisé durant l’été 2010 un sondage auprès de 221 infirmières niçoises, dont 86 % étaient libérales. Aussi restreinte soit-elle, cette enquête a le mérite d’ouvrir le débat. Elle relève en effet que 63 % des sondées ont déjà envisagé une reconversion. Les principaux facteurs de mécontentement de ces dernières concernent les horaires, le stress, la pénibilité, la reconnaissance et le manque de temps. Autant de raisons de chercher une alternative. Au-delà de ces considérations, certaines redoutent aussi de ne plus être en capacité physique d’assurer les soins de leurs patients. Une préoccupation qui trouve un écho dans le témoignage d’Olivier Blanchard, Idel en Gironde (33) : « J’ai des problèmes de dos qui vont m’empêcher de continuer le libéral, se désole l’infirmier bordelais. Mais, après, je fais quoi et je vais où ? Mystère… Surtout que le libéral ne donne droit à rien, si ce n’est celui de se taire et de payer l’Urssaf. »

Pour Annie, libérale en région montagneuse, le malaise s’est manifesté autrement. « Il y a deux ans, j’étais en plein burn-out, à la limite de la dépression, confie-t-elle. Quand on est infirmière, on est un peu pris pour le sauveur du monde… J’avais l’impression de devoir répondre positivement à toutes les demandes, que ce soit de la part des patients ou de ma collaboratrice. » Résultat : les horaires de tournée de l’infirmière en devenaient ingérables, au point de l’empêcher de concilier vie professionnelle et vie familiale.

CONTRER LE BURN-OUT

La fatigue psychologique était telle qu’Annie a fini par entamer des démarches en vue d’une reconversion professionnelle. À l’aide d’une coach spécialisée (lire le témoignage ci-dessous), elle s’est lancée dans un travail d’introspection. « Je me suis aperçue que je manquais de confiance en moi, explique Annie. Je n’osais pas dire non. Or, par la suite, je me suis rendu compte que je pouvais me permettre de refuser certaines choses et que les gens continuaient à m’appeler. »

Ces prises de conscience ont soudain modifié la donne : Annie constate qu’elle demeure attachée à son métier. Elle souhaite seulement rééquilibrer la place qu’il occupe dans sa vie. En parallèle à son activité de libéral, l’Idel démarre depuis peu des missions d’enseignement. Même option pour Olivier Blanchard : depuis longtemps tenté par la reconversion, ce dernier s’oriente davantage vers une diversification de ses activités, « notamment peu à peu vers le journalisme médical et l’enseignement, dans une prépa aux concours ».

Faute de parvenir à se reconvertir aussi rapidement qu’il l’espérait, Christophe Peiffer mène également plusieurs activités de front (voir l’interview ci-contre). Il poursuit son travail d’Idel mais tâche d’évoluer dans le métier de coach.

ATTENTION À L’EXERCICE ILLÉGAL !

Et Christophe Peiffer n’est pas le seul dans sa région à se diversifier : il évoque ainsi le cas d’une consœur ayant « suivi une formation de masseuse ». Aussi séduisante soit-elle, cette pratique requiert néanmoins quelques précautions(1).

Comme l’indique Christine Misson, directrice de l’Association nationale de gestion agréée des paramédicaux libéraux (Angiil), « une IDE peut avoir en plus de son activité libérale une activité commerciale ou une autre activité libérale, mais prudence ! Il faut bien cadrer ces deux activités. Il est nécessaire de vérifier les décrets de compétence pour ne pas faire d’exercice illégal. Ces professions risquent d’attaquer l’IDE si celle-ci fait des actes qui demandent un diplôme spécifique, comme celui de kinésithérapeute, par exemple, pour les massages ». À noter également : il faut veiller à ne pas exercer cette seconde activitédans le local réservé à l’activité d’IDE et vérifier le cadre fiscal TVA et son régime d’imposition.

IRRÉDUCTIBLES LIBÉRALES

Malgré les envies d’évasion, l’attachement au métier n’en demeure pas moins présent. Le sondage conduit à Nice en 2010 (cité précedemment) dresse également une liste des avantages auxquels les professionnelles tiennent : l’autonomie, l’indépendance, la liberté et les relations humaines arrivent d’ailleurs en tête. Dans le secteur libéral, cette inclination semble se vérifier, du moins si l’on s’en réfère à l’âge moyen du départ à la retraite.

Selon l’enquête de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) publiée en mai 2011, « les infirmiers salariés des hôpitaux publics cessent leur activité en moyenne à 56 ans, les salariés des hôpitaux privés à 59 ans et les libéraux à 61 ans »(2). L’attrait pour le libéral n’est d’ailleurs pas prêt de s’éteindre, bien au contraire… Ainsi, d’après la Drees, « les libéraux représenteraient 18 % des effectifs d’infirmiers en 2030, contre 12 % en 2006 »(3).

« La relation avec les patients est l’un des sels de ma vie. Je ne me vois pas encore me coucher le soir sans être sûr d’avoir aidé quelqu’un concrètement », reconnaît Olivier Blanchard, malgré la tentation de tourner la page du libéral. Quant à Cyril Béraha, Idel à Marseille (13), qui est attiré par ce mode d’exercice depuis 2004, il ne comprend pas bien les raisons qui poussent certains confrères à se détourner de leur activité. « Je suis sorti du salariat à cause d’une accumulation d’heures supplémentaires sans que j’en retire une rémunération décente, se souvient-il. Depuis mon installation en libéral, je n’ai pas du tout l’impression de tourner en rond. Ceux qui ont ce sentiment ne sont peut-être pas faits pour ce métier… » S’il suit régulièrement des formations courtes, ce n’est sûrement pas pour changer de cap, mais davantage « pour actualiser mes connaissances », poursuit-il.

Qu’il s’agisse de parfaire son cursus, de se spécialiser dans des soins techniques ou de s’orienter vers une voie complètement différente, l’itinéraire emprunté passe presque inexorablement par l’étape formation. En la matière, les libérales disposent de deux sources de financement, l’une portée par le Fonds interprofessionnel de formation des professionnel libéraux (FIF-PL) et la seconde par Santé Formation 2.

FINANCER SA FORMATION

En tant qu’organisme collecteur, le FIF-PL gère le budget issu de la Contribution à la formation professionnelle (CFP) versée par les Idels auprès de l’Urssaf. Il permet ainsi aux intéressés de suivre des cours répondant exclusivement à un cahier des charges, redéfini chaque année.

Le dernier en date énumère notamment 27 thèmes liés à la pratique professionnelle qui, par exemple, concernent le traitement de la douleur, les situations de détresse chez les adolescents ou encore les soins infirmiers aux personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer. Ce dispositif ouvre droit à des formations courtes ou longues, mais reste limité. « Le cumul total d’une formation collective et d’une formation individuelle ne peut en aucun cas dépasser le plafond maximum de 600 euros par an et par professionnel », précise le site Internet du (4). De plus, « le FIF-PL ne prévoit pas le financement de reconversions professionnelles », ajoute le responsable.

Autre possibilité destinée aux infirmières libérales conventionnées : le catalogue de Santé Formation 2 (5). Contrairement au FIF-PL, cet organisme perçoit son budget auprès de l’Assurance maladie. Les Caisses de sécurité sociale chargées, à travers la convention nationale qui les lient aux infirmières, de « garantir à tous les assurés sociaux l’accès à des soins de qualité » s’engagent donc à approvisionner ce fonds.

D’après Daniel Guillerm, président de Santé Formation 2, son organisme permet chaque année à 10 à 15 000 Idels de suivre 640 actions de formations. Parmi les seize thématiques proposées, « les plus prisées portent sur l’optimisation des relations conventionnelles, la prise en charge du patient diabétique, la participation de l’infirmière aux chimiothérapies anticancéreuses et la gestion des situations d’urgence », commente Daniel Guillerm.

Particulièrement avantageuse, ces « formations conventionnelles sont entièrement gratuites puisqu’elles sont prises en charge par l’Assurance maladie, peut-on lire sur le site de Santé Formation 2. La perte de ressources professionnelles est compensée par une indemnité versée, à l’infirmière libérale, par sa CPAM ». Selon la convention de 2007, ce dédommagement s’élève à environ 225 euros par journée de formation et se limite à sept jours par an. Tout comme le FIF-PL, le cahier des charges de Santé Formation 2 ne permet pas de financer des formations qui s’éloigneraient du cadre des pratiques infirmières.

Pour sortir des sentiers battus, il faut donc s’autofinancer. Cette démarche peut d’ailleurs ouvrir droit à des déductions fiscales au titre des frais professionnels. C’est également le cas pour certaines dépenses non prises en charge par le FIF-PL. Il est également possible de recourir à des formations gratuites dispensées par des associations ou offertes par des laboratoires. « Mais, quand c’est payé par les labos, cela devient parfois trop commercial », nuance Cyril Béraha.

RÉFORME EN COURS

Cela dit, ces considérations pourraient voler en éclats. Tout dépend du développement professionnel continu (DPC) des professionnels de santé dont les contours semblent encore confus(6). Instauré par la loi relative à l’hospitalisation, aux patients, à la santé et aux territoires (HPST) de 2009, le DPC englobera désormais la formation continue et l’évaluation des pratiques professionnelles. Il devient obligatoire pour les infirmières.

Censé garantir la qualité des soins sur l’ensemble du territoire, il s’est pourtant attiré les foudres de l’Union nationale des professionnels de santé (UNPS).

Dans une motion, votée le 13 octobre, l’UNPS s’oppose aux projets de décrets entourant la future application du DPC : « Les multiples rédactions successives de ces projets de décrets n’ayant pas permis d’aboutir à un dispositif acceptable, l’UNPS avait demandé que soient apportées les modifications législatives qui s’imposent. » Et l’un des membres de l’UNPS de fulminer en coulisse, au sujet des éventuelles implications de ces textes sur les Idels : « Nous sommes dans l’attente du DPC depuis un an ! Pour les professionnels paramédicaux, c’est une réforme aux forceps… Les spécificités de l’exercice libéral se perdent. Elles vont se retrouver noyées au milieu des besoins des auxiliaires médicaux, des aides-soignantes et des IDE salariées. » Ne serait-ce que par rapport à la démographie globale des IDE, les libérales ne pèsent en effet pas lourd. À suivre…

(1) Relire le dossier Activités parallèles : attention danger ! paru dans L’ILM n° 261 de juillet 2010.

(2) Drees, Études et résultats n° 759, mai 2011, La profession d’infirmière : situation démographique et trajectoires professionnelles.

(3) Drees, Études et résultats n° 760, mai 2011, La démographie des infirmiers à l’horizon 2030.

(4) Site Internet : www.fifpl.fr.

(5) Site Internet : www.sante-formation.org.

(6) Article 59 de la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009.

Témoignage

« Un faux désir de reconversion »

Sylvaine Pascual, coach spécialisée dans la reconversion professionnelle

« Sur mon site Internet*, je fais apparaître le témoignage assez emblématique d’une infirmière libérale que j’ai accompagnée : elle était en effet dans un faux désir de reconversion. Elle avait l’impression d’être lassée de son métier, alors qu’en réalité c’était la manière dont elle l’exerçait qui ne lui convenait pas. Ensemble, nous avons donc identifié ce qui la gênait, à savoir son mode d’organisation, ses horaires, ainsi que son relationnel avec les patients et les autres infirmières avec lesquelles elle travaillait. Elle avait tendance à récupérer ce dont les autres ne voulaient pas… Il était important qu’elle s’affirme, qu’elle s’approprie son droit à répondre à ses propres besoins. En fin de compte, ce travail sur elle-même l’a conduite à rééquilibrer ses relations aux autres. En trois mois, à raison d’une séance par semaine, elle a réussi à retrouver un espace à elle et à se donner les moyens de faire évoluer sa carrière. Les objectifs fixés au départ ont changé. Au lieu de se reconvertir, elle continue son activité de libérale qu’elle commence à concilier avec l’enseignement. »

* www.ithaquecoaching.com

Témoignage

« Pas l’impression de tourner en rond »

Cyril Béraha, Idel dans les Bouches-du-Rhône (13)

« J’ai obtenu mon DE en 1999 et j’ai commencé à faire des remplacements en libéral en 2004, avant de m’installer en 2006. Je me suis vite aperçu que le libéral était très différent du salariat. On est beaucoup moins libre que ce l’on dit… Les trois quarts de ma patientèle sont des personnes âgées. Elles ont leurs habitudes, ce qui n’est pas toujours évident. Certaines exigent même que les passages de l’infirmier se fassent après leur émission de télévision ! Il faut parfois mettre le holà. Je suis sorti du salariat à cause d’une accumulation d’heures supplémentaires sans que j’en retire une rémunération décente. Depuis mon installation en libéral, je n’ai pas du tout l’impression de tourner en rond. Ceux qui ont ce sentiment ne sont peut-être pas faits pour ce métier… La clinique, c’était le Club Med par rapport au libéral. Mais je ne la regrette pas. Aujourd’hui, j’aimerais pouvoir développer mes soins en chimiothérapie. J’ai les connaissances suffisantes pour cela. Il m’arrive de suivre des formations courtes, proposées par les associations dont je suis adhérent comme le réseau Diabaix, mais c’est davantage pour actualiser mes connaissances. »

Interview
Christophe Peiffer, Idel à Nice (06) et coach professionnel

« Combler un grand vide »

Pourquoi avoir décidé de vous reconvertir ?

Suite à un grave accident en 2006, j’ai dû cesser les compétitions sportives auxquelles je participais durant mon temps libre. Cela a provoqué un grand vide. En parallèle, grâce au libéral et à une collègue conciliante, j’avais de grandes disponibilités. J’ai alors commencé à suivre des formations qui m’ont amené au coaching, un métier basé sur la préparation mentale comme dans le milieu sportif.

Comment avez-vous financé votre formation ?

Sur mes propres deniers ! Pour les Idels, il n’existe aucun dispositif permettant de financer ce genre de projets qui n’ont rien à voir avec le métier d’infirmière.

Comptez-vous définitivement arrêter le métier d’Idel ?

Ma réflexion a évolué. J’espérais exercer le métier de coach professionnel assez rapidement. Cette activité ne s’est pas développée aussi vite que je le souhaitais. Ce sera plus long que prévu. De plus, je m’aperçois que ma pratique infirmière nourrit mon approche du coaching.

* Lire notre rubrique Votre Cabinet de L’ILM n° 273 de septembre 2011 sur le coaching infirmier.

Analyse
ANTICIPATION

Quels besoins en formation pour demain ?

L’enquête conduite en 2007 par l’Observatoire prospectif des métiers et des qualifications de la branche sanitaire, sociale et médico-sociale, privée à but non lucratif sur les infirmières de ce secteur anticipe les évolutions de la profession. Ainsi les auteurs de l’étude lancent-ils quelques pistes en matière de formation.

« Des besoins futurs en connaissances et compétences nouvelles se profilent, et ce, pour l’ensemble des métiers infirmiers, notent-ils. De façon transverse, l’acquisition de certaines connaissances qui ne sont pas toujours bien transmises en formation initiale sont de plus en plus requises. » Ils citent ainsi : la connaissance approfondie du système de santé et du vocabulaire médical ; les compétences en bureautique et des logiciels dédiés ; les notions de méthodologie et de traçabilité des actes ; la connaissance des procédures de contrôle et des normes qualité; l’hygiène hospitalière ; l’analyse de situations de soins (fin de vie, annonce de cancer, etc.) et la connaissance de l’environnement sanitaire, social et médico-social.

Comment faire

Impôts et formation

« Le crédit d’impôt formation est un droit à la formation limité à 40 heures par an », explique Christine Mission, directrice de l’Angiil. Pour calculer son montant, il faut multiplier le nombre d’heures de formation effectuées par le taux du Smic horaire. Pour en bénéficier, il suffit ensuite de remplir une déclaration spécifique, à savoir la Cerfa n° 12635*01 (téléchargeable sur le site de la Direction générale des finances publiques, DGFiP)*. Avis aux intéressées : « Ce crédit d’impôt ne marche pas pour les formations gratuites », prévient Christine Misson.

* Site Internet : www.impots.gouv.fr.