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RÉFLEXION→ Plébiscité par tous, le travail en équipe, autour du patient, souffre encore de nombreux freins. Pourtant, c’est ce qui conditionne l’amélioration de la prise en charge des malades à domicile, associée au soutien que l’équipe peut apporter aux aidants familiaux.
Combien de personnes gravitent autour du malade pris en charge à domicile ? De l’aidant familial au médecin, en passant par l’infirmière, l’auxiliaire de vie, l’assistante sociale, le kinésithérapeute, etc., tous ont un rôle à jouer. Le tout, autant que faire se peut, de façon coordonnée. Et ce, à une époque où plus de 80 % des Français disent vouloir vieillir à leur domicile. C’est dans ce contexte que le Groupe Pasteur Mutualité organisait le 4 novembre dernier à Paris un colloque sur la médecine de proximité et sur les complémentarités entre soignants et aidants. Au nombre de six millions, les aidants familiaux occupent une place à part dans le maintien à domicile des personnes âgées et des personnes malades.
Selon Marie-Odile Desana, présidente de l’association France Alzheimer, l’aidant consacre en moyenne 6 h 30 par jour au proche malade, niant les difficultés que cela représente et la charge qui pèse sur ses épaules. Tant et si bien que 30 % des aidants familiaux décèdent avant la personne aidée. « Pilier de la prise en charge de la personne malade », l’aidant s’enferme, selon Marie-Odile Desana, dans une « spirale d’isolement, d’épuisement et de culpabilité ». Il souffre de « troubles psychologiques et somatiques » et doit très vite choisir entre son travail et son proche malade. Quand la situation se détériore et qu’il faut, de manière souvent urgente, mettre le malade en institution, ce choix est souvent « vécu comme un échec » par l’aidant qui culpabilise de ne pas être parvenu à remplir la mission qu’il s’était fixée.
En d’autres termes, quand un malade est pris en charge à son domicile, l’aidant a finalement autant besoin d’aide que la personne aidée. Et dans ce cadre, une bonne coordination des professionnels de santé est particulièrement bienvenue. D’autant que, remarque Françoise Pacchioli, infirmière libérale à Grenoble, si les aidants sont majoritairement des femmes âgées de 40 à 60 ans, il n’est pas rare de rencontrer des aidants déjà âgés qui s’occupent de leurs parents.
Le réseau des professionnels de santé qui gravitent autour de la personne ainsi prise en charge doit donc être solide et bien organisé. Et chacun a à y gagner, assure Pierre de Haas, président de la Fédération française des maisons et pôles de santé, selon qui « travailler ensemble élève le débat, améliore la qualité et renforce la proximité ». Une dynamique à encourager pour ce médecin qui constate « un très mauvais emploi des professionnels de santé » dans notre pays où l’on rémunère « des médecins pour mesurer des bébés, des infirmières à faire du nursing et des pharmaciens à vendre des boîtes ». Pire, le mode de rémunération des libéraux de santé n’est « pas du tout moderne », imposant « d’être face au patient pour être payé ». Rien qui favorise une prise en charge optimale, de son point de vue. Et cette façon de travailler n’est pas étonnante, regrette l’ancienne ministre de la Santé Élisabeth Hubert, quand « à aucun moment on n’amène les étudiants en santé à partager un projet ». Tant que le contexte interdisciplinaire ne sera pas traité au cœur des études, selon elle, il sera difficile d’améliorer le travail en équipe. À ceci près, précise toutefois Pierre de Haas, que les regroupements sont plébiscités par les jeunes : alors que le ministère a d’ores et déjà reconnu 253 maisons et pôles de santé, plus d’un millier de projets seraient dans les tuyaux, selon lui. Et de considérer que cela traduit une réelle volonté de travailler différemment, ensemble.
Pour autant, prévient Jean-Michel Chabot, conseiller médical du directeur de la Haute Autorité de santé (HAS), ces regroupements n’ont d’intérêt que parce qu’ils sont portés par les professionnels de santé eux-mêmes, qui doivent garder la main sur leurs projets.
Selon lui, « il y a un appel à lancer aux politiques, et singulièrement aux maires et conseillers généraux, à ne pas initier ce genre de structures, même sous l’impulsion de leurs électeurs. Qu’ils aient la sagesse de ne pas créer de maisons qui resteraient vides ». Onéreux, ces projets, s’ils ne sont pas couronnés de succès parce que portés par les élus locaux, risqueraient qui plus est de nuire à l’image des libéraux de santé que l’on pourrait alors accuser de ne pas faire d’efforts.
Les infirmières sont-elles reconnues à la hauteur de ce qu’elles méritent ? Cela dépend par qui. Clairement, on travaille mieux avec les femmes médecins qu’avec les hommes médecins. Elles nous considèrent beaucoup mieux. Les hommes restent trop souvent autoritaires, ils veulent tout maîtriser.
La coordination, le travail en équipe, ce n’est donc pas pour demain ? On est au début de quelque chose, on sent bien la volonté des uns et des autres de s’y mettre. Et on le voit bien : quand on fait des réunions de concertation, on travaille ensuite beaucoup mieux ensemble. Je travaille avec les services sociaux, à mon initiative. On voit ensemble qui fait quoi, ça marche bien.
L’infirmière est-elle la coordinatrice naturelle ? C’est la personne qui peut faire le lien. Le problème, c’est que si l’on doit coordonner en plus du soin, nous n’y arriverons pas, à moins d’être bien rémunérées pour cela et, du coup, de prendre moins de patients. En même temps, à mon sens, dans l’équipe pluridisciplinaire, il ne doit pas y avoir quelqu’un qui chapeaute, ce doit être vraiment une équipe, avec le patient au centre, et non le médecin.
Dans le cadre de sa dernière convention, la profession médicale a acté le principe d’une consultation annuelle du médecin traitant au domicile pour faire le point sur la santé du malade et celle de l’aidant. Pour le moment, la Caisse nationale d’Assurance maladie souhaite réserver cette visite aux seuls malades d’Alzheimer. Les partenaires conventionnels viennent de débuter la négociation sur cette disposition, afin d’en préciser les principes, l’organisation et la rémunération.