Nathalie Vigneau, animatrice et formatrice langue des signes pour bébés, Toulouse (31)
La vie des autres
Nathalie Vigneau enseigne aux entendants à parler avec leurs mains. Une approche pour le moins originale de la communication qu’elle transmet lors d’ateliers familiaux pour les bébés et qu’elle espère développer auprès des personnels de crèches et de certains services hospitaliers.
Ce matin, à Muret, à une vingtaine de kilomètres au sud de Toulouse, une dizaine de personnes sont réunies au domicile de Nathalie Vigneau. Assis par terre sur les coussins, mamans et petits – âgés de 9 mois à presque 4 ans – observent et écoutent attentivement, parfois moins, les gestes et les mots qu’elle leur propose au rythme d’une comptine ou au fil des pages d’un livre d’histoires pour enfant.
Infirmière hospitalière pendant six ans, Nathalie Vigneau s’est en effet reconvertie dans l’enseignement de la langue des signes pour les bébés. « J’ai découvert ce nouvel outil de communication dans un cadre similaire grâce à ma fille Clarissa, aujourd’hui âgée de 3 ans », explique la jeune femme. Totalement convaincue par le concept de la communication pré-verbale et désireuse de réorganiser sa vie professionnelle suite à sa maternité, elle s’inscrit à une formation de plusieurs mois à la langue des signes française (LSF) à l’ASP-Iris
Le principe consiste à utiliser des signes, parallèlement à la parole, pour appuyer certains mots simples du quotidien de l’enfant correspondant à ses besoins, à ses envies ou à ses émotions : faim, assez, encore, doudou, gâteau, chaud, sommeil, pipi, maman… Le processus s’appuie sur la phase d’imitation de l’enfant de 7-8 mois. « Les signes sont un support à l’acquisition du langage et non une substitution, insiste Nathalie Vigneau. Au même âge, les enfants ayant appris à signer
Dès 9 à 10 mois, les bébés sont capables d’utiliser leurs mains avec suffisamment d’habileté pour signer, alors que le langage oral ne se met en place qu’à partir de 24 mois. Et, en deux à trois ateliers d’une heure et demie, les bases de la communication par signes sont posées. L’acquisition d’une cinquantaine de signes exige ensuite essentiellement de la pratique et sa transmission au bébé repose sur la répétition.
Nathalie Vigneau offre les services de Kestumdis aussi bien dans les crèches – elle élabore d’ailleurs des stages pour leurs personnels dans le cadre de l’Asfo, un organisme de formation professionnelle continue toulousain – que dans les CAMSP (Centre d’action médico-sociale précoce). « Pour me faire connaître, j’interviens aussi sur les salons et les événements locaux liés à la petite enfance », précise-t-elle. Le chemin à parcourir pour faire reconnaître la technique en France est encore long. Pourtant, aux USA, où l’idée a vu le jour il y a presque trente ans, signer avec les bébés est très répandu.
Mais le secteur de l’enfance n’est que le point de départ. Nathalie Vigneau projette de valoriser sa connaissance du milieu hospitalier en développant l’outil pour faciliter la relation soigné-soignant : « En premier lieu, je pense à la chirurgie de lifting (réparatrice) et à la chirurgie ORL où les difficultés à communiquer sont évidentes après une intervention. Aller chercher un papier, un crayon… C’est parfois compliqué. En revanche, les mains sont toujours là. Elles sont un formidable palliatif à un obstacle physique temporaire à la parole, comme lors d’une trachéotomie. » En attendant de mettre en place un projet pilote en collaboration avec un chirurgien, Nathalie Vigneau répond à la demande du secteur. Sollicitée par une mère, l’ex-infirmière prend déjà en charge un jeune autiste afin d’assurer le relais avec la méthode Makaton (voir l’encadré) employée à l’institut médico-éducatif où l’enfant est suivi : « Au cours de micro-activités, nous travaillons le vocabulaire de base. Je combine l’image et l’action de façon à capter son attention, son regard. » Un masseur-kinésithérapeute, dont la clientèle est en grande partie pédiatrique, a également débuté son apprentissage. Grâce à la carrière infirmière de Nathalie Vigneau, la langue des signes pour bébés, sous-exploitée, voire méconnue, pourrait prendre un essor différent dans la région.
(1) L’ASP-Iris est l’Association pour la sauvegarde du projet de l’Institut de recherches sur les implications de la langue des signes : www.asp-iris.fr.
(2) www.kestumdis.fr.
(3) Communiquer en langue des signes.
« Autant les infirmières en milieu médico-social et psychiatrique peuvent bénéficier, avec la méthode Makaton, d’une ouverture sur le sujet, autant les infirmières libérales sont rarement sensibilisées à cet outil. En France, la loi ne reconnaît la LSF comme langue à part entière que depuis 2005. Son usage souffre encore d’un regard péjoratif. Pourtant, les Idels pourraient y trouver une aide dans l’exercice de leurs actes, spécialement avec les enfants, ou bien encore auprès des personnes en rééducation post-AVC. La difficulté est également de pratiquer de façon régulière, sinon on oublie rapidement. Mais quelques gestes de base donnant des informations sur la peur, la douleur… Pourquoi pas ? C’est quelque chose de naturel, ne surchargeant en rien la pratique professionnelle : il faut juste parler un peu plus avec les mains ! »
À l’origine
Dans les années 1980, les États-Unis s’intéressent à la langue des signes pour les bébés. Ainsi, en Alaska, Joseph Garcia, interprète en langue des signes américaine (ASL), constate la capacité des enfants entendants à utiliser la langue des signes de leurs parents déficients auditifs dès l’âge de 9 mois. Il y consacre une thèse en 1987 puis crée un programme de diffusion de l’ASL auprès des bébés, intitulé Sign with your baby
(2) www.sign2me.com
(3) www.makaton.fr