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SOCIOLOGIE → Spécialisation et autonomie ici, polyvalence et salariat là-bas… Une équipe pluridisciplinaire franco-japonaise, associant une directrice des soins, mène une ambitieuse étude de la profession infirmière depuis 1988. Un pont entre les pays plus qu’un comparatif.
La sortie en anglais de L’hôpital et la profession infirmière : une comparaison France-Japon
Premier constat : au Japon, la moitié des infirmières interrogées ont une ancienneté inférieure à six ans. « Elles cessent de travailler après le mariage ou la maternité, explique M. Harayama. Celles qui devenaient cadres, à cette époque, étaient surtout des célibataires… » Une situation qui a peu évolué aujourd’hui, souligne Toshiko Ibe, directrice du centre de formation infirmier du Saint Luke’s hospital. Le Japon compte un million 260 000 infirmières en activité, soit une femme active sur vingt-deux, sans aucun numerus clausus. Mais, attention, la terminologie inclut les aides-soignantes et même les sages-femmes, métier exclusivement féminin.
En France, entre l’échantillon de 1988 et celui de 2008, l’ancienneté varie peu, avec une moyenne de douze ans. Mais l’environnement professionnel est, lui, bouleversé : nouvelle gouvernance des soins, T2A, groupement des services et spécialisations… « La formation professionnelle en France se fait tout au long de la carrière, la spécialisation est appuyée par les hôpitaux eux-mêmes qui investissent dans le capital humain. C’est rentable car elles resteront quinze ou vingt ans », décrit Philipe Mossé.
Pour les chercheurs, la profession en France est rattachée à l’institution, que ce soit le couvent, l’hospice puis l’hôpital, alors qu’au « Japon, le soin, c’est d’abord la sphère domestique, familiale ». Paradoxalement, il n’existe pas d’exercice en libéral au Japon. L’infirmière peut effectuer des visites à domicile, mais en restant salariée de l’hôpital. Sinon, on trouve aussi les “clinics” : « Une dizaine de lits, propriété des médecins qui rachètent ces lieux après une carrière dans l’hôpital public, explique Philippe Mossé. Une ou deux infirmières y sont salariées, très polyvalentes : secrétaire médicale et infirmière à la fois ! L’espace de mobilité professionnelle du médecin est vaste, mais plus étroit pour l’infirmière. Hors de l’hôpital, elles peuvent seulement être salariées dans des centres. Symboliquement, on y lit la dépendance de l’infirmière par rapport au médecin, de la femme par rapport à l’homme », analyse-t-il.
Des différences de culture qui en entraînent d’autres. « Au risque de paraître caricatural, la logique dominante en France est celle de l’efficience en ligne, industrielle. On parle donc de spécialisation, de division du travail. L’infirmière vise à devenir expert ou clinicienne : cancer, œil, cardiovasculaire, hygiène… » Alors qu’au Japon, la polyvalence est une vertu. « La “prise en charge globale du patient” pour l’infirmière française, c’est une rhétorique, alors que, dans la réalité, on préfère se spécialiser comme les médecins. » Mais, les infirmières japonaises étant finalement moins incitées à faire évoluer le métier, elles l’abandonnent plus facilement…
* Hospitals and the nursing profession, lessons from franco-japanese comparisons. P. Mossé, T. Harayama, M. Boulongne-Garcin. Éd. John Libbey, 2011 (en anglais), 175 pages, 36 euros. Ancienne édition (en français) : L’hôpital et la profession infirmière, une comparaison France-Japon les voies de la modernisation, Éd. Seli Arslan, 2008.