L'infirmière Libérale Magazine n° 277 du 01/01/2012

 

Le débat

Les médicaments anti-Alzheimer ont été réexaminés par la Commission de la transparence de la HAS avec un an d’avance sur le calendrier initial. Les conclusions, rendues publiques en octobre, n’apaisent pas tous les doutes.

Pr Jean-Luc Harousseau Hématologue, président de la Haute Autorité de santé (HAS)

Que s’est-il passé avec les médicaments anti-Alzheimer ?

C’est assez simple. Ils sont au nombre de quatre(1). Alors qu’il avait été jugé important en 2007, leur service médical rendu est estimé faible en 2011. Ils présentent à présent un intérêt thérapeutique modeste, limité dans le temps et avec des effets indésirables importants, au niveau cardiologique et neurologique. L’avis de la Commission de la transparence a été unanime. Il n’empêche, ces médicaments restent pris en charge à 100 % car leur service médical rendu est faible, pas insuffisant. Cependant, nous avons demandé à ce que le traitement soit évalué chez les patients au bout de six mois et que les prescriptions ne dépassent pas un an, sauf avis contraire d’un groupe de professionnels de santé pour un patient donné.

Pourquoi un SMR faible et non insuffisant, quand Gilles Bouvenot(2) déclare lui-même que « si ces médicaments marchaient bien, cela se saurait ? »

C’est une question de degré. Il y a des médicaments dont l’intérêt thérapeutique est nul. Dans le cadre de la maladie d’Alzheimer, nous avons quatre médicaments, et rien d’autre. Nous avons considéré qu’en comparaison à rien, ces médicaments apportaient une petite réponse à certains patients. La délibération de la Commission de la transparence s’est faite dans un contexte particulier, avec la suspension dès le mois de mai de la recommandation de bonne pratique et dans le cadre d’une polémique largement médiatisée cet automne entre l’association France Alzheimer qui souhaitait le maintien de ces médicaments et les médecins généralistes qui considéraient que ces produits n’apportaient aucun bénéfice. Quand, en 2007, la Commission de la transparence avait rendu son dernier avis, elle avait tenu compte du fait que ces médicaments avaient un effet structurant dans la prise en charge des malades.

Pourquoi suspendre votre recommandation avant la réévaluation des produits ?

Cela fait suite à une plainte du Formindep(3) qui estimait nos recommandations sur le diabète de type 2 et sur Alzheimer entachées de conflits d’intérêt. Le conseil d’État a donné raison au Formindep s’agissant du diabète de type 2. Pour Alzheimer, nous avons pris les devants. J’ai par ailleurs suspendu en septembre six autres recommandations(4) de bonne pratique pour lesquelles nous avons constaté qu’il manquait au moins une déclaration de liens d’intérêt. Ces recommandations seront retravaillées en 2012.

Dr Louis-Adrien Delarue Médecin généraliste remplaçant, auteur de la thèse Les recommandations pour la pratique clinique élaborées par les autorités sanitaires françaises sont-elles sous influence industrielle ?, soutenue le 6 juillet 2011 à Poitiers

Que s’est-il passé avec les médicaments anti-Alzheimer ?

En 2011, on a fait appel à des experts indépendants, ce qui n’était pas le cas en 2007. Aujourd’hui, la communauté médicale est très divisée sur ces médicaments. On a vu encore très récemment des grands pontes dire qu’ils sont très utiles. La communauté scientifique reste très dépendante des firmes. Elle pense que, sans médicaments, on ne soigne rien. Les médicaments anti-Alzheimer n’ont pas démontré leur efficacité, en matière de qualité de vie, d’autonomie, de troubles du comportement, de mortalité. En revanche, ils ont des effets indésirables graves, notamment cardiovasculaires et neuropsychiques.

Pourquoi un SMR faible et pas insuffisant ?

Indépendance ne veut pas dire compétence. La décision s’est forcément faite avec une dimension économique. Ces produits continuent à être remboursés et rapportent de l’argent aux différents laboratoires concernés. Entre 2006 et 2009, la Cnam a dépensé un milliard d’euros pour leur remboursement… Un milliard pour des médicaments dont la pertinence est en cause. La décision de la HAS, c’est le verre à moitié plein ou à moitié vide.

Votre thèse soutenue l’été dernier a-t-elle joué un rôle dans les décisions du Pr Harousseau ?

Sans doute un peu. Cela dit, retirer des recommandations au compte-goutte sur pression des citoyens n’a pas beaucoup d’intérêt. La HAS n’a pas modifié totalement ses règles en matière de transparence. Les pouvoirs politiques n’ont rien créé qui sanctionne les manquements de transparence. On ne met pas de moyens ambitieux pour constituer des comités d’experts indépendants. Le Leem continue à être consulté par la Commission de la transparence. C’est la même chose que lorsqu’Areva est consulté sur les négociations entre le Parti socialiste et les Verts… La HAS n’a pas à demander son avis à l’industrie pharmaceutique.

(1) Ebixa (Lundbeck), Aricept (Eisai), Exelon (Novartis Pharma) et Reminyl (Janssen Cilag).

(2) Président de la Commission de la transparence.

(3) Le Formindep est une association de médecins qui milite « pour une formation et une information médicales indépendantes de tout autre intérêt que celui de la santé des personnes ».

(4) Deux recommandations sur la polyarthrite rhumatoïde, une sur les spondylarthrites, une sur les AVC, une sur la dépression chez l’adulte et une dernière sur l’HTA.

En télex

→ En date du 16 décembre (à l’heure où nous bouclons), la HAS publie une nouvelle recommandation “diagnostic et prise en charge” pour les maladies d’Alzheimer et apparentées. À lire sur www.has-sante.fr.