Maisons de santé
Dossier
Travailler tout seul sur un secteur, les nouvelles générations de professionnels de santé ne le souhaitent plus autant qu’avant. Les maisons et pôles de santé pluridisciplinaires qui se créent leur offrent la possibilité de coordonner la prise en charge du patient et de s’engager dans la prévention. Malgré les critiques de certains, ceux qui y participent paraissent ravis.
« L’exercice individuel dans la santé, c’est fini ! Les équipes sont meilleures que les individus seuls ! » C’est en ces termes que Pierre de Haas, président de la Fédération française des maisons et pôles de santé (FFMPS), défend la pertinence de ce mode d’exercice regroupé. Il est d’ailleurs soutenu par des messages politiques répétés. En février 2010, Nicolas Sarkozy promettait le développement de 250 nouvelles maisons de santé pluridisciplinaires (MSP). Et le ministre de la Santé, Xavier Bertrand, a affirmé lors d’une interview télévisée en mai 2011 que le gouvernement avait décidé de les financer afin d’en multiplier le nombre par quatre avant la fin de l’année… Alors que 2011 est terminé, il est possible de douter que l’objectif soit atteint. Tout d’abord, parce que la création d’une MSP prend du temps. Mais aussi parce qu’il est difficile actuellement de toutes les décompter. Le président de la FFMPS évalue à 1 000 maisons ou pôles le nombre de projets lancés ou en cours de préparation.
Dans la constitution d’une maison ou d’un pôle de santé, il n’existe pas véritablement de passage officiel obligé qui permettrait d’évaluer leur nombre. Toutefois, des chiffres sont disponibles auprès du Fonds d’intervention pour la qualité et la coordination des soins (Fiqcs) : en effet, les MSP peuvent demander aux agences régionales de santé une aide au démarrage issue du Fiqcs, à hauteur de 50 000 euros par MSP, une seule fois. Toutes ne le font pas et les demandes ne donnent pas toujours lieu à financement, mais, dans son rapport d’activité 2010, le Fiqcs indique avoir apporté une aide à 45 MSP en fonctionnement et à 23 en cours d’installation (contre 38 et 29 en 2009).
Le Fiqcs continue par ailleurs de consacrer la majeure partie de son enveloppe régionale
Les régions Nord-Pas-de-Calais (62) et Bourgogne (26) comptent pour l’instant le plus de maisons et de pôles de santé pluridisciplinaires (éligibles au Fiqcs). Un signe d’engagement des collectivités territoriales en soutien à cette forme d’exercice regroupé. Elles ont en effet la possibilité de donner un coup de pouce à ces projets. Des communes choisissent aussi parfois de mettre un local à la disposition de la MSP à des conditions avantageuses afin de favoriser le maintien d’une offre de soins locale. C’est le cas par exemple du pôle de santé de Gacé, dans l’Orne (61), où travaille Natacha Jardin, infirmière libérale. La communauté de communes a acheté et aménagé un local avec l’aide des collectivités partenaires. Médecins et infirmières ont été consultés au cours des différentes étapes d’aménagement du local. Et travaillent à présent dans un espace plus adapté que leur ancien cabinet mais, surtout, de manière pluridisciplinaire.
En effet, le travail en MSP n’a rien à voir avec une juxtaposition de personnes exerçant côte-à-côte de manière autonome. Il s’agit d’un groupe de professionnels qui choisissent de se coordonner pour prendre en charge plus globalement les patients et ne plus travailler de manière isolée. Les MSP réunissent au moins des médecins généralistes et des infirmières libérales et, selon les cas, des kinés, des dentistes, des sages-femmes, des orthophonistes, des diététiciennes… Ils s’articulent autour d’un projet de santé fort et commun et d’un “leader” qui orchestre le projet. Celui-ci est l’interlocuteur des partenaires publics et la courroie de transmission vers ses confrères de la MSP. Le plus souvent, il s’agit d’un médecin, parfois d’un pharmacien, rarement d’un infirmier libéral.
Le Dr Laurent Verniest, vice-président de la FFMPS, est responsable de la maison de santé de Steenvoorde, dans le Nord (59). « En 2006, notre secteur a été repéré comme zone sous-dotée sur le plan médical. On nous a proposé d’entrer dans l’expérimentation des MSP, a-t-il exposé lors du congrès du Syndicat national des infirmiers et infirmières libérales (Sniil), en novembre 2011, à Lille. Il a fallu un an et demi pour que l’ensemble des professionnels rejoignent le groupe. » Depuis 2008, ils se réunissaient déjà sur des thématiques pluriprofessionnelles. Ils étaient donc “mûrs” pour transformer l’essai. Leur MSP compte aujourd’hui cinq généralistes, trois équivalents temps plein d’infirmières, quatre kinés et, depuis 2010, un pharmacien et un kiné extérieur. Elle s’apparente donc de plus en plus à un pôle (voir encadré page suivante).
En plus de l’activité de soins payée à l’acte de chacun des professionnels, le fonctionnement des maisons de santé favorise la coopération des professionnels. Il comprend aussi des temps de coordination, notamment pour la définition de protocoles organisant les soins au sein de la maison. À Steenvoorde, ces réunions ont lieu deux fois par semaine, le midi. D’octobre à fin novembre, l’infirmière inocule les vaccins anti-grippe durant des plages horaires précises, selon un protocole. « Grâce au logiciel commun, le médecin sait quand le patient a été vacciné et il a accès à la traçabilité des vaccins, remarque Delphine Merlier, une des infirmières de la MSP de Steenvoorde. Aussi, si un patient vient le consulter et souhaite se faire vacciner contre la grippe, il est orienté vers l’infirmière. » D’autres protocoles concernent les pansements, le suivi des anti-vitamines K ou l’incitation au dépistage de certains cancers.
Les temps de coordination sont rémunérés au forfait dans le cadre de l’expérimentation des nouveaux modes de rémunération
La MSP de Steenvoorde reçoit ainsi « 35 000 euros au titre de ce module, indique Laurent Verniest. Cela sert notamment à payer la personne qui gère et anime les réunions, nous représente auprès des collectivités et prépare les projets… ». Les forfaits de coordination prévoient 6 900 euros pour le premier médecin, 3 000 pour les médecins supplémentaires et 1 400 pour les professionnels de santé supplémentaires. Mais, à Steenvoorde, l’équipe a choisi de rémunérer à égalité tous les professionnels concernés.
Les équipes de MSP ont aussi la possibilité de mener des actions de santé publique comme des ateliers d’éducation thérapeutique. À Steenvoorde, par exemple, une première série d’ateliers a porté sur l’arrêt du tabac, une autre sur le diabète. Pour ces activités hors paiement à l’acte, un deuxième module de rémunérations au forfait est prévu au titre des “nouveaux services aux patients”. « Il sert à rémunérer les participants aux réunions de préparation et les ateliers thérapeutiques, indique l’infirmière. Je perçois 700 euros pour les cinq ateliers avec dix patients. » La MSP a également reçu 1 000 euros pour la rédaction du programme et 250 euros par patient pour trois séquences et un bilan.
Pour le vice-président de la FFMPS, « ce mode d’exercice en MSP dépasse largement le partage de moyens. Il nécessite une véritable motivation pour coordonner les soins et casser les barrières entre les métiers : nous sommes tous des professionnels de santé. C’est également important de partager les mêmes valeurs et d’avoir envie de vivre des moments différents avec les patients et les usagers ». Quitte à bousculer les limites de l’exercice libéral et à ajuster sa culture professionnelle.
Comme Pierre de Haas, Annick Touba, présidente du Sniil, estime que « l’avenir de l’exercice libéral passe par la prise en charge en groupe de professionnels, en maisons de santé ou autrement. Nous jouerons notre rôle de manière beaucoup plus efficiente si on le fait en équipe de soins. Nous ne sommes pas habitués, cela demande du temps, de la compréhension… Il faut qu’on se connaisse tous mieux et cela passe par des rencontres. C’est tout l’enjeu de la prise en charge de la santé, plus que du soin, par les professionnels. Les jeunes générations d’infirmières et de médecins le désirent ».
Cette position n’est pas partagée, loin s’en faut, par la Fédération nationale des infirmiers (FNI). Pour Daniel Guillerm, son vice-président délégué, « il y a des choses intéressantes dans les MSP. La manière dont elles sont présentées est très séduisante. Mais, selon nous, on n’a pas besoin de partager des murs pour cela ». La FNI dénonce aussi une « course aux subventions » et « une série de distorsions » en matière de concurrence. Les MSP comportent des « effets délétères pour nous, infirmiers, souligne Daniel Guillerm. Dans le statut des Sisa [voir encadré], une chose nous gêne énormément, c’est l’abolition de la notion de compérage. Un médecin de maison de santé qui reçoit un patient peut le diriger vers une infirmière de la MSP qui n’est pas son infirmière habituelle. Ce qui constitue un détournement de clientèle à l’encontre des infirmières qui ne sont pas dans la MSP ». Selon lui, les nouveaux modes de rémunération forfaitaires constituent également une menace sur l’exercice libéral à long terme.
Pourtant, les infirmières qui exercent en MSP sont nombreuses à revendiquer leur attachement à l’exercice libéral et à souligner la confraternité transversale qui se crée avec les autres professionnels.
Pour Pierre de Haas, les reproches formulés par la FNI en termes de concurrence se heurtent à liberté de choix des patients. « Si des patients vont dans une MSP, c’est qu’ils doivent y trouver quelque chose de mieux en termes d’accès aux soins et de qualité des soins », souligne-t-il. Selon lui, ces inquiétudes sont normales tant la structure, les objectifs et le fonctionnement des maisons de santé d’aujourd’hui tranchent avec les habitudes d’exercice d’hier.
La formule ne fonctionne pas à tous les coups. La raison la plus fréquente d’échecs réside dans le fait qu’une MSP soit par exemple portée par des élus territoriaux qui n’ont pas bien analysé la motivation des professionnels de santé, remarque Pierre de Haas. « D’autres échecs peuvent venir de problèmes de dynamique d’équipe, ajoute-t-il. L’apprentissage du travail en équipe au lieu du travail individuel n’est pas toujours simple. » Mais, lorsqu’il fonctionne bien, les professionnels, comme les patients, ont bien l’air d’y trouver leur compte. Évaluation à suivre.
(1) En fait, seule l’enveloppe régionale est concernée par la dotation en faveur des réseaux, alors que les deux enveloppes, nationale et régionale, peuvent aider les MSP. La dotation aux réseaux représente ainsi 84 % des 206 millions d’euros de l’enveloppe régionale et, mathématiquement, 68 % de l’enveloppe totale (régionale de 206 + nationale de 48 millions).
(2) Cette expérimentation doit durer trois ans, de 2010 à 2013, voire jusqu’en 2014.
Natacha Jardin, Idel dans un pôle de santé à Gacé (Orne, 61)
« Notre but, c’est de travailler ensemble, d’être interactifs et de s’apporter des choses mutuellement. Ce n’est pas une question de local, mais un état d’esprit, l’envie d’évoluer dans notre profession, chacun, ensemble et avec les autres. Mutualiser les pratiques, c’est pour nous le plus important. Nous gérons en commun et partageons les charges des parties communes et d’un studio qui héberge stagiaires, élèves et remplaçants. J’ai exactement les mêmes charges que lorsque j’étais indépendante, alors que le local est bien plus adapté ! Nous avons été aidés par la communauté de communes sur le plan immobilier. Et je suis très satisfaite du changement : le cabinet est plus pratique et, surtout, les relations entre professionnels des différents métiers sont bien meilleures, basées sur la collaboration. »
Isabelle Alvino, Idel, présidente du pôle de de santé pluridisciplinaire de Ifs (Calvados, 14)
« Notre pôle a démarré en avril et compte 29 adhérents constitués en association. Le pôle regroupe des infirmières, une sage-femme, une dizaine de médecins, deux orthophonistes… Les prises en charge sont beaucoup plus faciles et j’ai découvert des champs de compétence nouveaux. Les activités de coordination s’organisent en quatre groupes ayant chacun deux coordinateurs, rémunérés deux fois plus que les autres participants. Nous ne participons pas à toutes les réunions, mais chacun reçoit les compte-rendus et chaque groupe organise une plénière de temps en temps, éventuellement ouverte au public. Cela ne me prend pas tant de temps car tout le monde participe. Je n’ai pas diminué ma part d’activité payée à l’acte et, financièrement, cela n’a rien changé pour moi. Je n’ai pas plus de charges car il n’y a pas de frais de structure. En revanche, le paiement des heures de coordination est très décalé. »
Pierre de Haas, président de la Fédération française des maisons et pôles de santé (FFMPS)
Sait-on combien il y a de pôles et de maisons de santé ? Le gouvernement annonce le chiffre de 250 MSP. À la Fédération, nous disposons d’un répertoire de plus de 150 adhérents et il y en a largement également plus de 100 dans les dispositifs de nouveaux modes de rémunération. Nous avons aussi connaissance d’à peu près 130 projets, ce qui, par extrapolation à l’échelle nationale, conduit à environ 1 000 projets en cours. Dans l’Ain, il n’existera probablement plus d’autre forme d’exercice d’ici trois ans.
Il n’existe pas de label officiel ? Les maisons de santé répondent à un cahier des charges, mais il n’existe pas de label, heureusement. Elles s’organisent autour d’un projet de santé qui doit être signé par tous les professionnels qui se regroupent. C’est la différence avec une maison médicale dans laquelle les professionnels exercent dans les mêmes murs, mais sans forcément de projet collectif.
Comprenez-vous les critiques dont elles font l’objet ? Nous entrons dans une phase de changement des modes de pratiques, d’une approche monocatégorielle à une démarche pluricatégorielle. C’est normal qu’il y ait des critiques et des questions.
Les maisons et pôles de santé pluridisciplinaires combinent des logiques territoriales – de continuité des soins – et professionnelles – en termes de prise en charge coordonnée. « La création d’une MSP prend beaucoup de temps », reconnaît Laurent Verniest. Maisons ou pôles doivent compter au moins deux médecins généralistes et un professionnel paramédical. Si tous les professionnels associés exercent en un même lieu, il s’agit d’une maison. Sinon, c’est un pôle.
Pour bénéficier d’aides financières publiques, ces équipes doivent répondre à un cahier des charges prévu par la loi HPST.
Elles doivent s’organiser autour d’un projet de soin, mener des actions de coordination et mettre en place des services aux patients (ateliers thérapeutique) pouvant être financés au forfait.
Beaucoup de MSP combinent une association, une société civile de moyens (SCM) ou société civile professionnelle (SCP) et, parfois, une société civile immobilière (SCI).
Mais, pour Martine Dubus, avocate spécialisée en droit de la santé, qui est intervenue lors du congrès lillois du Sniil, le statut associatif n’est absolument pas adapté. En août 2011, la loi Fourcade a créé le statut de Société interprofessionnelle de soins ambulatoires (Sisa). « Elle peut percevoir de l’argent qui va financer les frais de fonctionnement et de coordination, la formation de la structure, souligne l’avocate. Et le reste, comme dans une SCP, sera réparti entre les associés. » En attendant la publication des décrets d’application fin 2011-début 2012, Bercy devrait se montrer tolérant sur le plan fiscal, indique Pierre de Haas.
Delphine Merlier, infirmière libérale à la maison de santé de Steenvoorde (Nord, 59)
« Nous avons travaillé ensemble, médecins, infirmières et kinés, sur le projet de soins, mais la plupart d’entre nous collaboraient déjà ensemble. Au quotidien, nous effectuons notre tournée, nous avons notre propre organisation, nous nous occupons chacun de nos papiers. Lors de nos permanences sur place, si nous rencontrons un problème, nous pouvons appeler le médecin. Deux fois par semaine, nous participons à des réunions d’organisation pour préparer un protocole ou parler des patients. Nous formalisons ainsi ce que nous faisions auparavant de manière informelle. Nous pouvons aussi faire de l’éducation thérapeutique de manière plus approfondie. Cela nous apporte énormément. On a le temps de discuter avec les patients de leurs attentes, de faire vraiment connaissance avec eux… Une collaboratrice nous décharge d’une partie du paiement à l’acte. Je ne gagne donc pas plus d’argent qu’avant. Le loyer me coûte un peu plus cher qu’avant, 550 euros, car il faut financer, collectivement, le poste de coordinateur médical. »
→ La Fédération française des maisons et pôles de santé : www.ffmps.fr
→ L’article 51 de la loi HPST sur le site de la HAS : http://petitlien.fr/5qzq
→ La circulaire du 27 juillet 2010 et le cahier des charges des MSP sur le site de la Délégation ministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale (Datar) : www.territoires.gouv.fr/maisons-de-sante
→ Le Bilan des maisons et des pôles de sante et les propositions pour leur de ploiement, rapport janvier 2010 : http://petitlien.fr/5r0o
→ La loi Fourcade du 8 août 2011 sur les Sisa : http://petitlien.fr/5qzp
→ Les maisons de santé rurales de la MSA : http://maisonsdesanterurales.msa.fr