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SOINS → Handicapantes et douloureuses pour les patients, les plaies complexes donnent également du fil à retordre aux soignants. Elles appellent le plus souvent un traitement médico-chirurgical et une prise en charge spécialisée et multidisciplinaire.
Chroniques, traumatiques, tumorales, dermatologiques, escarres post-opératoires… 27 % des personnes hospitalisées présentent des plaies plus ou moins importantes et plus ou moins complexes. C’est ce que montre une enquête conduite en 2009 par une vingtaine de sociétés savantes et de laboratoires pharmaceutiques et à laquelle ont répondu des médecins et infirmières de 266 services hospitaliers sur un jour donné. Les résultats complets de cette étude, à laquelle ont aussi été associés des infirmières libérales et les médecins de ville, devraient être publiés prochainement. « On le voit, la prévalence des plaies est très importante », a souligné le Dr Sylvie Meaume, chef du service de gériatrie plaies et cicatrisation à hôpital Rothschild (AP-HP), lors de la première Rencontre sur les plaies complexes, organisées le 29 novembre dernier à Paris par KCI Médical en partenariat avec l’AP-HP. Les soignants ayant participé à cette enquête ont, par ailleurs, estimé que, dans 20 % des cas, la prise en charge de la plaie nécessiterait une prolongation de l’hospitalisation des patients.
Mais que sont précisément les plaies complexes ? D’un point de vue clinique, elles se présentent sous la forme de lésions depuis longtemps installées, souvent vastes et profondes, dont le lit est occupé par un tissu malsain ou nécrosé, et qui tardent à cicatriser, voire ne cicatrisent pas. Ces plaies peuvent être ischémiques et le siège d’une inflammation ou d’une infection. Certaines localisations anatomiques peuvent aussi rendre complexe une plaie lorsqu’elle est située devant un tissu noble, comme le cerveau ou la carotide.
Cependant, comme l’a expliqué le Dr Sylvie Meaume : « la définition d’une plaie complexe demeure encore floue ». Les travaux engagés en France et au niveau européen pour mieux les définir se poursuivent d’ailleurs. À terme, « médecins et infirmières devraient ainsi mieux s’y retrouver », admet le médecin. Un manque qui n’est pas sans impact sur les données épidémiologiques dans ce domaine. « La littérature est pauvre, et si l’on voulait extraire des données du PMSI (Programme de médicalisation des systèmes d’information), nous serions bien en peine du fait, justement, de l’absence d’une définition claire. Il serait donc souhaitable de créer un groupe homogène de malade ”plaies complexes“, d’autant que leur prise en charge augmente la durée moyenne de séjour », a estimé le médecin. Sans parler de la durée des soins au lit du malade. « Certaines plaies peuvent mobiliser une infirmière durant trente minutes, voire une heure, par jour. Comment faire, lorsqu’un service ne dispose que d’une seule infirmière pour quinze ou vingt patients ? », a interpellé un praticien hospitalier.
En revanche, il est sûr que le traitement des plaies complexes qui, le plus souvent, doit faire appel à une prise en charge médico-chirurgicale en milieu hospitalier, voire en ambulatoire et en HAD quand cela est possible, réclame connaissances et compétences de la part des soignants. Une plaie qui d’emblée ne cicatrise pas doit être discutée au sein d’un groupe pluridisciplinaire pour établir un diagnostic précis afin de parvenir le plus rapidement possible à la mise en place d’une thérapeutique et de soins adaptés, intégrant la prise en charge de la douleur induite ou provoquée par les soins. Quant aux causes des plaies complexes, elles peuvent être multiples, d’autant que les personnes atteintes sont très souvent des personnes âgées « polypathologiques », a rappelé Sylvie Haulon, gériatre à l’hôpital Broca (AP-HP). Les facteurs de retard de cicatrisation sont également pluriels et les patients en cumulent souvent plusieurs : malnutrition (voir encadré), maladies vasculaires, infection, corticothérapie, état dépressif, problèmes sociaux… Il faut régulièrement réévaluer la plaie et le malade. « La collaboration entre le médecin et l’infirmière est indispensable, a précisé le Dr Sylvie Meaume. C’est l’infirmière qui panse le malade, elle ne doit donc pas hésiter à interpeller le médecin si l’évolution de la plaie n’est pas satisfaisante. »
Benoît Leclercq, ancien directeur général de l’AP-HP, conseiller maître en service extraordinaire à la Cour des comptes
En charge des travaux ayant trait aux personnes âgées, Benoît Leclercq est excédé par l’absence d’approche spécifique des personnes âgées en France. « Il n’existe aucune étude sur l’état de santé globale des personnes âgées dans notre pays. Dès lors, en l’absence de connaissances épidémiologiques, comment mettre en œuvre une politique de santé efficace en leur faveur, ou s’adresser à elles de manière pertinente ? Et comment organiser les soins sans carte sanitaire ou orienter la recherche ? » Par ailleurs, Benoît Leclercq a souligné que, si parmi les 32 plans de santé publique aujourd’hui en action, une vingtaine d’entre eux détaillent spécifiquement ou abordent des mesures en direction des personnes âgées, aucun document faisant des ponts entre ces différents plans n’existe, pas plus qu’une synthèse. « C’est un véritable scandale. » Il a aussi regretté la pauvreté des essais cliniques dédiés à cette population. Enfin, il a pointé le manque de praticiens formés à la gérontologie (voir encadré En chiffres).
10 % des plus de 80 ans vivant à domicile sont malnutris.
1 personne sur 2 âgée de plus de 75 ans qui entre en institution est dénutrie.
Effectifs en gérontologie : « Quelque 1 600 médecins ont obtenu leur capacité l’an passé. Au regard du nombre de personnes âgées, six millions aujourd’hui et le double à l’horizon 2050, et du nombre d’établissements, c’est peu. Même si on ajoute les soignants ayant un diplôme universitaire dans cette spécialité », constate Benoît Leclercq, conseiller maître en service extraordinaire à la Cour des comptes.
« La malnutrition est naturellement responsable des difficultés dans la cicatrisation de plaies. Elle est également un facteur de risque qui favorise les escarres et les plaies chroniques par le biais, notamment, d’une baisse de la mobilité. Elle est aussi associée à une augmentation de la morbidité, mais surtout de la mortalité, et ce, quelle qu’en soit la cause », a expliqué le Dr Olivier Henry, chef du service de médecine gériatrique à l’hôpital René-Muret (Sevran). Les outils pour évaluer la malnutrition sont la surveillance du poids. Selon l’OMS, une perte de 5 % du poids en un mois ou de 10 % en six mois signe une malnutrition, tout comme un indice de masse corporelle (IMC) inférieur à 21. « En revanche, on ne peut pas juger d’une malnutrition au seul résultat du taux d’albumine, ce qui est fréquemment fait car, en cas d’inflammation, sa production cesse », a précisé le médecin. La carence alimentaire est aussi à l’origine de la sarcopénie qui se traduit par une diminution de la masse musculaire.