L'infirmière Libérale Magazine n° 279 du 01/03/2012

 

Stéphanie Duvignaud, infirmière “agent de santé”

La vie des autres

Depuis juin 2011, le Conseil général de Saône-et-Loire finance entièrement les cinq postes d’infirmières et agents de santé, salariées de l’association Le Pont. Un outil de lutte original contre l’exclusion des soins.

Le RSA socle (revenu social d’activité) est le remplaçant de l’ex-RMI. Considérant qu’on ne peut pas se réinsérer si l’on est en mauvaise santé, en Saône-et-Loire, les référents sociaux travaillent en complémentarité avec cinq infirmières. Stéphanie Duvignaud est l’un de ces “agents de santé”. Basée à Paray-le-Monial, elle supervise le secteur rural du Charolais-Brionnais. Les lundis et mardis, elle assure un grand nombre de visites à domicile. Car Stéphanie, c’est un drôle de “taxi”. Ce matin, par exemple, elle récupère, au pied de sa barre d’immeuble, Mme X. « Je l’accompagne voir un médecin traitant, car elle est en surpoids. » Stéphanie téléphone ensuite à sa seconde patiente. Heureusement, car elle la réveille… En voiture, la conversation s’engage : plusieurs membres de la famille sont à l’hôpital et il y a un problème avec la banque. Une fois qu’elles sont arrivées au cabinet dentaire mutualiste de Geugnon, la carte vitale fait défaut. « Pour cette fois, on s’arrangera », commente l’assistante, compréhensive. Et le dentiste de dévitaliser une dent…

« Elle va mal aujourd’hui, commente Stéphanie. Elle est nerveuse, bourrée d’eczéma. » Ses patients surconsomment-ils les soins ? « C’est un cliché ! Au contraire, ils sont souvent réticents. Ils me disent : “Stéphanie, je ne peux pas payer.” La peur des soins ou du diagnostic doit être surmontée. Les femmes stressent particulièrement en gynécologie : elles préfèrent ne rien savoir. Elles craignent de se faire tancer, après des années sans suivi. » Le déni des problèmes est fréquent, surtout en ce qui concerne les addictions alcooliques. Le manque de moyen de transport, les ruptures professionnelles, affectives et sociales conduisent une partie de ce public « à s’enfermer dans sa bulle, à se couper de la réalité extérieure ». Parfois, même le courrier postal n’est plus ouvert à domicile. Se posent aussi des problèmes d’écriture et de lecture.

Créer un lien de confiance

Dans ces conditions, comment impulser un retour aux soins ? Les premiers rendez-vous sont des entretiens « pour connaître le parcours scolaire, professionnel, familial, voire carcéral… J’écoute, je ne juge pas. Je suis là pour les accompagner, somatiquement et moralement. La tête fait partie du corps ». C’est d’ailleurs parce que le suivi psy la passionne qu’elle a postulé ici, après trois ans passés « dans le même pavillon, au CHS de Sevrey ». « Avant l’Ifsi, j’avais fait un an de fac en psychologie. Mais l’étude des cas cliniques ne me convenait pas. J’avais envie de terrain ! » Addictions, dépressions, phobie sociale font partie des pathologies courantes dont elle s’occupe aujourd’hui. Durant les trajets, sa voiture se transforme d’ailleurs en un drôle de confessionnal. « Les discussions y sont moins formelles que dans un bureau. Il faut beaucoup travailler les pourquoi. Par exemple, pourquoi boit-il ? Sans cela, on n’arrive à rien. » Être patient, attendre la demande de soins est fondamental. Sinon, le dentier tout neuf restera par exemple inutilisé, enfermé dans sa boîte…

En réunion debriefing

Cet après-midi, Stéphanie a rendez-vous à Mâcon, chez son employeur, l’association Le Pont. Chaque mois, les infirmières s’y réunissent avec leur chef de service, Arnaud Audet, pour des analyses de pratiques. C’est aussi l’occasion de discuter avec Nathalie Javourez, qui débute dans ce métier. Ses collègues lui expliquent que, puisque l’agent de santé n’effectue aucun acte médical, il doit se constituer son carnet d’adresses de partenaires médicaux avec lesquels travailler en bonne entente (médecin généraliste, dentiste, gynécologue, ophtalmologue, spécialistes…). « On arrive à négocier des prises de rendez-vous plus rapides, témoigne Aurélie Rawinski. Il faut trouver des professionnels avec lesquels nos patients ne vont pas au casse-pipe, prêts à les accueillir. J’en connais un qui affiche dans sa salle d’attente son refus de s’occuper des bénéficiaires du CMU. Bon, il a au moins le mérite d’être franc. ». Stéphanie s’offusque : « On s’arrête où, alors ? Quelle sera la prochaine étape ? Nous sommes tout de même là pour défendre le droit à la santé. »

Les entretiens médicaux se passent en leur présence ou non, selon le souhait des patients. « Le plus difficile est de trouver la bonne distance. Les aider, sans les envahir, sans faire à leur place. Pour les conduire, progressivement, à l’autonomie. » Pas à pas, à leur rythme… « Nous ne sommes pas Dieu ni surpuissant, conclut Françoise Lambert. Mais il y a toujours une graine de semée… Je pense que 10 % des gens abandonnent les soins. Quelque 20 % sont dans des situations encore fragiles. Sans cette obtention de résultats probants pour la majorité, j’aurais arrêté ce métier depuis longtemps ! »

Elle dit de vous !

« Les infirmières libérales, je les rencontre peu. Je leur demande parfois d’assurer des prises de sang. Cela ne pose aucun problème. Comme moi, elles peuvent apprendre beaucoup de choses en visite à domicile. Mais elles ont énormément d’actes techniques à réaliser chaque jour. Quant aux médecins traitants, ils n’ont parfois pas le temps – ou pas l’envie – de s’entretenir avec leurs patients. Du coup, il y a des troubles psychiatriques qui ne sont médicalement jamais décelés, en particulier chez les gens isolés. Ma collègue a davantage travaillé avec des infirmières libérales, pour des traitements quotidiens contre le diabète ou des pansements. Elle a aussi eu besoin de leur aide pour le suivi d’une patiente suicidaire, chez laquelle on ne pouvait laisser aucun médicament. Les libérales peuvent nous joindre par téléphone, en cas de problème. Car des hospitalisations d’urgence sont parfois nécessaires. »

L’INFIRMIÈRE AGENT DE SANTÉ

Une médiatrice contre l’exclusion des soins

Les infirmières assurent auprès de chaque personne un suivi santé de six mois à deux ans consécutifs, au maximum. Leur métier comprend aussi une part administrative. En Saône-et-Loire, elles travaillent sous l’autorité de l’association Le Pont, spécialisée dans l’accueil des publics en grande difficulté. Leur travail est complémentaire à celui des référents sociaux. Elles apportent leur connaissance des pathologies, des réseaux médicaux, leur compétence en matière d’entretien thérapeutique. Elles “profitent” aussi de la bonne image dont jouit leur profession : nombre de patients semblent apprécier d’être suivis par “leur” infirmière. « Même si on ne porte pas de blouse blanche, ils la voient, assure Stéphanie Duvignaud. Avec nous, ils ne se sentent pas traités comme des cas sociaux. » Car, dans “éducateur spécialisé” et “assistante sociale”, il y a les mots “éduquer” et “assistant”, qui les renvoient à une situation d’échec, souvent difficile à assumer.