L'infirmière Libérale Magazine n° 279 du 01/03/2012

 

Cahier de formation

Savoir faire

Que ce soit dans le traitement conservateur des fonctions rénales ou lors de la dialyse au stade terminal de l’insuffisance rénale chronique, les infirmières ont un rôle important de soins et d’accompagnement du patient.

En visite chez monsieur J., vous remarquez du sel de régime sur la table alors que son potassium n’est pas équilibré.

C’est l’occasion de faire le point sur les habitudes alimentaires, en signalant que les “sels” de régime ne sont composés que de chlorure de potassium. Avec une clairance de la créatinine au-dessus de 30 ml/ min, il peut maintenir un apport normal de potassium, sans dépasser 5 g par jour. Après avoir repéré les grandes lignes de son l’alimentation, vous pouvez lui suggérer, si vous l’estimez utile, de rencontrer une diététicienne. Elle l’aidera à établir le “régime” le moins difficile à suivre pendant de nombreuses années.

La diététique n’est pas le fort des infirmières qui ont déjà suffisamment à connaître avec les traitements médicaux. Pourtant, dans le cas de l’insuffisance rénale chronique (IRC), les mesures diététiques sont une composante majeure du traitement. Elles visent à ralentir la détérioration de la fonction rénale et à prévenir les complications cardiovasculaires. Elles conditionnent l’évolution de l’état physiologique et une meilleure efficacité des traitements médicaux. Elles favorisent une meilleure espérance et qualité de vie. Quelques notions permettent d’aborder l’alimentation du patient, de lui en rappeler l’importance, quitte à l’orienter vers une diététicienne si besoin.

DIMINUER LES DÉCHETS AZOTÉS

Restriction protidique

Pour épargner la filtration rénale

Diminuer l’apport protéique est le seul moyen de diminuer la production d’urée, son accumulation dans l’organisme. Cette diminution réduit la filtration glomérulaire et préserve la fonction rénale au stade de l’IRC.

Assurer les besoins

La restriction doit respecter les besoins quotidiens en acides aminés essentiels (unités de structure des protéines) au risque d’une dénutrition. Ils sont apportés par les protéines animales (viande, poisson, etc.) et végétales (pain, légumes secs, etc.). Les protéines animales sont mieux équilibrées en acides aminés indispensables et doivent représenter au moins 50 % des protéines totales. Des apports en protéines de l’ordre de 0,7 à 0,8 g/kg/jour n’entraînent pas de dénutrition. Ils sont souvent adoptés spontanément au stade de l’IRC avancée du fait de l’anorexie fréquemment associée (voir tableau ci-dessous).

Évaluer les apports protéiques réels

Ils se mesurent par le taux d’urée dans les urines des 24 heures : 1 g d’urée provient du catabolisme d’environ 3 g de protéines.

Pour calculer l’apport protidique quotidien, il faut multiplier par 0,21 le résultat de l’urée urinaire (par 3,5 si ce résultat est exprimé en grammes).

Exemple pour 400 mmol/24 heures : 400 x 0,21 = 84 g de protéines.

Si urée des 24 heures = 24 g : 24 x 3,5 = 84 g de protéines.

Quelques aliments protéinés

→ Aliments les plus riches en protéines (teneur moyenne pour 100 g) : volailles (28 g), viandes de boucherie (27 g), abats (21 g), fromages (20,4 g), poissons (19 g), charcuterie et salaisons (16 g), œufs (12 g), boulangerie-viennoiserie (9,6 g), biscuits salés (9 g).

→ Aliments les moins riches en protéines : jus de fruit (0,4 g), fruits (1 g ; 0,04 pour la pomme, mais 4 g pour l’abricot sec), matières grasses (0 pour la plupart, mais 10 pour le lard cru), légumes (1,8 g), beurres et crèmes (2 g).

Assurer un apport calorique suffisant

Risque de dénutrition

Plusieurs facteurs contribuent à la dénutrition dans l’insuffisance rénale (anorexie liée à l’IRC, acidose métabolique…). Le risque de dénutrition est réduit par la dialyse, mais une dénutrition avant la dialyse affecte la survie à long terme du patient. Un apport au moins égal à 35 calories/kg/jour est recommandé. Les protéines (1 g = 4 cal) représentent 10 à 12 % des apports, les glucides 55 % et les lipides 33 %.

Les glucides (1 g = 4 cal)

L’athérosclérose, complication majeure de l’IRC, entraîne un risque d’infarctus du myocarde trois fois supérieur à la normale. Sa prévention repose sur la réduction des sucres d’absorption rapide (confitures, patisseries…), des boissons sucrées et alcoolisées. La consommation de sucres lents (riz, pâtes, pain…) doit être privilégiée.

Les lipides (1 g = 9 cal)

Les acides gras saturés contenus dans la charcuterie, le beurre, les fromages, etc., augmentent le risque de complications cardiovasculaires. Les acides gras insaturés (huile d’olive, d’arachides, margarine, etc.), sont plutôt bénéfiques à la prévention de l’athérosclérose.

Apports vitaminiques

Il est préconisé, au moins au stade avancé de l’IRC, de maintenir un apport suffisant en vitamines E (huile végétale), B1 (farine complète, pommes de terre), B2 (foie, lait), B6 (légumes verts), B12 (viande), PP (noix, abats), H (levures, jaune d’œuf), C (fruits frais). D’autant que la restriction de certains aliments peut induire une carence vitaminée. La vitamine D est prescrite et ajustée séparément des autres vitamines (voir partie Savoir p.28).

GÉRER L’EAU ET LE SEL

Les apports hydriques

Paradoxalement, les personnes en IRC ont une diurèse souvent supérieure à la normale (en moyenne 2 L/jour au lieu de 1,5 L/jour). Les néphrons fonctionnels restants émettent un volume d’urines plus important pour excréter la même quantité de déchets. Dans ce cas, il faut adapter l’apport hydrique pour éviter une déshydratation.

Au stade de l’IRC

Le patient maintient un apport normal pour subvenir aux besoins de l’organisme, 1,5 à 2 litres de liquides par jour comprenant le café, l’eau, la soupe, etc., sans dépasser cette consommation normale car le rein ne peut plus éliminer un volume liquidien excessif (voir encadré page suivante).

Pour le patient dialysé

→  En cas d’absence d’urine, le patient doit se limiter à un apport de 500 ml/ jour. Ce volume correspond aux pertes d’eau extrarénales (perspiration, transpiration, fèces). L’objectif est d’éviter une prise de poids excessive entre deux séances de dialyse (surcharge hydrosodée), responsable d’une élévation de la pression artérielle et d’une aggravation de l’état cardiaque.

→ En cas de diurèse résiduelle, le volume de cette diurèse est pris en compte pour sa consommation par la formule : volume des urines de 24 h + 500 ml.

Ainsi, si le volume des urines quotidienne est de 300 ml, le patient peut ajouter 300 ml à sa consommation quotidienne : 500 + 300 = 800 ml.

Le sodium

Cas de restriction

L’insuffisance rénale par elle-même n’impose pas un régime sans sel, mais la rétention sodée augmente l’hypertension artérielle (HTA). Une restriction n’est nécessaire qu’en cas d’œdèmes associés à un syndrome néphrotique (protéinurie, hypercholestérolémie, etc.), une HTA sévère ou une insuffisance cardiaque. Dans ce cas, supprimer conserves, plats industriels et surgelés, crustacés, fromages.

La natrémie (taux de sodium dans le plasma sanguin) reflète l’état d’hydratation du malade, et doit rester dans des valeurs normales, 140 à 145 mmol/l.

La natriurèse quotidienne, concentration de sodium dans les urines des 24 heures, reste constante aux différents degré de l’IRC, environ 120 mmol/jour (normales 100-150 mmol/24 heures). Ce taux correspond à un apport d’environ 7 g par jour de chlorure de sodium (NaCl) qui convient à la plupart des patients.

Conseils au patient

→ Aliments apportant un gramme de NaCl : une demi-baguette, 60 g de pain complet, 2 croissants, 45 g de jambon cuit, 80 g de moules cuites, une portion de camembert…

→ Pour limiter les apports en sel, limiter la consommation de fromages, charcuterie très salée, biscuits apéritifs, supprimer le sel de cuisson et préférer le sel iodé.

Remarque : les néphropathies interstitielles chroniques ou la maladie polykystique (voir partie Savoir p.28) peuvent augmenter l’excrétion de sodium et justifier un apport quotidien de 12 g de NaCl ou plus.

PRÉVENIR L’ACIDOSE MÉTABOLIQUE

Provoquée par une rétention des acides sanguins dans l’organisme, elle entraîne un catabolisme musculaire (fatigue musculaire) et une déminéralisation osseuse (lésions). Elle contribue à l’évolution de l’insuffisance rénale.

L’acidose métabolique est corrigée par un apport de bicarbonate de sodium (effet tampon) de l’ordre de 2 à 4 g par jour. L’eau de Vichy Célestins ou Saint-Yorre contient 3,5 g de bicarbonate de sodium par litre (tenir compte de sa teneur en sel). Des gélules de bicarbonate de sodium sont disponibles en pharmacie (préparation). Le taux de bicarbonate sanguin doit être maintenu entre 21 et 25 mmol/l.

PRÉVENIR L’HYPERKALIÉMIE

En général, la kaliémie (taux de potassium dans le sang) reste normale jusqu’au stade terminal de l’IRC. Toutefois, lorsque le DFG s’abaisse au-dessous de 30 ml/min/1,73 m2, une hyperkaliémie peut apparaître et justifier de réduire la consommation de produits riches en potassium. Exemple : les pommes de terre, artichauts, champignons, concentré de tomates, légumes secs (haricots) agrumes, fruits et fruits secs (amandes, cacahuètes, noix) ou déshydratés, chocolat, lait en poudre, ketchup, chips, etc., les sels dits de régime qui ne contiennent que du potassium.

Conseil : faire cuire les légumes dans une grande quantité d’eau ou dans deux eaux de cuisson successives, en jetant la première eau de cuisson à mi-cuisson.

PRÉSERVER L’ÉQUILIBRE PHOSPHOCALCIQUE

Le calcium et le phosphore agissent de concert dans le processus d’ossiffication. L’apport en calcium n’est pas limité et doit parfois être complété par une supplémentation calcique. À l’inverse, la consommation d’aliments riches en phosphore doit être limitée ou évitée selon leur teneur. À éviter : pain complet, seigle, pain d’épice, lait concentré ou en poudre, emmental, Bombel, Roquefort, charcuterie (sauf jambon blanc), fruits de mer, sardines, fruits secs, etc.

MAINTENIR LES RÉSERVES EN FER

Il n’y a pas d’aliments susceptibles de compenser le déficit en fer de l’insuffisant rénal du aux pertes accrues (digestives …) et aux apports alimentaires réduits. Cette carence est aggravée par les agents stimulant l’érythropoïèse (érythropoïétines et analogues). Seul un apport intraveineux peut répondre à des besoins de 1 000 à 3 000 mg de fer par an.

Question de patient

Le sodium est-il la même chose que le sel ?

Le sel alimentaire, de table ou de cuisine correspond au chlorure de sodium (NaCl), dont le sodium (Na) est un des composants. Les étiquettes d’informations nutritionnelles de l’industrie alimentaire donnent souvent une teneur en sodium (NA). Il faut multiplier cette valeur par 2,54 pour connaître la teneur en NaCl.

Boire normalement en IRC*

Au stade de l’insuffisance rénale chronique (IRC), les patients peuvent continuer à boire à leur soif, tant que n’apparaissent pas :

→ des signes de déshydratation, comme une perte de poids, une augmentation des protéines plasmatiques ;

→ des signes de surcharge hydrique : prise de poids, œdèmes ;

→ une concentration du sodium plasmatique anormale (natrémie normale entre 140 et 145 mmol/l).

* L’insuffisance rénale chronique, P. Jungers, D. Joly, N. K. Man, C. Legendre, éditions Lavoisier, 4e édition, 2011.

Point de vue…

Des régimes différents en dialyse péritonéale et en hémodialyse

Hélène Massé, diététicienne, polyclinique Médipôle Saint-Roch, Cabestany (66)

« Dans tous les cas les apports en sel sont adaptés au patient. Pour l’hémodialyse, ce sera un régime pauvre en potassium (modes de cuisson adaptés pour les légumes et les fruits, éviction des aliments les plus riches en potassium), avec une restriction hydrique car les patients n’urinent pratiquement plus. Pour la dialyse péritonéale, le régime est pauvre en sucres car les poches de dialyse sont concentrées en glucose. En ce qui concerne le potassium, le régime est beaucoup moins strict car ces patients dialysent tous les jours en continu. »