L'infirmière Libérale Magazine n° 280 du 01/04/2012

 

Présidentielle

Dossier

Depuis le début de l’année, de trop rares discours estampillés « santé » ont émaillé la campagne. Et aucun, en tout cas, ne semblait aborder les problèmes concrets des professionnels libéraux. Petite mise au point avant le passage aux urnes…

En 2012 encore, le secteur de la santé et de la protection sociale reste l’éternel grand absent des débats de campagne électorale. Certes, les organisations syndicales (cf. encadré page 25) et les medias spécialisés se font fort de provoquer les discussions et prises de position des candidats à la présidentielle. Mais il n’empêche, l’avenir du système de santé français ne fait pas la Une des grands quotidiens, pas plus qu’il ne donne lieu à l’expression de grandes idées visionnaires. Une enquête BVA, réalisée à la demande du Centre national des professions de santé (CNPS) en février dernier, indique que, pour 84 % des Français, les candidats à la présidentielle ne parlent pas assez de la santé. On retiendra cependant quelques prises de position des interventions médiatiques des uns et des autres. Ainsi Nicolas Sarkozy (UMP) souhaite-t-il la création d’une carte Vitale biométrique pour lutter contre les fraudes à la Sécurité sociale. On se souviendra au passage que Philippe Douste-Blazy, à l’époque ministre de la Santé, avait lancé l’idée de la carte Vitale 2 en 2004 dans ce même objectif de lutte contre la fraude. Huit ans plus tard, elle n’est toujours pas généralisée.

De son côté, François Hollande (PS) a fait savoir, à l’occasion de la journée de la Femme, qu’il souhaitait que chaque hôpital public dispose d’un centre d’IVG, ajoutant qu’il fallait que les interruptions volontaires de grossesse puissent être remboursées à 100 %. Des propositions jugées démagogiques par Nathalie Kosciusko-Morizet, porte-parole de Nicolas Sarkozy. Par ailleurs, le candidat socialiste propose de faire évoluer la Loi Leonetti (lire notre actualité pages 6-7), un projet que refuse son adversaire de l’UMP.

MANQUE DE SPONTANÉITÉ

Les sujets évoqués publiquement, pour importants qu’ils soient, ne répondent pas aux enjeux du moment. Les candidats n’abordent pas spontanément les questions d’accès financier aux soins, d’aménagement du territoire, de valorisation des professions de santé. Leurs porte-parole santé n’ont jamais une connaissance exhaustive de l’organisation du système de soins et de son financement. Et ont parfois même une vision caricaturale – ou en tout cas déformée – du système de soins. C’est peut-être ce qui explique que la plupart des programmes des candidats plaident pour le développement des maisons de santé, structures qui représentent pour beaucoup d’entre eux une solution évidente aux problèmes de démographie médicale et d’accès aux soins pour les patients.

« C’est nous qui avons fait les maisons de santé », tient ainsi à rappeler Philippe Juvin, chargé des sujets santé pour le candidat Sarkozy (UMP), même s’il concède qu’il ne faut pas y voir une « solution miracle » et qu’un « certain nombre de maires ont construit des maisons et se sont étonnés que personne n’y vienne ». Il s’agit donc pour lui de mettre en place des maisons de santé qui soient adaptées aux bassins de vie et en accord avec les souhaits des professionnels de santé. Ce que pense également Geneviève Darrieussecq, responsable des sujets santé pour le candidat François Bayrou (MoDem), qui prône en la matière une volonté politique associée à celle des professionnels. « Les maisons de santé, dit-elle, ne doivent pas être une obligation. »

DE LA MAISON… AU CENTRE DE SANTÉ

D’autres envisagent le sujet de façon légèrement différente. Ainsi, Marisol Touraine, responsable santé-social pour la campagne de François Hollande (PS), explique que « les maisons de santé ne sont que l’une des formes possibles des pôles de santé de proximité que François Hollande souhaite progressivement mettre en place dans chaque territoire ». Il pourra également s’agir de centres de santé ou d’autres types de structures permettant l’exercice regroupé des professionnels de santé, que ces structures soient ou non adossées à un hôpital. Les centres de santé, c’est la solution privilégiée par Jean-Luc Mélenchon (Front de gauche). Sa porte-parole santé, Catherine Jouanneau, décrit des structures publiques, « articulées en liaison avec l’hôpital », fonctionnant de façon similaire aux centres de santé mutualistes que l’on connaît aujourd’hui. Un modèle qui ne séduit pas le Front national, dont la responsable des questions de santé, Joëlle Melin, craint qu’il n’aboutisse à moyen terme à une privatisation des structures qui seraient conventionnées par telle ou telle complémentaire santé. Pour elle, si maison de santé il y a, ce doit être dans une volonté de « libérer l’hôpital de la petite urgence et des cas médico-sociaux ». En somme, les maisons de santé doivent plutôt être utilisées comme « un système de garde et de proximité ».

« Les maisons de santé, c’est la bonne idée à la mode », fustige Philippe Tisserand, président de la FNI (Fédération nationale des infirmiers), qui relève que « personne ne se donne la peine de mesurer les coûts générés par ces structures ». Ce que relate aussi Jean-Michel Elvira, président de l’Onsil (Organisation nationale des syndicats d’infirmiers libéraux), qui affirme que ce mode d’organisation coûte plus cher que de s’organiser en cabinets traditionnels. « Il y a un malentendu : les professionnels de santé libéraux ne veulent pas de maisons de santé. Ce que l’on veut, c’est de la coopération souple », assure pour sa part Marcel Affergan, vice-président de Convergence infirmière.

ET LES INFIRMIÈRES DANS TOUT ÇA ?

Mais, pour permettre aux professionnels de santé de coopérer, encore faut-il bien les connaître. Or force est de constater que les programmes des uns et des autres sont « hospitalo-médico-centrés », selon l’expression d’Annick Touba, présidente du Sniil (Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux). Ainsi, le seul programme qui comporte un paragraphe entier consacré à la profession infirmière est celui de Jacques Cheminade (Solidarité et progrès). Hélas, il ne s’intéresse qu’aux infirmières hospitalières, pour lesquelles il veut revaloriser le salaire de 20 %. Agnès Farkas, chargée des questions de santé pour ce candidat, l’assure cependant : « Évidemment, les infirmières libérales seront également revalorisées. » Évidemment. Nicolas Dupont-Aignan (Debout la République), en ce qui le concerne, souhaite relever globalement les honoraires conventionnels de 25 %, toutes professions de santé libérales confondues, et passer l’AMI de 3,15 euros à 5 euros. Joëlle Melin (Front national), pour sa part, veut miser sur « la conjonction revalorisation des honoraires et revalorisation des carrières » pour maintenir les infirmières en activité. Elle souhaite ainsi permettre qu’une infirmière – salariée comme libérale – ayant quinze ans d’expérience soit mieux rémunérée qu’une débutante, de même qu’une infirmière ayant suivi des formations complémentaires ou ayant publié des articles scientifiques. Sans toutefois en esquisser les pistes de financement.

VERS LA FIN DU TOUT PAIEMENT À L’ACTE ?

Peu d’entre eux annoncent vouloir réviser le statut libéral, à l’exception du Front de gauche qui considère que les infirmières travaillant dans le cadre des centres de santé devront être salariées. On ne touche donc pas au statut libéral, mais on cherche à instaurer une mixité dans la rémunération. Plusieurs partis envisagent en effet d’introduire des forfaits. Ainsi, David Belliard, délégué à la protection sociale à EELV (Europe-Écologie-les Verts) considère qu’il y a une réflexion à entamer sur la manière dont les infirmières sont rémunérées. « Certaines de leurs missions ne sont pas du tout valorisées. C’est le cas des missions psycho-sociales, de l’éducation à la santé ou de l’accompagnement. Pourquoi ne pas envisager une rémunération au forfait pour ce type de tâches », suggère-t-il.

INFIRMIÈRES LIBÉRALES PAR DÉPIT ?

De son côté, Nathalie Arthaud, candidate de Lutte ouvrière, pense que beaucoup d’infirmières libérales « ont choisi ce mode d’exercice parce qu’à l’hôpital, elles ne pouvaient exercer correctement leur métier ». Elle ajoute : « Nombre d’entre elles dénoncent les conditions de travail dans les services hospitaliers, les vieillards sur les brancards dans les couloirs des urgences, le manque de temps et de moyens dans les services, la course perpétuelle pour passer d’un malade à l’autre, l’impossibilité de consacrer le temps nécessaire à chaque patient. » Pour elle, « on en revient toujours au même problème : que la santé de la population devienne une priorité, que l’État y investisse les moyens nécessaires pour former des personnels soignants en nombre suffisant pour assurer les soins de tous, tant à l’hôpital qu’à domicile ».

Des personnels soignants en nombre suffisant : voilà un sujet qui intéresse particulièrement le Front national. Joëlle Melin évoque en effet la nécessité qu’il y a, « pendant quatre à cinq ans », d’ouvrir « complètement les vannes » et de permettre à tous ceux qui le souhaitent de suivre des formations en tant que professionnel de santé. L’adaptation des Ifsi pour répondre à une forte demande de jeunes bacheliers n’est pas abordée…

Quant à la possibilité de parvenir à mettre en place de la délégation de tâches, les uns et les autres semblent marcher sur des œufs et n’ont en tout cas manifestement pas d’avis tranché sur la question. Ainsi, pour Philippe Juvin (UMP), « il faut commencer par formaliser l’existant et l’encadrer ». Il part du principe que tout le monde sait bien qu’au chevet du malade, à domicile, nombre d’infirmières font des choses qui relèvent normalement du médecin. Mais est-ce bien aux politiques de décider de cette évolution des métiers ? Rien n’est moins sûr, pour Catherine Jouanneau (Front de gauche), sur ce sujet, « on atteint les limites de la compétence du politique. Il revient aux professionnels de santé de se saisir de ce sujet ». Idel, à vous* de jouer !

* Et si, en dépit de nos efforts de decryptage, vous ne savez toujours pas pour qui voter, testez vos idées sur ce site indépendant de tout parti politique, créé par des passionnés du Web : http://jevotequien2012.fr/

Repères

Le premier tour des élections aura lieu le 22 avril et le second le 6 mai. Les dix candidats sont :

→ Nathalie Arthaud, Lutte ouvrière (LO) ;

→ François Bayrou, Mouvement démocrate (MoDem) ;

→ Jacques Cheminade, Solidarité et Progrès (S&P) ;

→ Nicolas Dupont-Aignan, Debout la République (DLR) ;

→ François Hollande, Parti socialiste (PS) ;

→ Eva Joly, Europe-Écologie-Les Verts (EELV) ;

→ Marine Le Pen, Front national (FN) ;

→ Jean-Luc Mélenchon, alliance Front de gauche ;

→ Philippe Poutou, Nouveau parti anticapitaliste (NPA) ;

→ Nicolas Sarkozy, Union pour un mouvement populaire (UMP).

Du côté du PS

« Éviter l’hospitalisation »

Marisol Touraine, responsable santé, PS

« Nous parlons souvent, en matière de santé, du rôle des médecins, qui est bien sûr important. Mais celui des infirmières libérales l’est pour moi tout autant. De nombreuses personnes en France ne peuvent rester chez elles et éviter l’hospitalisation que grâce à l’intervention de ces infirmières. Les infirmières libérales sont au cœur du quotidien des patients et l’organisation des soins repose en partie sur leur engagement. Les infirmières libérales auront par ailleurs un rôle croissant à jouer pour nous aider à répondre aux défis que sont le vieillissement de la population et l’inégale répartition des médecins sur le territoire. En la matière, il faudra approfondir les discussions sur le partage des tâches entre les différentes catégories de professionnels de santé. Dans ce cadre, le rôle des infirmières libérales devra bien entendu être évoqué, sans tabou, avec pour seul objectif l’intérêt des patients. »

Du côté d’EELV

« Entrer dans la prévention »

David Belliard, délégué à la protection sociale, EELV

→ « On observe l’explosion des maladies chroniques. Un système de santé efficace prend en compte l’ensemble du contexte environnemental et sort du tout-curatif pour entrer dans la prévention. On sort du système de soins pour aller vers un système de santé. Et on fait le pari qu’en améliorant l’accès à une alimentation de qualité, on diminue la prévalence de pathologies, comme le diabète ou l’obésité. »

→ « Nous sommes favorables à un pilotage des politiques de santé au niveau régional. Mais les ARS ne nous conviennent pas dans la manière dont elles sont construites. Lorsque c’est le préfet qui les préside, que sont les ARS : des petites préfectures sanitaires qui ne font que répercuter les grandes décisions nationales en région ? »

Du côté du FN

« Le tiers payant déresponsabilise »

Joëlle Melin, responsable des questions de santé, FN

« Si on reprend tout en main, on pourrait parfaitement rembourser les gens convenablement. Nous sommes favorables au paiement à l’acte. Mais on doit réfléchir à une méthode de paiement différé, que la personne ait le temps de se faire rembourser. Ce système interviendrait en lieu et place du tiers payant car il importe de responsabiliser les gens. Le tiers-payant déresponsabilise par essence puisque les gens n’avancent rien. Le système que nous proposons existe en partie aux Pays-Bas. Les professionnels de santé n’auraient pas à encaisser les chèques plus tardivement, c’est l’Assurance maladie qui jouerait en quelque sorte le rôle d’une banque où les assurés sociaux auraient un compte à débit différé. »

Interview

« Silence total sur les problématiques de la ville »

Vincent Genet, directeur santé et consultant au cabinet Alcimed

La santé a-t-elle encore une chance de faire débat dans le cadre de la campagne ?

Je ne pense pas, malgré les tentatives des acteurs du système de santé, qu’il y ait beaucoup de chances pour cela. Si on raisonne de manière objective au regard des programmes et des propositions des uns et des autres, seuls l’UMP et le PS se sont prêtés à une analyse assez appropriée.

Singulièrement, est-ce que les professions de santé de ville font l’objet de propositions ?

Il y a un silence total sur les problématiques de la ville. Les choses se résument à une volonté d’élargir le numérus clausus, à mieux rémunérer les médecins dans les zones sous-denses et à mettre en place de la délégation de tâches avec les infirmières et les pharmaciens. Les programmes sont l’illustration d’une vision assez idéaliste du secteur de la santé. Et les maisons de santé en sont un exemple éclairant. À aucun moment on ne met en valeur la plus-value des infirmières dans le système de santé. Propos recueillis par Sandra Serrepuy

Du côté de l’UMP

« Poursuivre HPST »

Philippe Juvin, chargé des questions de santé, UMP

→ « On veut poursuivre la loi HPST. Nous avons donné une colonne vertébrale au système de soins, très hospitalo et médico-centré. La médecine de ville doit être de premier recours. Tant que l’on n’obtiendra pas de résultats, il ne faudra pas s’étonner de l’encombrement des urgences. »

→ « Je suis volontairement caricatural : la société n’a pas formé des médecins pour qu’ils renouvellent des ordonnances, des pharmaciens pour vendre des boîtes et des biologistes pour appuyer sur le bouton d’un automate. Des missions peuvent être confiées aux infirmières qui soulagent les médecins. Mais il faut que cela se fasse en accord avec les professionnels de santé. »

→ « Nous mettrons l’accent sur la médecine de premier recours, avec tous les professionnels de santé libéraux. Nous mettrons l’accent sur l’innovation à l’hôpital public ainsi que sur l’accès aux soins sous toutes ses formes. »

BRAIN STREAMING

Le CNPS mène sa campagne

Les professionnels de santé libéraux présentaient le 15 mars leur programme pour le quinquennat 2012-2017.

À l’occasion d’une convention nationale organisée le 15 mars, le Centre national des professions de santé (CNPS) a présenté ses cinq idées pour le quinquennat à venir. Quel que soit le candidat victorieux à l’élection présidentielle, le CNPS, qui fédère 32 organisations syndicales représentatives des professions de santé libérales, lui conseille d’« entretenir un dialogue permanent et confiant » avec les libéraux de santé, dans une volonté d’« évolution productive de l’organisation des soins ». Le CNPS se dit las des « concertations alibis » qui ont eu cours ces dernières années. Il réclame également « la construction d’une offre de soins cohérente, moderne et souple autour du patient », milite pour une redéfinition du pacte conventionnel, ce qui passe en priorité par un « niveau de rémunération suffisant pour tous les professionnels de santé ». De même, la maîtrise médicalisée des dépenses doit se faire dans le respect des besoins des patients et des professionnels de santé et l’objectif national des dépenses d’assurance maladie, voté chaque automne par le Parlement, doit être rééquilibré entre la ville et l’hôpital. Enfin, le CNPS invite le prochain président de la République à « soutenir les professionnels de santé en tant qu’entrepreneurs libéraux solidaires » (solidaires en ceci qu’ils appliquent généralement des tarifs opposables).