Pharmaciens
Dossier
Le droit de prescription accordé aux infirmières depuis cinq ans donne de l’altitude aux relations entre Idels et officinaux. Pour autant, leur partenariatne se limite pas aux seuls dispositifs médicaux et à l’observance du traitement. D’autres champs d’activité méritent d’être explorés en duo : suivi des pathologies chroniques, sortie d’hôpital…
« Entre médecins, pharmaciens, infirmières et laboratoires d’analyses, nous travaillons souvent main dans la main, témoigne Isabelle Sanselme, infirmière libérale à Sénas, une commune de 10 000 habitants dans les Bouches-du-Rhône (13). Nous, infirmières, avons besoin des officinaux, et ils jouent très bien le jeu. Ils nous avancent une boîte de Préviscan quand nous n’avons plus d’ordonnance, ou nous ouvrent la boutique le week-end pour nous dépanner… Quand un patient ne se sent pas bien au comptoir, il arrive qu’on nous appelle pour passer le voir plus tôt que prévu à son domicile. En cas de tension trop élevée, on m’a déjà demandé de venir à la pharmacie, pour voir ce qu’il en était… » Des propos qui rejoignent ceux de Gilles Bonnefond, président de l’Union syndicale des pharmaciens d’officine (Uspo) : « Les remontées de terrain mettent en évidence une forte proximité entre infirmières et pharmaciens, et pas seulement en milieu rural. »
Sans surprise, la collaboration autour du médicament et du matériel médical s’impose comme la pierre angulaire de cette relation. Le président de la Fédération nationale des infirmiers (FNI), Philippe Tisserand, explique : « Nous attendons des pharmaciens qu’ils nous accompagnent en termes de disponibilité des matériels complexes : sets de pansement, sets à perfusion, sets pour chimiothérapie, etc. »
De ce point de vue, le droit octroyé aux libérales en 2007 de prescrire des dispositifs médicaux
L’autre champ d’action conjointe, c’est la gestion des stocks de médicaments au domicile. L’enjeu est double : générer des économies pour la collectivité et éviter les accidents et les risques iatrogènes. « Le gaspillage de médicaments est énorme, avec un impact économique important, confirme Annick Touba, présidente du Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (Sniil). Il y a un véritable travail de terrain à mener avec les acteurs des soins à domicile que sont les infirmières libérales » – lesquelles découvrent parfois de véritables « réserves de guerre » dans les boîtes à pharmacie des patients ! En témoigne Nadine Delevoye, Idel à Ifs dans le Calvados (14) : « Je me souviens d’une patiente en traitement psychiatrique qui avait un stock depuis un an, représentant 60 litres de psychotropes chez elle… La collaboration sur le thème des stocks de médicaments, en particulier des psychotropes, est essentielle. » À savoir : les pharmacies d’officine peuvent apporter leur contribution via le dossier pharmaceutique (DP), un outil qui enregistre l’historique des médicaments délivrés (lire l’encadré ci-dessous).
Pour Gilles Bonnefond, président de l’Uspo, il y a aussi fort à faire autour des sorties d’hôpital, trop souvent organisées à la va-vite : « Deux acteurs sont sollicités en premier lieu : l’infirmière libérale et le pharmacien. Mais il faut s’assurer que l’équipe de ville est prête lorsque le patient sort. Il serait bon que les hospitaliers demandent au patient, dès son admission, le nom de son pharmacien, de son infirmière, de son kinésithérapeute… Aujourd’hui, ce n’est pas fait. Il arrive même que le patient, à peine sorti de l’hôpital, y reparte en ambulance parce que la situation n’a pas été anticipée ! Les sorties d’hôpital pourraient être un champ à exploiter dans le cadre d’une coopération. »
Le conseil aux patients et le suivi des pathologies chroniques (diabète, maladies cardiovasculaires, etc.) seront sans hésiter les deux prochains périmètres à explorer de front. En effet, la nouvelle convention, signée entre les syndicats de pharmaciens et l’Assurance maladie le 4 avril dernier, valorise les missions de santé publique et d’accompagnement des patients par les officinaux. Elle leur permet notamment d’assurer le suivi des patients sous AVK (lire l’encadré page 29). Les modalités pratiques et le protocole doivent être définis par avenant au plus tard le 1er janvier 2013. Mais le mode de rémunération forfaitaire – entièrement pris en charge par l’Assurance maladie – semble d’ores et déjà prévu pour le pharmacien.
Peut-on aller au-delà de la collaboration informelle ? Oui, les réseaux de soins ou de santé en sont la preuve éclatante : ainsi le réseau SOS douleur à domicile, en Charente (16), qui, depuis 2004, unit un médecin-anesthésiste, un pharmacien et plusieurs infirmiers libéraux. Il permet l’administration à domicile, par les Idels, via un cathéter périnerveux, de l’anesthésique Naropeine, pour prendre en charge les douleurs aiguës et rebelles.
Autre mode de collaboration possible : les pôles de santé, promus par la loi HPST. À Ifs, Nadine Delevoye travaille au sein d’un pôle qui rassemble tous les pharmaciens et les infirmières de la commune (lire son témoignage en page 25).
Mais qu’en est-il des coopérations dans l’esprit de la loi HPST ? Rappelons que l’article 51 de la loi prévoit deux types de coopération : soit en incluant un transfert de tâches et d’activités d’une profession à l’autre (par exemple, en transférant la prescription de médicaments d’un médecin à une infirmière),soit en mettant en place une nouvelle organisation des soins. C’est dans ce cadre-là que pharmaciens et Idels pourraient coopérer, sur les champs évoqués ci-dessus : gestion des médicaments, prise en charge à domicile, suivi des maladies chroniques, sorties d’hôpital… Mais mettre sur pied une coopération requiert plusieurs rencontres successives entre les professionnels ainsi qu’une planification en amont. Or la course après le temps renvoie toujours ce genre de réunions aux calendes grecques. C’est pourquoi les propositions actuelles de coopération émanent surtout de personnels hospitaliers
Si les syndicats d’infirmiers se disent favorables à des coopérations avec les pharmaciens, il faut cependant que les caractéristiques du métier soient prises en compte : « Nous sommes prêts à coopérer, mais dans le respect de notre emploi du temps et de notre organisation de travail, qui sont lourds », commente Philippe Tisserand. En clair, les infirmières n’imaginent pas devoir bloquer des plages horaires dans un emploi du temps déjà chargé, ni entrer dans un lien de subordination… L’idée est de conserver à la fois l’indépendance et la connaissance de proximité des patients, deux volets du métier qui vont de pair.
L’enjeu est de taille, selon Annick Touba. Il s’agit de contrer une concurrence rampante : « Demain, il nous faut des équipes de terrain, de proximité – donc des libéraux – pour les prises en charge complexes à domicile : cancer, personnes âgées dépendantes, soins palliatifs… Sans cela, le champ sera investi par l’hospitalisation à domicile ou par les prestataires privés, qui ne connaissent pas du tout le patient et livrent parfois du matériel inadapté. » Connaissance des médicaments, du matériel médical, des besoins et de l’histoire des patients : il est évident que les Idels et les pharmaciens d’officine sont tout à fait à même de répondre à la demande, de faire front commun pour des soins de proximité et de qualité. Et les volontés de travailler ensemble sont là. Reste à dégager du temps pour se rencontrer, élaborer, définir et formaliser les modes d’organisation et de rémunération. Tout un programme…
(1) Lire notre Mémento prescription paru avec L’ILM n°274.
(2) Société d’ingénierie marketing spécialisée en pharmacie.
(3) Lire notre dossier Coopérations : la grande illusion ? paru dans L’ILM n°279 de mars 2012.
Nadine Delevoye, infirmière libérale à Ifs dans le Calvados (14)
« Depuis un an, je travaille au sein d’un pôle de santé, à Ifs (10 000 habitants), qui inclut un médecin, les quatre pharmaciens et les douze Idels de la commune. En cas de renouvellement, le patient ne va à la pharmacie que si, nous, Idels, avons visé l’ordonnance rédigée par le médecin. Et ce, pour éviter les doublons et la constitution de stocks de médicaments à domicile. Nous tentons le plus possible de collaborer en amont : dès que le pharmacien voit un pansement sur une ordonnance, il appelle l’Idel pour savoir si c’est bien le matériel qu’il faut. En effet, parfois, l’ordonnance n’est pas adaptée. S’appeler avant la délivrance du matériel, c’est un gain de temps et des économies en perspective. Au début, certes, ce système a pu représenter un manque à gagner pour les officines. Mais nous avons dialogué avec les pharmaciens et nous sommes tombés d’accord sur les bienfaits économiques et sur la santé des patients d’une telle pratique. Ce travail en collaboration permet de résister à la concurrence rude de l’hospitalisation à domicile, qui dispose de ses propres pharmaciens. »
Philippe Sarlat, infirmier libéral à Tarbes dans les Hautes-Pyrénées (65)
« Avec un confrère, nous avons monté un cabinet de soins infirmiers spécialisés en psychiatrie en 2008. Jusqu’en 2010, nous avons réalisé des prises en charge globales de malades psychiques suivis par un médecin de ville. Notre action consistait à vérifier l’état clinique des patients, sécuriser le domicile et assurer l’administration des médicaments. Car la gestion du stock de médicaments est un vrai problème. L’idée est d’empêcher que certains patients constituent un stock important de psychotropes. Cela nous intéresserait de travailler avec des pharmaciens sur la sécurité du circuit du médicament. Mais le dispositif doit être pratique pour le patient. Et l’infirmier doit conserver son travail de suivi quotidien au domicile et vérifier l’administration du médicament au patient. Une coopération sur le thème de la gestion des médicaments psychotropes n’est pas une décision à prendre à la légère. Cela nécessite un chantier de réflexion à mener au niveau national avec les syndicats. »
Selon le dernier bilan, paru en avril, du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens, 20 millions de Français ont ouvert un DP et seulement 17 % de ceux à qui le DP est proposé refusent d’en ouvrir un. Ce dispositif, généralisé fin 2008, regroupe tous les médicaments délivrés au cours des quatre derniers mois (prescrits par un médecin ou bien conseillés par un pharmacien). Un historique qui vise à éviter les interactions dangereuses, les doublons, et le stockage de médicaments au domicile. 95 % des officines en sont équipées. À terme, le DP est appelé à alimenter le volet médicaments du Dossier médical personnel (DMP), aujourd’hui au nombre de 105 542
* Au 31 mars 2012, chiffres d’Asip Santé.
Aujourd’hui, qu’est-ce qui rassemble pharmaciens et infirmières libérales ?
Les deux professions souffrent du manque de coopération avec l’hôpital et avec le corps médical libéral. Or nous sommes tous deux sur le terrain, au contact des patients. L’Idel peut venir à tout moment dans une officine, sans rendez-vous. Nous devons renforcer nos liens, car nous sommes dans le concret. Aujourd’hui, l’hôpital a tendance à garder ses patients ou à les placer en soins de suite et de réadaptation. Or le secteur libéral doit être la voie privilégiée. Mais, pour cela, il faut apporter une réponse coordonnée de proximité. La relation doit être encore plus serrée qu’elle ne l’est aujourd’hui entre pharmaciens et infirmières, mais aussi avec les médecins.
Et dans le champ des maladies chroniques ? Nous avons des malades chroniques en commun. Ensemble, nous pouvons aller beaucoup plus loin et prendre en charge les pathologies lourdes… Mais cela nécessite des outils de partage adaptés : je pense à des applications sur smartphone avec la traçabilité de la demande de chaque acteur, pour une information partagée et sécurisée. Certes, il existe le DP, mais il est fait pour enregistrer un historique, il ne permet pas de tenir un carnet de suivi du patient.
Adoptée le 21 juillet 2009, la loi HPST confère, dans son article 38, huit nouvelles missions aux pharmaciens. Parmi celles-ci, on retiendra l’implication dansdes actions de coopération avec des professionnels de santé ; la participation à des actions d’éducation thérapeutique ; la fonction de “pharmacien correspondant” au sein d’une équipe qui prend en charge un patient, etc. Ces textes vont pouvoir se concrétiser grâce à la convention adoptée entre l’Uncam et la profession le 4 avril 2012. Première mesure : un “honoraire de dispensation” va rémunérer la vérification de l’ordonnance (posologies, validité, interactions et contre-indications, prescriptions abusives…), les conseils donnés (effets indésirables) et le choix du conditionnement le plus économe. Jusque-là rémunéré “à la boîte”, le pharmacien le sera aussi à l’acte. Cette réforme sera définie par un avenant à signer avant le 31 décembre 2012. Autre nouveauté : le suivi rémunéré des patients asthmatiques et de ceux sous AVK. Avec les seconds, le pharmacien (en suivant un protocole établi avec le médecin traitant) sera rémunéré 40 euros par an et par patient. Le suivi comprendra un entretien à l’initiation du traitement et au minimum deux entretiens annuels. Le pharmacien devra vérifier que le patient réalise ses analyses biologiques (INR). Une porte entrouverte pour les Idels ?
Jean-Charles Tellier, président de la section des pharmaciens d’officine au Conseil national de l’Ordre des pharmaciens
« Infirmières libérales et pharmaciens se rendent tous deux au domicile des patients. Le pharmacien est autorisé à dispenser les médicaments à domicile, même si ce droit, inscrit dans le Code de la Santé publique, est peu utilisé. À terme, avec le vieillissement de la population, il pourrait entrer dans les mœurs officinales. Des échanges ont lieu à l’officine, entre le pharmacien et l’infirmière, sur les soins infirmiers, le suivi de l’ordonnance… La complémentarité des informations recueillies permettra un maintien à domicile. Il faut connaître ses patients, les voir au domicile et être informé sur le matériel médical existant. Pharmaciens et infirmières peuvent donc croiser leurs connaissances. Le maintien à domicile ne concerne pas seulement les personnes âgées, mais aussi certains malades chroniques. Un accompagnement personnalisé et un colloque pharmacien/infirmière au chevet du patient pourraient être vraiment bénéfiques pour l’observance et l’éducation thérapeutique. »
Isabelle Sanselme, infirmière libérale à Sénas dans les Bouches-du-Rhône (13)
« En ce qui concerne les coopérations, je ne crois pas forcément aux transferts d’activité, mais davantage à l’organisation des soins. Nous pouvons modifier et adapter nos pratiques pour améliorer, avec le pharmacien, la prise en charge à domicile. Il faut tout d’abord s’asseoir tous ensemble autour d’une table. On ne prend pas assez le temps de discuter en amont. À Sénas, une pharmacie organise des réunions tous les trimestres avec des laboratoires et les infirmières libérales sont conviées. Cela nous permet de connaître les nouveautés sur la contention, les pansements… C’est très enrichissant de pouvoir se retrouver et échanger. Si l’on parvient à monter des coopérations, le pharmacien a évidemment toute sa place. Avec un protocole signé par le médecin, le pharmacien ET l’infirmière pourraient par exemple modifier la posologie des AVK en fonction des résultats d’INR. Pourquoi, aussi, ne pas monter des consultations d’éducation thérapeutique du patient en sollicitant le pharmacien pour des séances sur les médicaments : composition chimique, effets secondaires, etc. Ensuite, l’Idel pourrait réaliser des séances sur l’observance, la diététique, l’accompagnement, la relation d’aide… »