L'infirmière Libérale Magazine n° 282 du 01/06/2012

 

Le débat

Les programmes politiques de ces dernières semaines ont eu tendance à présenter le développement des maisons de santé comme la solution par excellence. Et sur le terrain, on en pense quoi ?

François-Emmanuel Blanc, directeur de l’ARS Poitou-Charentes.

Qu’est-ce qui doit guider les choix politiques en matière d’aménagement du territoire en santé ?

La proximité et la qualité, avant toute chose. L’organisation autour des patients également.

Les établissements hospitaliers ne peuvent pas se créer où bon leur semble tandis que certains professionnels de santé libéraux ont conservé leur liberté d’installation, même si les professions se régulent peu à peu. N’y a-t-il pas là une situation paradoxale ?

Je prendrais l’exemple de ma région, le Poitou-Charentes*. Nous avons la chance d’y avoir des établissements hospitaliers en bonne santé financière, ce qui dégage des marges de manœuvre qui permettent de soutenir les hôpitaux de proximité. Ce faisant, on tient tout à la fois à la qualité et la proximité. Les professionnels de santé libéraux y trouvent du coup leur équilibre. Le paradoxe n’est selon moi qu’apparent. On peut très bien conjuguer un réseau hospitalier et un réseau ambulatoire, y compris en y incluant l’aide à domicile.

Est-ce le rôle des élus locaux que de chercher par tous les moyens à attirer les libéraux de santé ?

Ils ont évidemment un rôle essentiel, pour peu que leur vision soit intégrée. Ils sont légitimes à intervenir de manière cohérente et coordonnée avec les autres acteurs territoriaux, les conseils généraux, les ARS évidemment, pour appuyer notamment la construction de maisons de santé pluridisciplinaires. Mais il faut que tout ceci soit coordonné. Le lieu de la concertation, ce sont les commissions de coordination des politiques publiques.

Comment attire-t-on des professionnels de santé libéraux dans des communes où il n’y a plus d’école, ni de boulangerie, et où le conjoint peinera à trouver un emploi ?

Nous n’avons pas de service qui propose un travail au conjoint du professionnel, c’est un fait. Mais les choses se font de la même façon que lorsque l’on cherche à attirer un médecin dans un hôpital, par exemple : on fait marcher le réseau. Les gens se parlent, s’aident. Pour le reste, l’exercice regroupé est plébiscité par les jeunes que nous voyons. Cela rompt l’isolement vécu par leurs aînés, ils y voient une façon de mutualiser les contraintes. Les maisons de santé pluridisciplinaires leur permettent de corriger les effets négatifs de l’exercice en zone rurale. En Poitou-Charentes, nous avons aujourd’hui une quarantaine de structures de ce type, cela répond vraiment aux attentes des jeunes professionnels de santé.

Charles Descours, sénateur honoraire. A participé à plusieurs rapports sur la permanence des soins et la démographie des professions de santé.

Qu’est-ce qui doit guider les choix politiques en matière d’aménagement du territoire en santé ?

Il y a un critère que l’on comprend bien, c’est celui de l’accessibilité pour les patients. L’accès aux soins étant entendu comme une distance convenable vis-à-vis des professionnels de santé, qu’elle soit kilométrique ou qu’il s’agisse d’une distance en temps. Il y a quelques années, il me semblait que l’on n’échapperait pas à des mesures contraignantes. Aujourd’hui, on voit que les médecins s’installent peu en ville. Si on leur impose des mesures contraignantes, ils ne s’installeront plus du tout. Cela étant, jusqu’ici, on ne peut pas dire que les mesures incitatives aient été d’un grand secours.

Est-ce le rôle des élus locaux que de chercher par tous les moyens à attirer les libéraux de santé ?

J’ai été conseiller général pendant vingt-six ans. Les élus locaux ont connaissance des besoins de leurs concitoyens. Ils sont légitimes à agir. Mais ils doivent le faire en accord avec les professionnels de santé. Il faut une conjonction d’intérêt entre les professionnels de santé et les élus.

Comment attire-t-on des professionnels de santé libéraux dans des communes où il n’y a plus d’école, ni de boulangerie et où le conjoint peinera à trouver un emploi ?

Les jeunes souhaitent des maisons de santé pluridisciplinaires, mais il ne faut pas faire de telles structures sans projet médical. On ne peut pas non plus en créer partout : il faut une population convenable autour. Ce que je crois, c’est que l’exercice médical changera davantage d’ici 2020 qu’il n’a changé depuis cinquante ans. Regardez le temps médical : il est bien inférieur à ce qu’il était il y a quelques années. Les médecins d’aujourd’hui aspirent à une autre vie.

Les infirmières ne sont pas sur la même longueur d’ondes. S’agissant des maisons de santé, elles ne sont pas si enthousiastes que les médecins, et craignent qu’on ne veuille les salarier.

Je comprends leurs inquiétudes. Il faudra aller vers une répartition des tâches qui ne mette pas le médecin dans une posture de chef. L’exercice des professionnels de santé va bouger.

Les infirmières vont probablement obtenir un certain nombre de délégations de tâches, elles ne veulent pas être à la botte des médecins. Mais il n’y a pas de recette miracle aujourd’hui. Il faut aller vers des maisons de santé avec des médecins, des infirmières disposant de plus de compétences et avec des modes de rémunération différents de ceux d’aujourd’hui.

* Nous avons choisi de “zoomer” sur cette région parce qu’elle combine un département touristique (Charente-Maritime), deux départements ruraux (Charente et Deux-Sèvres) et un département plus “moderne”, universitaire et technologique (Poitou).