L'infirmière Libérale Magazine n° 282 du 01/06/2012

 

ÉCHANGES

L’exercice au quotidien

Pendant trois ans, Ève-Marie Cabaret, infirmière libérale dans le Loiret, a soigné Gérard, un patient septuagénaire qui a partagé avec elle la culture rurale ancestrale. Et qui lui a donné le goût des légumes oubliés.

Gérard habitait dans le Loir-et-Cher. Avec ma collègue, nous l’avons soigné pendant trois ans pour un cancer du côlon, jusqu’à son décès, en 2010. Il était nourri par alimentation parentérale et nous lui rendions visite deux fois par jour, pendant une demi-heure. Nous en avons profité pour échanger pas mal de choses pendant ces moments…

Gérard, qui avait 70 ans, vivait près du château dont il avait été le gardien pendant des années. Sa famille habitait là depuis deux générations. Il cultivait dans son potager des tomates, des courgettes, des topinambours, qu’il nous offrait très souvent. Il nous a également donné des tuyaux sur les cultures et les plantations. Grâce à lui, je sais comment entretenir ma maison et mon jardin, ou comment, par exemple, fendre le sapin quand il est sec.

Gérard a partagé avec nous la culture rurale ancestrale : il nous parlait de la vie dans la Sologne d’antan, des sept fours à brique qui existaient dans le village… Les derniers temps, dans un moment de répit de la maladie, il avait acheté des lapereaux. En conversant ensemble à ce sujet, nous nous sommes rendu compte que nous aimions tous deux la cervelle et les joues de lapin. Gérard a alors promis de me donner un lapin quand il serait grand, pour que je puisse le manger.

Puis sa maladie s’est subitement aggravée. Il est parti en quinze jours. Pour ses obsèques, ma collègue et moi avons préparé une composition florale intégrant des carottes, des aubergines, des choux-fleurs… La famille a écrit un mot disant que les infirmières étaient le « rayon de soleil » de Gérard.

Deux mois après, sa famille m’a contactée : elle savait qu’un lapin m’avait été promis et m’appelait pour que je vienne le chercher… Gérard l’avait élevé pour moi et avait parlé de ce présent à sa famille. On m’a tendu le lapin dans un sac de congélateur, avec la date d’abattage dessus. C’était émouvant mais également singulier de recevoir un cadeau d’une personne après sa mort.

Aujourd’hui, quand je jardine, je pense régulièrement à Gérard : j’ai encore des “topines blanches“ bien à lui, que je distribue autour de moi, ainsi que des graines du “Petit Georges”, comme il les appelait, qui produisent une variété de salade qui n’est actuellement plus recensée. C’est un peu de lui qui survit à travers ces cultures. »

Avis de l’expert

Échanger les savoirs intergénérationnels

Dominique Tallan, présidente de la Fédération des aînés ruraux du Cher (18)

« À la campagne, certaines personnes se retrouvent isolées. Parfois, les infirmières libérales sont leur seule visite de la journée. Même si elles ont beaucoup de soins et des kilomètres à parcourir, elles savent prendre le temps d’écouter et ont un très bon contact avec les malades. Avant, j’étais travailleur social. Quand je me rendais au domicile des familles, il y avait souvent une salade qui m’attendait. C’est un peu la même chose pour les infirmières, comme on le voit avec ce patient qui prodiguait des légumes et des conseils de culture. Par l’écoute et le temps passé, on apporte beaucoup aux personnes, et celles-ci offrent très souvent quelque chose en contrepartie. Cette histoire illustre aussi l’importance de l’échange de savoirs intergénérationnels. »