Marie-Josèphe Bonvallot, infirmière sur une plateforme pétrolière au large du golfe de Guinée
La vie des autres
Aventurière dans l’âme, Marie-Josèphe Bonvallot soigne les petits et grands maux de ceux qui extraient le pétrole, nuit et jour, au milieu des mers. Seule professionnelle de santé à bord, elle exerce son métier dans un cadre hors du commun.
La plate-forme pétrolière sur laquelle officie Marie-Josèphe Bonvallot, 54 ans, flotte au milieu du golfe de Guinée. À 180 kilomètres de la côte nigériane, le Unity est une unité de stockage et d’embarquement qui peut stocker jusqu’à deux millions de barils de pétrole, entourée de “satellites” de production éloignés où se rend par roulement une partie des 300 employés. Seule femme à bord, Marie-Josèphe est aussi la seule professionnelle de santé dans un environnement de travail à haut risque. Singulier port d’attache au bout d’un parcours atypique : après des CDD à répétition, un BTS de comptabilité et un diplôme d’analyste programmeur, elle bifurque à 180 degrés vers le soin, qui fourmille d’offres d’emploi. « J’ai appris à aimer ce métier et, aujourd’hui, je ne pourrais pas en faire un autre », remarque-t-elle.
Diplômée en 1995, IADE en 2005, Marie-Josèphe opte pour l’intérim, l’anti-routine ! « Je suis un vagabond, s’amuse-t-elle, je n’aime pas faire toujours la même chose ni rester au même endroit. » Alors, pourquoi pas s’expatrier ? Une discussion avec un confrère ayant travaillé sur une plateforme attise sa curiosité. Et comme elle parle bien anglais, elle tente sa chance auprès d’une société d’intérim spécialisée dans les missions au sein de compagnies pétrolières. Banco ! Une fois obtenu son – très sportif – certificat de sauvetage en mer, à Aberdeen en Écosse, elle s’envole pour une première mission dans un hôpital au Gabon. Ce premier remplacement lui ouvre la porte des suivants, avant l’embauche par Total.
Sa première arrivée sur une plateforme reste gravée dans sa mémoire : « J’ai été frappée par l’immensité de la structure et son isolement. Je suis un peu aventurière, mais j’ai pensé que, cette fois, j’avais peut-être poussé le bouchon un peu loin… » Arrivée en hélico sur une première plate-forme, elle accède à la suivante en bateau. Pour atteindre l’espace de vie et de travail, « il faut grimper l’équivalent d’un immeuble de dix étages »… Trois jours en binôme la première fois, un peu moins les suivantes, et la voici larguée au milieu des flots.
Aujourd’hui, elle travaille à raison de quatre semaines à bord du Unity, quatre semaines chez elle, en Franche-Comté. Elle a apprivoisé les étranges sensations produites par les mouvements de cette énorme barge remplie de pétrole brut amarrée aux fonds marins, tantôt imperceptibles, tantôt forts. « Je me lève à 5 h 30. Je vois les employés avant qu’ils partent vers les satellites de pompage, au large. Pour des maux de tête, des rhumes, des diarrhées » ou surveiller la tension. Beaucoup de “bobologie” auprès de toutes les catégories de personnels, employés ou cadres, Nigérians pour la plupart ou expatriés français, américains, brésiliens ou de pays d’Asie… Qui, d’ailleurs, « finissent toujours par me parler d’eux, de leur famille, de leur désir de venir en Europe… ».
Mais l’infirmière doit également intervenir en première ligne lors d’événements plus rares mais aussi plus graves : chutes, fractures, section de membre, noyade… Marie-Josèphe peut entrer en contact 24 heures sur 24, par téléphone, avec des médecins à terre. « On peut envoyer un ECG, décrire l’état d’un patient ou recevoir des consignes, explique-t-elle. Et en cas de besoin, un médecin peut arriver en hélico en vingt minutes. » Iade expérimentée, elle sait conditionner les patients en attendant, réaliser une anesthésie, effectuer une réanimation cardiaque ou intuber un grand brûlé. Des exercices d’alerte ont lieu deux fois par semaine, y compris en pleine nuit. « Il faut pouvoir évacuer la plateforme en sept minutes, précise l’infirmière, qui participe toujours. Chacun sait parfaitement ce qu’il a à faire. » Y compris les membres de l’équipe d’aide d’urgence (first aid team) susceptible de lui prêter main-forte en cas de besoin.
En dehors des soins, Marie-Josèphe veille à la maintenance du matériel sanitaire, mais aussi à l’hygiène alimentaire, à celle du linge et au risque de légionellose.
Être la seule femme à bord n’est « pas du tout un problème », souligne celle que les employés appellent « Ma’ », par respect et sympathie. Elle prend tout ses repas au réfectoire et sa cabine n’est pas séparée des autres. Petit privilège : elle dispose de sa propre télévision mais préfère généralement un bon bouquin.
Travailler sept jours sur sept pendant quatre semaines laisse peu de place à l’ennui. Mais Marie-Josèphe peut appeler une fois par jour sa famille ou utiliser le mail pour contacter son mari ou ses (grands) enfants. En attendant la fin de sa mission : « Lorsque je retrouve mon mari, s’amuse-t-elle, on est comme des jeunes mariés ! »
« Celles qui exercent en libéral le font avec beaucoup de cœur, et c’est tout à leur honneur. En libéral, on a un contact particulier avec les patients. Mais c’est un mode d’exercice pénible : on doit se déplacer, aller chez les gens, dans l’intimité de leur domicile, et on est tous les jours confronté à des gens qui souffrent… Le travail est peu valorisé. Je trouve cela injuste, j’ai de la compassion pour elles. Je ne pourrais pas travailler en libéral, cela ne correspond pas à ma personnalité. J’ai besoin de faire des choses différentes chaque jour et peut-être d’avoir une petite dose de stress… »
Si Total développe l’emploi de professionnels de santé locaux dans certains pays, ailleurs, sur onze plateformes en mer au Nigeria, en Angola, au Congo et au Gabon, le personnel infirmier est expatrié de France. Total compte ainsi une trentaine d’infirmiers, majoritairement des hommes (Marie-Josèphe Bonvallot est la seule femme) et tous Iade. Ils travaillent sous contrat de droit suisse. Leur salaire est très largement supérieur à celui de leurs confrères salariés en France du fait de l’expatriation et d’un coefficient relatif au niveau de confort du pays où ils travaillent. En renfort, six infirmiers sous mandat avec Total assurent ponctuellement les remplacements lors de formations, maladie ou congés des titulaires. Ils parlent anglais et ceux qui officient en Angola suivent une formation en portugais. Une fois recrutés, ils passent tous des tests d’aptitude au travail en mer.