Prévention du tabac
Le débat
Les ravages que provoque le tabac sur la santé sont désormais largement connus. Pourtant, en France, le tabagisme concerne quelque 16 millions de personnes et près de la moitié des 18-34 ans fument. Interdire le tabac permettrait-il de régler définitivement le problème ?
Vous estimez qu’il faudrait prohiber le tabac. Pourquoi ?
Le tabac fait 73 000 morts par an en France. Le tabagisme est un esclavage car, une fois dans la dépendance, les fumeurs ont beaucoup de mal à en sortir. L’industrie du tabac a tout fait pour séduire les plus jeunes : aujourd’hui, l’initiation à la cigarette s’effectue vers 11 ans et 8 mois. Par des stratégies marketing sophistiquées, notamment via le cinéma, on a imprégné les esprits en associant ce produit à l’héroïsme, la beauté, la jeunesse, l’athlétisme, etc., alors que c’est tout l’inverse : la maladie, la mort, le vieillissement prématuré, l’essoufflement… Paradoxalement, notre société s’inquiète davantage des risques supposés sur la santé des OGM, du bisphénol A, des antennes-relais ou du nucléaire que du tabac, dont on sait les effets délétères. L’interdire permettrait de protéger les enfants. Car plus on commence jeune, plus on risque de devenir addict.
Comment mettre cela en œuvre ?
Il ne s’agit pas d’interdire le tabac du jour au lendemain. Il faudrait s’inspirer du modèle finlandais. Ce pays a décidé de sortir du tabac à l’horizon 2030 en cherchant à réduire son accessibilité. Tout d’abord, il mise sur l’augmentation des prix et a rendu la vente aux mineurs passible de six mois de prison. Ensuite, il interdit la cigarette dans les lieux publics, y compris ouverts. L’idée est de dénormaliser le fait de fumer. Enfin, il se bat pour qu’il n’existe plus qu’un seul modèle de paquet de cigarettes dénué de toute image de “branchitude”, de luxe… Des pays comme l’Australie, la Nouvelle-Zélande, se lancent eux aussi dans des dynamiques de réduction de l’offre. La France pourrait en faire autant.
La prohibition n’aurait-elle pas des impacts négatifs : atteinte aux libertés, trafic, montée du stress… ?
Fumer n’a rien d’une liberté. C’est une addiction. Quel libre arbitre a-t-on à 12 ans ? Aujourd’hui, 80 % des fumeurs veulent arrêter : si on leur met plus de contraintes, ils y parviendront. Ce qui manque, c’est la volonté politique. Il faut être courageux, expliquer les manipulations des lobbys du tabac, démonter l’idée que ce produit a des effets antidépresseurs… C’est un travail à mener sur le long terme, avec pédagogie.
Prohiber le tabac vous semble-t-il une bonne solution ?
Que l’on renforce les interdits pour freiner la consommation de tabac, en particulier des jeunes, pour la dénormaliser, ne me semble pas inintéressant. Augmenter les espaces non fumeurs n’a d’ailleurs pas provoqué de gros remous dans l’opinion publique. On peut sans doute aller plus loin, en jouant sur les lieux, les horaires, les tarifs… En revanche, la prohibition pure ne me semble pas la meilleure voie à suivre, non par laxisme, mais par souci d’efficacité. La stratégie de l’interdit ne suffit pas. Il faut en effet d’abord réfléchir à la fonction que remplit le tabac dans notre société, faire bouger les représentations, sinon, nous assisterons à des déplacements vers d’autres produits, d’autres conduites à risque.
Que mettre en œuvre ?
Sur le terrain, on voit bien la difficulté d’une politique d’éradication absolue. S’il ne correspond pas à un besoin biologique, le tabac, en tant qu’objet social, participe d’une certaine culture adolescente, de nombre de rituels. D’ailleurs, au début, ce n’est ni par goût, ni par dépendance que les jeunes en usent, mais davantage pour s’affirmer. Cela touche à la norme sociale. Si une communication claire sur la dangerosité de la substance s’impose et qu’il semble nécessaire de sortir de l’ambiguïté du discours actuel, il est également impératif de se pencher sur les raisons qui poussent des jeunes à recourir à ces conduites à l’adolescence. La question du tabac ne peut pas se départir de celle de l’environnement social, culturel, familial. Il faut réfléchir aux modes de vie des personnes, à la place de cette substance pour chacun, aux moyens dont disposent les familles pour accompagner leur enfant à cette période-clé.
Quels risques y aurait-il à la prohibition ?
L’interdiction absolue d’un produit fortement sollicité par des millions de consommateurs ne peut que générer le marché noir, le trafic, des usages cachés… et la santé publique n’y gagnerait pas forcément. Un marché parallèle se développe déjà aujourd’hui, comme les frontaliers qui se fournissent chez nos voisins européens. Les grandes études sur le sujet montrent en fait que les stratégies marchant le mieux reposent sur des politiques équilibrées, qui font intervenir à la fois l’interdit, la prévention, l’éducation et le traitement.