SAÔNE-ET-LOIRE (71)
Initiatives
Mariée à un agriculteur, Isabelle Billoux a décidé d’ancrer sa vie familiale dans de solides racines rurales. Au plus près des anciens du village.
Bourgogne du sud, Charolles (2 800 habitants). Dans cette zone géographique, berceau de la race bovine charolaise, – viande de qualité, détentrice d’une appellation d’origine contrôlée (AOC) –, les anciens célèbrent en chanson, depuis des générations, « la vie paisible, auprès des grands bœufs blancs »… Aujourd’hui, dans la salle des fêtes de Charolles, la municipalité offre le repas des Aînés, animé par un groupe d’art et de traditions populaires, “Les Gâs du Tsarollais”
Également membre du groupe, Isabelle Billoux est infirmière remplaçante dans un cabinet libéral de la commune. « Ce quasi mi-temps correspond à un choix de vie, explique-t-elle. Cela me laisse du temps pour élever mes deux fils. Car je suis mariée à un agriculteur, éleveur de vaches charolaises bio, et il est fort occupé. Un paysan travaille 24 heures sur 24 ! » Heureusement, s’il n’est pas question de prendre de longues vacances, les époux savent se ménager maints autres bonheurs au quotidien.
Les vendredis soirs sont consacrés aux répétitions. Isabelle et Laurent virevoltent avec d’autres couples, sur des cotillons, tourbillons et polkas, au son des accordéons. Pendant ce temps, au milieu de musiciens plus âgés, leur fils Jean-Jacques, 13 ans, joue fièrement de la clarinette. L’ensemble se déroule sous le regard attentionné du “président”, Michel Desplaces. Un grand bonhomme, plein d’humanité, dont la voix, lors des spectacles, caresse et ressuscite avec verve les écrits (monologues, pièces de théâtre, sketches et chansons), composés ou collectés par Joanny Furtin. « Cette figure emblématique locale a fondé notre groupe en 1935, révèle-t-il. C’était un tailleur de pierre atypique, grand rêveur, qui puisait son inspiration au cœur de la vie campagnarde. ». Son répertoire poétique, qui a animé maintes veillées, fait revivre des choses simples mais essentielles, parfois poignantes, parfois drôles. Une célébration pastorale des labours, des foires, des mille et une histoires de la vie à la campagne. En pays Charollais-Brionnais, c’est un Monsieur à la mémoire très respectée.
« Joanny Furtin représente encore beaucoup de souvenirs pour les personnes âgées du pays, confirme Isabelle Billoux. Quand nous donnons une représentation à Charolles, nous nous retrouvons devant notre fan-club ! Certains anciens connaissent d’ailleurs mieux les couplets que moi. En dansant ou en chantant, j’ai l’impression de leur faire plaisir avec peu de chose. »
Pour Isabelle, « c’est important de transmettre certaines valeurs à nos enfants. Tout va trop vite maintenant. Dans la vie moderne, on court toujours derrière quelque chose, même si on ignore derrière quoi… Jadis, les gens se donnaient certainement plus de mal dans leur travail. Mais, paradoxalement, je trouve qu’ils prenaient également plus le temps de vivre. » Une leçon de vie et de choses, donc, qu’elle essaie d’imiter avec l’aide des anciens. « Des mamies m’ont par exemple montré comment bien porter la coiffe. Ce n’est pas si évident ! »
Et puis, le couple apprécie aussi, après les répétitions, les “troisièmes mi-temps” qui se déroulent dans un beau caveau de pierre enterré. L’occasion de rire, d’échanger des nouvelles, d’évoquer les soucis du quotidien, en perpétuant l’amitié au sein d’une collectivité encore chaleureuse et ouverte.
Quant au métier d’infirmière, il était en quelque sorte destiné à Isabelle Billoux : « J’étais âgée de cinq ans lorsque mon père a eu un grave accident. Il a passé de longs mois à l’hôpital. Ce séjour m’a marquée, et j’ai trouvé que soigner était un beau métier. À l’époque, je croyais que j’allais sauver le monde ! C’était un rêve d’enfant. » Adulte, elle suit ses études à l’Ifsi de Paray-le-Monial et occupe un premier poste à l’hôpital local. « Puis j’ai rencontré mon mari, agriculteur à Charolles, et, par amour, je n’ai plus bougé du secteur », déclare-t-elle avec sincérité. Son travail à l’extérieur permet d’ajouter un salaire complémentaire à celui de l’exploitation agricole.
Plus tard, Isabelle Billoux a aussi été formatrice à l’Ifsi durant cinq ans. « C’était intéressant : j’ai beaucoup apprécié le contact avec les jeunes. J’ai également appris à prendre la parole en groupe. Et comme il fallait se tenir à jour pour les cours, j’ai fait plusieurs stages. » Ne voulant pas partir de chez elle pour suivre l’école de cadres, Isabelle fait ensuite fonction de cadre de santé à l’hôpital de Digoin. Après dix-huit mois de poste, elle change à nouveau d’orientation. « J’ai demandé à une infirmière libérale de ma commune si je pouvais la suivre lors d’une tournée. Aller chez les gens, rentrer dans leur intimité, c’est différent de l’hôpital. Et cela m’a plu. Je suis donc devenue remplaçante pour ce cabinet libéral. Ainsi, je n’ai pas le souci d’une clientèle et je n’ai pas non plus de paperasse à remplir. »
Comme ses tournées à domicile s’effectuent sur le canton, Isabelle parcourt de nombreux kilomètres sur des routes de campagne. Mais cela ne lui pèse pas. « Quand je rentre du boulot, j’ai toujours l’impression d’avoir servi à quelque chose. C’est valorisant. Et puis, les patients m’apportent beaucoup. Après les toilettes, on les sent heureux d’être coiffés, de sentir bon. Il y a une certaine dignité à rester bien habillé. » Leur reconnaissance s’exprime par quantité de “petits” gestes : « Certaines mamies me tricotent des napperons. Durant la belle saison, je reviens aussi avec des légumes dans le coffre. » Certes, les patients “jamais contents” existent, mais Isabelle relativise : « J’essaie de passer outre. C’est plus ou moins facile selon sa propre humeur du jour. Si je ne parviens pas à raisonner une personne, je me tais. Quitte à revenir à la charge dès la visite suivante. »
« Isabelle, intervient son mari, ne parle jamais de son boulot à la maison. Sauf en cas de coup dur. » « C’est difficile de voir les gens mourir ou diminuer, reprend Isabelle. Passées certaines limites, un maintien à domicile n’est plus envisageable. L’essentiel, pour moi, est de les aider à vivre chez eux aussi longtemps que possible. Parfois, l’air de rien, ils m’interrogent sur les maisons de retraite. En tant qu’infirmière, j’ai un rôle de conseil, de soutien psychologique à jouer. »
À la maison, ses enfants profitent des joies campagnardes : faire du vélo, construire des cabanes dans les bois avec les copains, planter des graines au potager… Déjà très intéressé par les animaux, Jean-Jacques a toujours quelque chose à faire dehors, comme veiller sur son cheptel de poules et d’oies. Un voisin vient également de lui installer une ruche dans le jardin et il se passionne pour l’apiculture. Quant à Isabelle, elle participe à la vente directe de viande bovine bio à la ferme : « Je reçois les clients. Chaque mois, mon mari part livrer à domicile. »
Dans le secteur, le couple est aussi connu pour sa passion originale de l’attelage. Avec un ami, Michel Nioulou, l’agriculteur a en effet réussi le pari de réapprendre à dresser des vaches charolaises. Un entraînement qui a occupé de très nombreux samedis. « Il faut d’abord conduire les deux vaches à la corde pour les habituer à nous suivre, explique Laurent. Progressivement, elles apprennent à synchroniser leur rythme, à suivre l’aiguillon en houx. » Elles ont aussi moins peur du bruit et du mouvement, grâce à de mémorables parties de ballon, lancé au-dessus de leurs cornes ou à travers leurs pattes !
Aujourd’hui, les deux compères partagent leur passion via un blog
(1) Site Internet des « Gâs du Tsarollais » : http://gasdutsarollais.free.fr
(2) Blog sur l’attelage des vaches charolaises : http://attelage.bovins.en.charollais.over-blog.fr