Réseaux de santé
Dossier
Les réseaux de santé se trouvent à l’aube d’une nouvelle mutation. Ils vont devoir davantage s’orienter vers des structures polythématiques et renforcer leur fonction de coordination des parcours de soins. Un passage pas facile à négocier, mais qui pourrait renforcer la position des plus forts.
Le témoignage de Marie-Cécile Jomier, cadre de santé et coordinatrice du Réseau Mémoire Allier (03), illustre parfaitement ce que vivent actuellement les responsables des réseaux de santé : « Nous venons d’avoir une réunion avec l’Agence régionale de santé (ARS). Ils nous ont dit que nous devions évoluer vers une mutualisation, mais sans nous donner plus de détails. Ce flou, allié à la remise en question régulière des réseaux, nous plonge dans une profonde incertitude. Depuis trois ans, nous assistons à une baisse importante de nos financements. Nous n’avons aucune visibilité sur notre avenir. Il nous arrive de craindre de disparaître. »
Apparus dans les années 1990, pour faire face aux parcours de soins complexes des personnes atteintes par le VIH et le sida, les réseaux ne semblent pas s’être départis de leur caractère expérimental. Une loi et des circulaires ont pourtant marqué en 2002 leur entrée officielle dans le système de santé. Leurs financements, qui dépendent de fonds destinés à l’amélioration de la qualité des soins (voir encadré en page suivante), sont régulièrement réévalués et restent liés au bon vouloir de l’administration publique, ou à ses humeurs. D’où le vent de panique parcourant les 736 réseaux de santé français depuis la mise en place des ARS et l’annonce d’un guide méthodologique de la DGOS (Direction générale de l’offre de soins) à leur attention.
Depuis deux ans, la Direction planche sur ce document qui devait paraître en janvier 2012 et dont la sortie se fait toujours attendre. Mettant en avant un devoir de réserve lié à la transition politique actuelle, la DGOS refuse de prononcer le moindre mot au sujet de son guide. Il semblerait probable que celui-ci soit rendu public à la fin de l’été.
L’Union nationale des réseaux de santé a dialogué régulièrement avec la DGOS pendant l’élaboration de ce guide, qui devrait s’inspirer de ses suggestions. Pour Michel Varroud Vial, président de l’UNR.santé, l’évolution demandée aux réseaux peut déjà être dévoilée : « Il s’agira de réseaux polyvalents sur un territoire, qui pourra être un département ou un demi-département. Il y aura une articulation de ces réseaux polyvalents avec d’autres structures qui font de la coordination. Dans le secteur sanitaire, il s’agira des établissements de soins, les HAD (Hospitalisation à domicile) et les Ssiad (Services de soins infirmiers à domicile), mais aussi les maisons de santé qui en auront les moyens. Dans le secteur social, l’articulation se fera avec les Clic (Centres locaux d’information et de coordination) et les Maia (Maisons pour l’autonomie et l’intégration des malades d’Alzheimer). »
On arriverait à terme à des réseaux polyvalents territoriaux qui concerneront quatre grands domaines de santé : la gérontologie, les soins palliatifs, les maladies chroniques et la cancérologie.
D’où le maître mot, répété ces derniers temps par les ARS, à l’attention des réseaux : la mutualisation. Selon Michel Varroud Vial, « les réseaux vont se rapprocher, de façon différente selon les régions. Cela pourra aller de la fusion à la mutualisation de moyens. Mais il s’agira quand même d’un rapprochement assez serré ».
Leur mission principale sera d’apporter un appui à la coordination des parcours de santé de patients complexes.
Ces patients se caractérisent par une complexité médicale, impliquant notamment des polypathologies, et qui peuvent présenter des fragilités sociales ou psychologiques, quand ces trois facteurs ne sont pas combinés. La première population à être concernée est la population âgée, dont la proportion ne cesse de croître en France. Il s’agit d’éviter à ces patients fragilisés des ruptures de soin et des hospitalisations injustifiées, préjudiciables à leur santé et au budget de l’Assurance maladie… L’appui des réseaux se fera auprès des professionnels de premier recours, et en premier lieu les médecins généralistes, mais également auprès des établissements de santé.
Depuis déjà plusieurs années, les réseaux sont incités à faire évoluer leur mode de fonctionnement. Suite à une évaluation externe en 2009, le Réseau Mémoire Allier a revu ses orientations.
« Depuis deux ans, explique sa coordinatrice, Marie-Cécile Jomier, nous sommes copilotes dans la Maia qui s’est mise en place dans le cadre du plan Alzheimer. Nous faisons partie du guichet intégré dont nous sommes une porte d’entrée. Nous participons également à la mise en place d’une équipe spécialisée Alzheimer. Nous mettons à disposition notre ergothérapeute et notre psychologue, qui assurent des vacations, en partenariat avec un Ssiad qui a formé deux auxiliaires de vie en gérontologie. Cette équipe propose une série de quinze séances à domicile pour maintenir les acquis. Cela nous permet d’avoir des relais, quand on fait des évaluations, de pouvoir proposer par la suite des actions concrètes. » Le réseau participe également à la plateforme de répit qui a été mise en place dans son bassin de vie. Les responsables du Réseau Mémoire Allier ne savent pas pour autant si ce souci d’articulation avec les autres instances de coordination leur permettra de correspondre aux attentes du ministère, et donc de conserver un financement.
Marie-Christine Ardault, coordinatrice du réseau diabète Diabolo, dans le Loiret, évoque la difficulté que peuvent éprouver les représentants des réseaux à trouver un langage commun avec leurs organismes de tutelle. « Nos interlocuteurs administratifs ne sont jamais venus à la rencontre de nos patients, relève-t-elle. Ils nous font parvenir des directives qui ne sont pas toujours applicables sur le terrain. Il ne faut pas oublier le patient qui n’a pas un parcours linéaire. Ses envies et son temps ne sont pas ceux des soignants Les demandes d’évaluations adressées par l’ARS nous déconcertent par leur lourdeur et leur aspect très administratif. Là où ils mettent des croix et des cases, nous avons en face de nous des patients. »
De manière générale, les responsables des réseaux craignent également de voir remise en cause la délicate architecture humaine qu’ils ont mise en place. Car ces réseaux, s’ils doivent évoluer, tiennent à préserver la qualité des relations établies entre professionnels de santé au terme de longues années de collaboration. Exception faite de l’ARS de Basse-Normandie qui a adopté une politique brutale de fermeture des réseaux de santé, prologue à la mise en place d’une plateforme régionale censée reprendre l’ensemble de leurs activités, les agences régionales semblent avoir conscience de la nécessité d’accompagner les réseaux dans leur mutation à venir. Ce qui n’est pas toujours chose aisée.
« Nous devons accentuer une politique dont les bases ont été posées dès 2007, analyse Martine Sencey, responsable du département premier recours à la direction de l’offre de soin à l’ARS d’Aquitaine. Nous savons que cela sera difficile pour les réseaux d’effectuer ce repositionnement, surtout avec des budgets en diminution. Nous essayons d’avancer doucement, car nous avons une contrainte financière pour 2012 liée à une baisse de nos financements Fiqcs, sans connaître exactement les orientations nationales. Nous attendons la publication du guide de la DGOS. »
Dans certaines ARS, comme en Lorraine ou en Île-de-France, des groupes de travail mixtes ont été mis en place pour que les rapprochements entre réseaux se fassent dans les meilleures conditions. À l’échelle nationale, une cellule devrait être mise en place pour participer au dialogue régional et apporter une médiation lors des rapprochements entre réseaux. Elle devrait être composée de deux coordinateurs nationaux issus des réseaux et d’un consultant extérieur.
S’ils parviennent à mettre en application les évolutions qui leur seront demandées, les réseaux pourraient peut-être enfin raffermir leur position dans le système de santé.
Pour Frank Laureyns, directeur de la Plateforme Santé Douaisis et secrétaire général de l’UNR.santé, « les réseaux sont à un moment clé de leur histoire. La DGOS nous a offert la possibilité de lui faire beaucoup de propositions lors de l’élaboration de son guide. Nous ne devons pas laisser passer l’occasion qui va se présenter à nous. Nous devons nous emparer de la coordination des parcours de soins. Si ce n’est pas nous, d’autres le feront, comme les Clic, les Maia, la HAD, les Maisons de santé pluridisciplinaires (MSP), ou même l’Assurance maladie ».
La Plateforme Santé Douaisis est l’une des structures qui ont inspiré la DGOS dans l’élaboration de son guide. Quand elle s’est mise en place en 2007, elle était pourtant à contre-courant : elle résultait de la mise en commun de moyens d’un réseau diabète et d’un réseau cancer. « Nous nous sommes aperçus que le parcours du patient pris en charge variait peu, quelle que soit la pathologie, analyse Franck Laureyns. Nous avons donc mis en place une fiche de signalement commune. Le Plan personnalisé de santé (PPS) suit ensuite les mêmes étapes. Globalement, il n’y a que sa durée et que la fréquence de la réévaluation de la situation du patient qui changent selon les pathologies. Le PPS va nous permettre de passer d’une médecine de succession d’actes à une vision projective de la prise en charge. »
Le PPS est inscrit dans les missions des réseaux de santé depuis 2009. Validé par le médecin traitant et élaboré avec le patient, il permet de planifier les interventions prévues pour améliorer sa situation. À la Plateforme Santé Douaisis, c’est souvent une infirmière (salariée par la structure) qui procède à “l’évaluation pluridimensionnelle” (voir encadré page 23), fondamentale pour l’élaboration du PPS. Cet entretien devient l’occasion d’accorder au patient un temps d’écoute que son médecin traitant est dans l’impossibilité de lui accorder. La coordinatrice reste ensuite la référente du patient et s’assure de son suivi tout au long de son parcours. Le PPS semble être le point de passage obligé pour l’avenir des réseaux. La fonction de coordination est également appelée à se développer, à tel point qu’un DU de coordination de parcours de santé vient d’être mis en place à l’université René-Descartes. Un nouveau métier pour les infirmières libérales ?
• Années 1990 : apparition des premières structures expérimentales, dites “réseaux Soubie”.
• 2002 : la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé officialise la naissance des réseaux de santé.
• 2007 : circulaire de la DHOS du 2 mars sur “l’orientation en matière d’évolution des réseaux de santé”.
• 2012 : la DGOS publie un guide méthodologique sur l’évolution des réseaux de santé.
Corinne Boistel, infirmière coordinatrice de parcours de santé à la Plateforme Santé Douaisis, Douai (59)
« Quand le poste de coordinatrice de parcours de santé m’a été proposé, je n’ai pas hésité longtemps. Lors de mes dix-sept années en service de diabétologie, j’ai particulièrement apprécié l’éducation thérapeutique et la fonction d’écoute de mon métier. Grâce aux formations que j’ai suivies, je dispose de techniques qui me permettent de prendre une posture empathique, pour une meilleure écoute du patient. Il faut savoir sur quels éléments rebondir, ou bien reformuler certains propos. Contrairement à ce que peuvent penser les patients, nous ne trouvons pas de solutions à leur place. Lors de la première évaluation, j’aide le patient à cheminer dans sa démarche, à formuler ses besoins, à y voir plus clair. Par exemple, une patiente venue pour un problème de surpoids a pu prendre conscience, au cours de notre entretien, que son premier souci était un stress important venant d’une situation familiale tendue. Pour certains patients, cet entretien est le seul espace de parole qui leur est offert pour se livrer, exprimer leurs émotions. »
Ces dernières années, les réseaux étaient financés par le Fiqcs, Fonds d’intervention pour la qualité et la coordination des soins. Avec la mise en place des ARS, le Fiqcs va être intégré au Fir, Fonds d’intervention régional, dont les orientations nationales sont déterminées par le Comité national de pilotage des ARS. Ce passage, qui présente certaines difficultés techniques, doit en outre se réaliser dans un contexte de tension budgétaire. L’enveloppe budgétaire allouée aux réseaux a baissé au cours des deux dernières années : elle est passée de 190 à 165 millions d’euros. Mais ce montant ne représente qu’un millième du budget de l’Assurance maladie, alors que les réseaux pourraient être à l’origine d’importantes économies. Citant les orientations du Haut Conseil pour l’Avenir de l’Assurance maladie (HCAAM), Frank Laureyns rappelle que « deux milliards d’économies sont attendus en ce qui concerne les parcours de santé. Les progrès à faire en termes d’économies concernent les patients complexes, soit environ 20 % de la patientèle des médecins généralistes. 15 % de cette patientèle seraient du ressort des réseaux ». Mais il n’est nullement assuré que les économies réalisées par les réseaux se traduisent par une augmentation de leurs financements.
Quels bouleversements essentiels va connaître le paysage des réseaux de santé ?
Les réseaux devraient garder une structure associative. En revanche, du fait de l’évolution de leur taille, leur nombre devrait être réduit d’environ un quart. D’où la nécessité de les accompagner dans cette évolution. Elle ne se fera pas sans une forte position nationale de la part du ministère. Il faut qu’il soutienne cette politique de mutation. Je crois qu’il le fera. D’ailleurs, Marysol Touraine parle beaucoup de parcours de soins.
Et au niveau régional ?
Il faudra un appui méthodologique assez fort pour que l’évolution des réseaux se réalise dans les meilleures conditions. Il faudra apporter un petit investissement pour que les unions de réseaux, en collaboration avec les ARS et les Unions régionales des professionnels de santé (URPS), puissent appuyer cette évolution.
Quels écueils attend l’évolution attendue des réseaux ?
Le pire qui puisse arriver, c’est qu’ils se raidissent sur le mode du réseau monothématique “deuxième génération”. Même s’il y en a qui peuvent encore fonctionner de cette manière, fin 2013, ce seront des structures vides. Ils n’auront plus de financements.
Christine Ardault, infirmière et coordinatrice du réseau diabète Diabolo, Orléans (45)
« Quand le réseau a été créé en 2001 pour améliorer l’éducation thérapeutique des patients, nous étions déjà novateurs : notre démarche était basée sur l’empowerment des patients
* Processus au cours duquel la personne malade prend conscience de progresser dans sa capacité à gérer ou à accepter une ou des situation(s) qui auparavant lui conférai(en)t un sentiment d’impuissance et de détresse.
Les infirmières sont le premier corps de métier représenté dans les réseaux. Une partie de ces infirmières sont des libérales, salariées à temps partiel par les réseaux. Les nouvelles orientations qu’ils vont connaître vont probablement intensifier la collaboration des réseaux avec les infirmières libérales. Michel Varroud Vial évoque les perspectives offertes par le coaching. Un forfait d’accompagnement peut être accordé pour la prise en charge d’une dizaine ou d’une quinzaine de patients chroniques. Une expérience de ce type a déjà été menée dans le cadre du programme Sudd (Suivi des diabétiques en difficultés), effectué de 2009 à 2011 par neuf réseaux diabète. Frank Laureyns évoque quant à lui la possibilité de demander à des libérales d’assurer un suivi des constantes des patients traités par chimiothérapie, lors des intercures. Cette expérience a déjà été menée par la Plateforme Santé Douaisis, mais a buté sur les carences de la nomenclature. La Plateforme est actuellement en train de travailler avec l’Assurance maladie pour obtenir des actes dérogatoires afin de développer cette activité.