L'infirmière Libérale Magazine n° 284 du 01/09/2012

 

Tendance

Dossier

La réforme des études en soins infirmiers, amorcée à la rentrée 2009, entraîne des modifications dans l’encadrement des apprentis infirmiers. Une tendance s’amplifie : celle des stages en libéral. Reste aux Idels à se préparer à accueillir ces nouveaux stagiaires.

La tendance semble se confirmer. « Le libéral est assez prisé chez les étudiants, rapporte Ève Guillaume, présidente de la Fédération nationale des étudiants en soins infirmiers (Fnesi), car nombreux sont ceux qui ont en tête ce projet professionnel. Ils souhaitent profiter des stages pour appréhender cette facette du métier au plus tôt. » « Cet engouement de la part des élèves pour le libéral, j’y vois un lien avec la surcharge de travail en milieu hospitalier, analyse quant à lui Olivier Maréchal, infirmier libéral à Fontaine-lès-Dijon (21) et tuteur de stage. Ils ont eu le temps de comprendre pendant leur stage à l’hôpital qu’ils ne peuvent pas apporter toute l’attention nécessaire aux patients, à l’inverse des soins dispensés au domicile. »

Depuis la réforme de 2009, les étudiants sont tenus d’effectuer un stage dans les quatre secteurs suivant : soins de courte durée, soins de longue durée et soins de suite et de réadaptation, soins de santé mentale et psychiatrie, et soins individuels ou collectifs sur les lieux de vie (libéral, Ehpad, Ssiad). Ces stages visent à leur permettre « d’exercer leur jugement et leurs habiletés gestuelles » et de prendre progressivement des initiatives et des responsabilités. « Les stages en libéral représentent une chance inouïe pour les étudiants, car ils s’apparentent à des cours particuliers », estime Olivier Maréchal. Il s’agit d’un terrain de stage riche qui permet une prise en charge des patients de la pédiatrie à la gériatrie. « Pendant leurs stages, je montre aux étudiants les soins, mais aussi tout le côté administratif du métier ainsi que le relationnel avec les autres professionnels de santé », complète Nathalie marceau, également infirmière libérale à Fontaine-lès-Dijon et tutrice de stage. Un moyen pour les élèves de se familiariser avec le secteur ambulatoire.

LES CHANGEMENTS DE LA RÉFORME

Si cette formule de stage existait déjà avant la réforme, depuis septembre 2009, l’encadrement des stagiaires a évolué.

Tout d’abord, la durée des stages a augmenté pour passer en moyenne à dix semaines, ce qui semble avoir un impact direct sur l’accueil des étudiants dans les cabinets libéraux. « Lors de l’entrée en vigueur de la réforme, quelques réticences se sont fait sentir de la part des libéraux, mais elles ne se sont pas maintenues », considère Jane-Laure Danan, vice-présidente chargée de la formation infirmière au Comité d’entente des formations infirmières et cadres (Cefiec).

Néanmoins, les infirmiers libéraux et les étudiants expriment quelques réserves. « Encadrer un étudiant pour une durée moyenne de dix semaines peut être contraignant pour un infirmier libéral en termes d’organisation et de charge de travail, explique Ève Guillaume. Ils sont d’ailleurs de plus en plus nombreux à refuser des stagiaires pour une durée aussi longue. »

C’est le cas d’Olivier Maréchal qui n’a pas souhaité en accueillir pour dix semaines, notamment pour ne pas bousculer sa patientèle. Un constat également dressé par Ludovic Mura, directeur de l’Institut de formation en soins infirmiers (Ifsi) de Limoges (87). « De manière générale, la réforme a fait baisser de 40 % à 28 % les offres de stage dans le Limousin », souligne-t-il. La Fédération nationale des infirmiers (FNI) plaide d’ailleurs pour un aménagement des stages, car « leur durée n’est pas adaptée à l’exercice libéral, soutient Philippe Tisserand, le président de la FNI. Lorsqu’un infirmier accueille un stagiaire, il lui consacre du temps, ce qui ralentit le rythme de son activité. Au détour d’un soin, il faut lui apporter des explications et être intellectuellement disponible. Sur une durée plus courte, c’est plus facile à gérer » (voir témoignage de Magali Pilon ci-dessous).

Outre la durée des stages, d’autres contraintes sont soulevées par les infirmiers tuteurs. Dorénavant, les champs d’apprentissage du diplôme en soins infirmiers recouvrent dix compétences. Cinq compétences propres aux infirmiers : évaluer une situation clinique et établir un diagnostic dans le domaine des soins infirmiers, concevoir et conduire un projet de soins infirmiers, accompagner une personne dans la réalisation de ses soins quotidiens, mettre en œuvre des actions à visée diagnostique et thérapeutique, initier et mettre en œuvre des soins éducatifs et préventifs. Puis cinq compétences traverses, communes à d’autres professions paramédicales, qui doivent être validées pour le métier d’infirmier : communiquer et conduire une relation dans un contexte de soin, analyser la qualité des soins et améliorer sa pratique professionnelle, rechercher et traiter des données professionnelles et scientifiques, organiser et coordonner des interventions soignantes, informer et former des professionnels et des personnes en formation. Chacune de ces compétences s’acquiert pendant l’enseignement théorique et au cours des différents stages sous la supervision des tuteurs, des maîtres de stage et des professionnels de proximité (lire l’encadré Repères en page ci-contre).

LE PORTFOLIO : UN OUTIL COMPLIQUÉ ?

Si, dans les établissements hospitaliers, ces différentes fonctions sont remplies par des personnes distinctes, en libéral, les infirmiers tiennent souvent tous ces rôles. La réforme de 2009 précise en effet que, pour des raisons d’organisation, ce cumul est tout à fait possible. Les infirmiers se doivent donc de s’approprier leur nouvelle fonction tout en appréhendant, en sus, les nouvelles compétences que doivent acquérir les étudiants depuis la réforme. Ces compétences sont formalisées dans leur portfolio, un nouvel outil d’évaluation né de la réforme, qui retrace dans un classeur la progression de l’étudiant dans sa formation. Il est centré sur l’acquisition des compétences, les activités et les actes infirmiers. Les items du portfolio sont remplis à la fois par l’étudiant et par son tuteur. « Les tuteurs de stage valident les compétences des élèves, précise Jane-Laure Danan. Puis le formateur de l’Ifsi s’appuie sur les compétences acquises par le stagiaire, sur sa présence au stage (au moins 80 % du temps de stage), sur le portfolio rempli avec la capacité d’autoanalyse du stagiaire et sur la validation de son acte technique lié au soin, pour proposer la validation des compétences de l’étudiant à la commission d’attribution des crédits. »

Mais, d’après la Fnesi, le portfolio est mal compris par les tuteurs qui ne le trouvent pas facile d’utilisation. « Les annotations à inscrire dans le portfolio de l’étudiant sont trop longues, témoigne en effet Nathalie Marceau. De plus, il faut répondre aux questions par oui ou non mais, dans certains cas, ce n’est pas possible. Je pense qu’une formation des tuteurs serait nécessaire pour l’appréhension de cet outil. »

D’après Jane-Laure Danan, c’est essentiellement la sémantique qui pose problème. « Des éléments de compétences ne sont pas très lisibles. Peut-être faudrait-il simplifier certaines données ? Néanmoins, il faut démystifier cet outil et se laisser du temps pour son appropriation. » Même point de vue du côté de Véronique Marin La Meslée, directrice de l’Ifsi de la Pitié-Salpêtrière à Paris, qui affirme que « ce document n’est pas si compliqué à remplir. Les tuteurs sont peut-être davantage gênés par le temps que cela prend. C’est l’outil des étudiants, eux aussi doivent leur expliquer son fonctionnement » (voir témoignage de Geoffroy en ci-dessous).

Actuellement, les infirmiers hospitaliers bénéficient de ces formations et certains Ifsi en dispensent à l’égard des tuteurs libéraux afin de les aider à comprendre la gestion du portfolio et, plus largement, pour les tenir informés des effets de la réforme sur l’évaluation des stagiaires (voir témoignage d’Olivier Marchal en page 27). Cependant, « il n’y a pas d’harmonisation de ces formations, note Ève Guillaume. Chacun a donc sa définition du tuteur de stage. Tant qu’il n’y aura pas d’uniformisation, la réforme restera floue et interprétable ». « Mais il ne faudrait pas que des obligations de formations deviennent une contrainte, surtout pour les libéraux », relève Jane-Laure Danan. Néanmoins, la FNI souhaiterait que les infirmiers libéraux tuteurs puissent bénéficier d’une formation portant sur le portfolio et les règles pédagogiques de l’encadrement des stagiaires, obtiennent le statut de maître de stage et soient rémunérés pour leur statut de tuteur, comme c’est le cas pour les médecins (lire interview du Pr Nicodème en page 29).

BÉNÉVOLAT ET RESPONSABILITÉ DES ACTES

La rémunération est en effet une autre revendication portée par les libéraux. La formation des pairs se trouve inscrite dans le décret de compétence des infirmiers. Cependant, « il n’est écrit nulle part que cette formation doit être gratuite », souligne Annick Touba, présidente du Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (Sniil). « Les tuteurs n’ont pas de revalorisation salariale pour encadrer les élèves, signale Ève Guillaume. Nous cherchons à valoriser cette fonction, car le tuteur est ralenti dans son fonctionnement avec un stagiaire. Une rémunération pourrait motiver les infirmiers à accueillir les étudiants. »

Dernière problématique liée à l’encadrement des stagiaires, et non des moindres : la question du paiement et de la responsabilité des actes. « Nous ne pouvons pas conseiller aux infirmiers tuteurs de stage de faire réaliser des actes par les stagiaires, car si le patient porte plainte, c’est l’infirmière qui sera poursuivie et qui devra prouver que l’acte a bien été effectué par le stagiaire », rapporte Annick Touba. Une mise en garde partagée par Philippe Tisserand : « En libéral, l’infirmier ne peut pas facturer des soins qu’il n’a pas réalisés personnellement. Peut-être que, dans certaines régions, des infirmiers le font, mais il s’agit d’une pratique interdite et l’Assurance maladie peut faire des contrôles et récupérer des indus jusqu’à trois ans », prévient le président de la FNI qui plaide pour une évolution du système conventionnel.

Les syndicalistes réclament une modification des textes réglementaires dans ce domaine afin que les infirmiers libéraux puissent facturer les actes effectués par – ou en collaboration avec – le stagiaire. Cette problématique ne se pose pas aux stagiaires dans les établissements hospitaliers, car l’article L. 4311-12 du Code de la Santé publique prévoit que « l’exercice de la profession d’infirmière ou d’infirmier est permis soit en qualité d’auxiliaire polyvalent, soit pour un ou plusieur(s) établissement(s) ou pour un mode d’activité déterminée, aux étudiants préparant le diplôme d’État pendant la durée de leur scolarité, mais seulement dans les établissements ou services agréés pour l’accomplissement des stages », ce qui n’est pas le cas du libéral. La Direction générale de la santé et la Direction de la Sécurité sociale réfléchiraient à cette question mais, contactées à plusieurs reprises, elles n’ont pas souhaité s’exprimer sur cette problématique. LAURE MARTIN

Témoignage

« Il faut partager notre savoir-faire »

Olivier Maréchal, infirmier libéral et tuteur de stage à Fontaine-lès-Dijon, Côte d’Or (21)

« J’accueille des stagiaires dans mon cabinet depuis 1992. Avec la réforme de 2009, nous avons toutefois une plus grande responsabilité vis-à-vis des élèves. Cependant, nous n’y sommes pas vraiment formés. Nous recevons une formation à chaque rentrée par l’Ifsi de Dijon afin de nous rappeler notre rôle de tuteur, de maître de stage et savoir comment remplir le portfolio. Décider de prendre en charge des étudiants, c’est effectuer une réévaluation de nos compétences. De fait, une formation pourrait être nécessaire par rapport au programme instauré depuis la réforme, car les étudiants bénéficient de connaissances nouvelles comparées à celles que nous avons acquises pendant notre formation. Une reconnaissance financière pourrait également être une bonne solution pour motiver les infirmiers libéraux à accueillir des stagiaires. Il est important d’être acteur de sa profession pour la faire vivre et partager notre savoir-faire. La passion de mon métier me motive. Les jeunes sont l’avenir, donc autant qu’ils soient bien formés. »

Repères

• Le tuteur supervise l’ensemble les étudiants. Il assure le suivi, l’accompagnement et l’encadrement des stagiaires pendant le stage. C’est lui qui évalue le stagiaire et remplit le portfolio.

• Le maître de stage organise le stage, signe la convention de stage et est garant de l’encadrement.

• Les professionnels de proximité assurent également le suivi et la formation de l’étudiant au quotidien.

Seuls les deux premiers assurent l’évaluation des compétences. Les trois rôles peuvent néanmoins être effectués par une même personne.

Témoignage

« Avoir un stagiaire est un réel échange »

Magali Pilon, infirmière libéral et tutrice de stage à Mer, Loir-et-Cher (41)

« La durée des stages des étudiants est beaucoup plus longue qu’avant. Personnellement, je trouvais cela plus intéressant pour les stagiaires de faire des stages plus courts mais plus nombreux afin d’avoir accès à une polyvalence des soins dans des services différents. Il est toujours plus intéressant de varier les stages que de rester dans un service spécifique. Il faut aussi noter que les stagiaires peuvent nous ralentir dans nos tournées, car nous leur montrons les soins et cela prend plus de temps. Mais je trouve cela très agréable d’avoir un stagiaire à mes côtés, car il s’agit d’un réel échange. Ils nous apportent des nouveautés, des connaissances et, en tant que tutrice, je me remets en question ! Cependant, les tuteurs devraient pouvoir bénéficier d’une formation afin notamment d’avoir des connaissances sur le nouveau programme et d’appréhender le fonctionnement de l’évaluation des acquis via le portfolio. J’en ai parlé au formateur référent de stage qui encadre mon stagiaire actuel à l’Ifsi. C’est un projet à l’étude. »

Interview
Pr Robert Nicodème, président de la section Formation et compétences médicales au Conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom)

« Les médecins sont formés au tutorat »

Quel est le rôle des médecins libéraux maîtres de stage ?

Ils ont pour fonction de transmettre aux internes leur savoir et leur compétence. Le praticien signe une convention avec la faculté à laquelle l’étudiant est rattaché. Il s’engage alors sur des critères pédagogiques, devient le maître de stage de l’étudiant et est responsable pendant un semestre de sa formation pratique.

Sont-ils formés à devenir maîtres de stage ?

Ils reçoivent en effet une formation pédagogique mise en place par le département de médecine générale sous forme de réunions ou de séminaires. Cette formation leur donne le titre de Maître de stage – pour laquelle ils sont rémunérés* – pour une durée limitée renouvelable, sous condition de suivre les formations. Le médecin généraliste doit également avoir déjà exercé en cabinet pendant au moins trois ans pour accueillir des stagiaires.

* La ministre de la Santé Roselyne Bachelot a rappelé en mars 2010, au terme de l’article 47 de la loi HPST, que les médecins généralistes/maîtres de stage sont indemnisés 600 euros par mois par étudiant et sont également appelés à percevoir une indemnité pour formation de 330 euros par jour dans la limite de 2 jours. Ces formations à la pédagogie se déroulent généralement sur des demi-journées et sont dispensées par le Département universitaire de médecine générale (DUMG) de la région.

Analyse
EXPÉRIMENTATION EN HAUTE-NORMANDIE

Le tutorat en libéral

De 2007 à 2011, la région Haute-Normandie a mené une expérimentation offrant la possibilité aux étudiants en soins infirmiers de participer à un système de tutorat en libéral. « Le but était de permettre aux étudiants de s’installer tout de suite après l’obtention de leur diplôme pour pallier le manque d’infirmiers libéraux dans la région », explique Nadine Hesnart, infirmière libérale, membre de la commission technique de la commission régionale qui a mené le projet. Au cours de leur 3e année de formation, les étudiants ont effectué un stage de trois mois au sein d’un cabinet demandeur en zone sous dotée. Une fois diplômé, le stagiaire a accompli 30 jours de remplacement au cours desquels l’infirmier tuteur l’a accompagné et évalué son travail. En fonction de l’évaluation, la caisse d’Assurance maladie a autorisé ou non l’installation du stagiaire soit dans le cabinet où il a effectué ses stages, soit dans un autre cabinet demandeur situé dans une zone fragile. « En quatre ans, il y a eu 70 projets de tutorats qui ont abouti à 51 installations, dont 9 créations de cabinets et 8 remplacements, rapporte Nadine Hesnart. Six étudiants ne sont pas allés au bout du projet et cinq ont changé de région. » Le projet n’a pas été renouvelé en novembre 2011 en raison de la conclusion de l’avenant 1 qui organise la répartition des infirmières libérales sur le territoire.

Témoignage

« Le portfolio est une négociation »

Geoffroy, étudiant en soins infirmiers à l’Ifsi de Blois, Loir-et-Cher (41)

« J’ai choisi de faire un stage en cabinet libéral pour découvrir cet exercice de la profession totalement différent de l’hospitalier. J’aime le côté relationnel de cette pratique et le fait qu’à l’inverse de l’hôpital, nous allions chez les patients leur dispenser les soins. La pratique libérale nous apprend la débrouille, l’autonomie et la dextérité, car nous n’avons pas trois chances pour faire un pansement, il faut être vigilant. Concernant l’acquisition des compétences, le portfolio est un outil nouveau. Mes maîtres et tuteurs de stage se questionnent sur son utilisation. Ils sont très ouverts au fait que je leur explique son fonctionnement. Cela leur prend du temps pour le remplir, environ deux heures. Je dégrossis donc le travail. Pour les soins, les actes et les compétences que j’ai acquis, je préremplis le portfolio. Pour ce que je dois encore acquérir ou pour les actes et les soins avec lesquels je ne me sens pas en confiance, nous en parlons. Remplir le portfolio, c’est une négociation entre eux et moi. »

EN SAVOIR +

Deux conférences du Salon infirmier devraient vous permettre d’affiner votre pratique d’encadrement de stage.

→ L’encadrement du stagiaire, animée par Chloé Pons (étudiante, Fnesi) le 25 octobre à 10 h 15.

→ Le portfolio, la partition de l’étudiant animée par Isabelle Bayle, cadre formateur en Ifsi et Marie-Sophie Challon Blash, étudiante, le 26 octobre à 14 h 30. Plus d’infos pages 22 à 25.