L'infirmière Libérale Magazine n° 284 du 01/09/2012

 

SANTÉ PUBLIQUE

Actualité

VEILLE SANITAIRE→ La délégation sénatoriale à la prospective a mené une étude sur les menaces liées aux maladies infectieuses émergentes, conduisant à la publication d’un rapport rendu public en juillet. Lequel prône une meilleure coopération entre les professionnels de santé.

« Les maladies infectieuses ne datent pas d’hier  », a souligné, en guise d’introduction, Fabienne Keller, la sénatrice en charge de l’étude, lors de la présentation du rapport courant juillet. Choléra, peste, rage sont quelques-unes des maladies qui sévissaient déjà aux siècles passés.

Une définition large

L’expression “maladie émergente” recouvre une notion large qui entre dans l’un des quatre cadres suivants : un syndrome qui associe de façon originale des causes et des symptômes non observés jusqu’alors par la médecine ou une affection qui n’a encore jamais été identifiée dans une zone géographique ou un environnement humain donné. Il peut aussi s’agir d’une affection qui réapparaît là où elle avait disparu ou dans un environnement nouveau (comme la tuberculose en région parisienne), ou d’une affection dont l’origine est nouvellement décrite.

Chaque année, ces maladies infectieuses causent environ 14 millions de décès. Plus de 90 % de ces décès sont constatés dans les pays du Sud, où les maladies infectieuses représentent 43 % du total des causes de décès contre 1 % dans les pays industrialisés. Mais l’incidence des maladies émergentes dans les pays du Nord a aussi augmenté de 10 à 20 % ces quinze dernières années.

L’incertitude pèse sur des maladies qui sont aujourd’hui découvertes grâce aux progrès des outils de diagnostics. « 335 nouvelles maladies infectieuses ont été décelées entre 1940 et 2004, rapporte Fabienne Keller. 60 % sont des zoonoses provenant à 72 % de la faune sauvage. » Les zones d’émergence de ces maladies sont surtout situées dans le Sud (Amérique du Sud, Afrique centrale, Asie du Sud-Est). D’où l’importance à accorder à la coopération internationale, car les virus ne connaissent pas les frontières. De plus, les traitements disponibles se raréfient. « L’apparition de phénomènes de résistances des pathogènes aux antibiotiques est liée à des consommations inappropriées de ces médicaments », indique la sénatrice.

Les facteurs d’émergence

Le rapport précise que l’émergence de ces maladies est liée à l’évolution de différents facteurs qui influent sur la transmission des pathogènes. La population humaine, qui dépasse les 6,5 milliards de personnes et atteindra les 9 milliards d’ici 2050, se concentre désormais dans les mégalopoles où les transmissions interhumaines sont plus faciles. Les pratiques agricoles (déforestation, élevages intensifs) modifient les écosystèmes. La mondialisation des échanges de biens et de marchandises contribue à la diffusion des vecteurs de maladies, et la progression du transport aérien accélère les mouvements de personnes dans des zones à risque. Enfin, le changement climatique favorise la multiplication de certains vecteurs à l’origine de l’apparition de maladies nouvelles encore inconnues dans des régions tempérées. Des facteurs influent aussi sur la virulence des pathogènes, comme le fonctionnement du système de santé, la préparation de la population aux pandémies ou encore les capacités d’accès aux soins d’urgence.

Face à ces risques d’émergence, le rôle des pouvoirs publics est fondamental. D’après l’auteure du rapport, une importance particulière doit être accordée à la communication. Mais « l’anticipation face à la menace des maladies infectieuses émergentes ne peut produire les résultats escomptés sans une prise en compte de la perception du risque, des intentions de comportements de la population et de leurs modifications tout au long du processus d’émergence », soutient Fabienne Keller. Et d’ajouter : « L’utilisation d’Internet a modifié le comportement des citoyens envers la maladie, la consultation médicale commençant de plus en plus par une recherche sur un moteur de recherche. » Il s’avère donc nécessaire de développer de nouveaux modes d’échanges avec le public sur sa perception des risques. « L’échec de la campagne de vaccination contre la grippe A (H1N1) à l’automne 2009 s’explique ainsi en partie par une communication de crise insuffisamment réactive », poursuit la sénatrice.

Valoriser la participation des médecins traitants

De plus, des études réalisées en France durant la pandémie grippale de 2009 ont révélé qu’une campagne de prévention qui ignorerait le fait que les médecins traitants sont des “prescripteurs de comportements” serait probablement d’une efficacité limitée. Aussi, Fabienne Keller plaide-t-elle pour une valorisation de la participation des médecins traitants à la veille sanitaire afin de renforcer leur position d’acteurs de santé publique et ainsi constituer un contrepoint à une communication de masse de plus en plus rejetée par le public, notamment en raison des différents scandales sanitaires (grippe A, Mediator). « Il faudrait aussi créer des réseaux de médecins généralistes de terrain selon un maillage territorial défini qui constitueraient une tête de pont de professionnels de santé prêts à réagir et à coordonner leurs confrères en cas d’émergences infectieuses », propose-t-elle.

Et de conclure : « Les infirmières libérales ont également un rôle fondamental à jouer, car ce sont elles qui connaissent le mieux la vie de leur patient et qui sont en contact direct avec eux. Néanmoins, il faut réfléchir au type de communication à mener auprès d’elles afin de définir vers quelles structures elles doivent s’adresser si elles découvrent des symptômes chez leurs patients. »

Dix leviers d’action contre ces maladies

1 Faire prendre conscience aux opinions publiques de la globalisation du phénomène de ces maladies et de l’importance des rapports Nord-Sud.

2 Agir sur tous les facteurs d’émergence de propagation des maladies infectieuses.

3 Considérer la prévention de la diffusion de ces maladies comme une grande cause collective de l’humanité.

4 Faire progresser l’information des populations du Nord comme du Sud sur les pathologies, les vecteurs et les prophylaxies.

5 Inventer ou développer des méthodes de concertation pluridisciplinaires les plus larges.

6 Réintroduire des protocoles classiques de lutte contre les pandémies.

7 Promouvoir de nouveaux outils d’intervention sur les maladies infectieuses émergentes.

8 Réguler les mouvements de praticiens de la santé des pays du Sud vers ceux du Nord, et au sein des pays du Nord entre les pays demandeurs et les pays exportateurs de praticiens.

9 Soutenir et orienter la recherche sur les vaccins et les thérapeutiques de ces maladies.

10 Faire des efforts d’organisation de la logistique et encourager la coopération décentralisée entre collectivités locales du Nord et du Sud.