L'infirmière Libérale Magazine n° 284 du 01/09/2012

 

Le débat

L’université d’Aix-Marseille ouvre cette année une filière licence, master, doctorat (LMD) en sciences cliniques infirmières, dont le premier grade est acquis parallèlement au diplôme d’État. De quoi faire progresser la France dans ce domaine de la recherche.

Chantal Eymard, infirmière diplômée d’État depuis 1972, maître de conférence habilitée à diriger des recherches (HDR) à Aix-Marseille université (AMU), au département de sciences de l’éducation

Quel est l’intérêt d’une recherche infirmière ?

La démarche qualité ne peut pas être déconnectée de la pratique infirmière. En recherche, on requestionne tout cela. Il s’agit ainsi de s’interroger sur la façon dont sont construits les protocoles utilisés au quotidien par les professionnels. Ils sont passés à l’épreuve scientifique, au regard critique. Grâce à la recherche, on peut apporter du confort aux infirmières. L’une de mes étudiantes a, par exemple, travaillé sur la transmission du savoir. On remarque ainsi que les infirmières qui ont suivi un parcours universitaire opèrent un transfert de savoir. La formation à la santé ne s’arrête pas au diplôme. Les compétences nécessitent une actualisation et un esprit critique.

Où en est la France dans ce domaine, par rapport à l’étranger ?

D’après une étude de l’Association de recherche en soins infirmiers (Arsi), en 2009, nous étions 26 infirmières à déclarer avoir un doctorat et 28 à faire une thèse. Dans bon nombre de pays, les infirmières disposent de formations en sciences infirmières allant jusqu’à la recherche, comme au Canada, aux États-Unis, au Brésil, au Japon ou encore en Norvège, ce qui contribue à l’amélioration de la qualité des soins. En effet, la recherche fournit des résultats scientifiques et probants pour instaurer de nouvelles pratiques. C’est aussi un moyen de critiquer l’existant de façon constructive. Notons cependant que la France a tout de même progressé dans ce domaine. Grâce au premier Programme hospitalier de recherche infirmière (PHRI) lancé en 2009 par Roselyne Bachelot, qui permet à toute infirmière d’être porteuse de projet, la recherche infirmière a pu commencer à se structurer en France. Cela a donné une réelle dynamique pour la recherche en général, mais également pour sa spécificité en termes de qualité des soins.

Comment s’organise cette filière en France ?

Il existe un département de sciences infirmières et paramédicales à l’École des hautes études en santé publique (EHESP) qui va jusqu’au master. Quant à l’université d’Aix-Marseille, elle vient de créer un département de sciences infirmières intégré à la faculté de médecine.

Sylvie Cossette, professeure titulaire à la faculté des sciences infirmières de l’Université de Montréal, collabore au centre de recherche de l’Institut de cardiologie de Montréal et co-dirige le Réseau de recherche en interventions en sciences infirmières du Québec

Quel est l’intérêt d’une recherche infirmière ?

Elle amène des évolutions concrètes. Prenons le cas des patients coronariens ayant fait un infarctus : à travers un programme de recherche, nous avons découvert une technique pour mieux conduire ces patients vers des centres visant à modifier leur comportement (diminuer le tabagisme, améliorer le régime alimentaire et augmenter l’exercice physique). Cela s’obtient grâce à une intervention infirmière ciblée durant le temps d’hospitalisation.

Où en est le Canada dans ce domaine, par rapport à l’étranger ?

À l’université de Montréal, nous sommes une quarantaine de professeurs. Il s’agit de la plus grosse université francophone au monde. Au Québec, on compte environ 200 à 300 infirmières titulaires d’un PhD (doctorat) sur un total de 68 000 infirmières. C’est donc une minorité. Cela dit, si l’on compare avec la France, cet effectif paraît important. En Amérique du Nord, la recherche infirmière est effectuée par des infirmières titulaires de doctorats. Elles sont majoritairement spécialisées en sciences infirmières. Certaines ont évolué dans d’autres disciplines car, avant, c’était un peu comme en France, il n’existait pas de doctorat en sciences infirmières. Les étudiantes s’orientaient vers l’éducation ou la sociologie. La majorité de nos chercheurs ont des postes dans des universités où se combinent recherche et enseignement. Il en y a également en milieu hospitalier pour la recherche clinique.

Comment s’organise cette recherche au Canada ?

Les sciences infirmières sont une discipline à part entière. Depuis les années 1960, l’université de Montréal dispose d’une maîtrise spécifique. Le doctorat, quant à lui, a été créé en 1993. À ce jour, quatre universités en proposent un. À Montréal, nous avons une faculté spécifique, comme il existe une faculté de médecine. Nous y menons nos recherches de façon autonome. Cela dit, la très grande majorité de nos travaux sont réalisés par des équipes multidisciplinaires dans quatre grands domaines : en science clinique, en pédagogie, en organisation des services et en santé publique.