CONSEILS AU PATIENT
L’exercice au quotidien
Pendant cinq ans, Myriam, libérale dans le Sud-Ouest, a dû composer avec une patiente diabétique qui grignotait des sucreries à son nez et à sa barbe, en rejetant tout conseil diététique.
J’ai soigné Mme T. pendant cinq ans, jusqu’à sa mort, à 78 ans. Deux fois par jour, je me rendais à son domicile pour pratiquer les injections d’insuline. Au départ, le principal cabinet de la commune où je venais de m’installer m’avait demandé de prendre la suite des soins. Les infirmières, usées, étaient en fait arrivées à un point de non-retour. La raison ? Mme T., qui n’en faisait qu’à sa tête et qui dénigrait le traitement sans ménagement – « J’en ai rien à faire, de vos insulines ! » –, même si elle acceptait les injections. Elle rejetait surtout les conseils diététiques, me rabrouant sèchement quand je lui en parlais. Elle était gourmande et je la trouvais souvent le nez dans son réfrigérateur. Ou je découvrais des papiers d’emballage de biscuits ou de glaces sur la table de la cuisine… Au début, bien sûr, je lui disais qu’elle ne devait pas manger de sucreries, je lui ai expliqué le régime à suivre et ses raisons, mais elle n’en avait cure. Il arrivait que son taux de glucose atteigne 4 grammes par litre ! Vivant seule et ne sortant presque pas de chez elle, son seul plaisir consistait à ingurgiter des gourmandises. Je ne me voyais pas la priver de cela. Et, de toute façon, je n’avais pas le pouvoir ni le droit de lui interdire quoi que ce soit : nous n’allions tout de même pas cadenasser son frigo ! Peut-être était-ce de sa part de la provocation. Ou une manière indirecte de se laisser aller, voire de se laisser mourir… C’est très frustrant pour une infirmière. Mais j’ai fini par m’en accommoder. Je pratiquais mes injections sans émettre le moindre commentaire sur son régime. Si, à l’Ifsi, on nous enseigne la rigueur, en pratique, c’est bien différent : nous avons affaire à des êtres humains qui ont leur libre arbitre. À force de se rendre au domicile d’une personne, on la découvre au quotidien, dans sa vérité. Nous avons ainsi beaucoup discuté, Mme T. et moi-même, de ses nombreux voyages, de Paris où j’ai vécu pendant dix ans et où elle avait occupé un poste important de DRH. Elle avait toujours été libre et indépendante. J’aimais son aspect authentique, sans fard. C’est cette dame que j’ai soignée pendant cinq ans, sans jamais tomber dans l’usure. »
« Des patients butés comme cette dame, nous en rencontrons un certain nombre. Devant le médecin, ils disent que tout va bien. Au domicile, l’infirmière voit qu’il en est tout autrement… Le mieux est d’essayer de favoriser l’alliance thérapeutique, et qu’infirmière et médecin adoptent un discours commun de “négociation du moindre mal”, en tentant de trouver des réponses aux pulsions gourmandes du patient. Il peut satisfaire ses envies, mais à des moments plus propices, en milieu de matinée, ou le soir après le dîner. On peut insister sur le fait qu’un diabète mieux équilibré va améliorer sa qualité de vie. La complémentarité des approches par le médecin et l’infirmière est très importante. À l’hôpital Saint-Louis, nous avons établi des fiches de liaison avec les infirmières libérales. »