L'infirmière Libérale Magazine n° 284 du 01/09/2012

 

Éditorial

De passage dans ma ville natale au milieu de l’été, j’apprends qu’une dame de 71 ans s’est jetée dans le canal, en plein après-midi. Elle n’a pas glissé, par maladresse. Elle n’était pas alcoolisée et n’a pas enjambé la barrière de sécurité pour égaler les prouesses aquatiques des sportifs aux Jeux Olympiques. Et n’accusons pas la vague de chaleur : cette dame habite une région où le mot “canicule” fait plus rire que pleurer. Non, la raison est plus simple, et elle l’a confiée à son sauveteur d’un jour, sans aucun tremblement dans la voix : elle voulait mourir. Son histoire s’est bien terminée, son ange-gardien a pris son adresse et s’est proposé de lui rendre visite régulièrement, mais ça ne s’est pas conclu aussi bien* pour des centaines, des milliers d’autres retraités qui sont touchés par la maladie de l’ennui. Se sentir inutile et isolé, en perte d’autonomie physique et économique, est-ce que c’est seulement ça, vieillir ?

Si tous les suicides font mal – et notamment ceux des jeunes qui n’ont même pas pris le temps d’écrire les premiers chapitres de leur vie – imaginer le suicide d’un vieux est déstabilisant. Ici, on ne parle pas d’euthanasie, ni de maladie incurable, mais de gens qui pourraient vivre encore dix, vingt, trente ans dans des conditions physiques acceptables. Et qui, pourtant, tournent la page. Plutôt que de multiplier les spots à la télé leur serinant qu’il faut boire quand il fait chaud, écoutons-les, nos “vieux”. À l’hôpital, il y a les aides-soignantes, les infirmières, les médecins, les voisins de chambrée, les visiteuses, les lectrices, les musiciens. Et à la maison ? Doit-on passer toutes ses journées seul et finir seul parce qu’on est un vieux, en pas trop mauvaise santé ? Service civique, bénévolat, solidarité, redistribution, engagement micro local, communal, régional ou national… Un vaste chantier à creuser avant nos tombes.

* Lire aussi notre actualité page 10.