L'infirmière Libérale Magazine n° 285 du 01/10/2012

 

Cahier de formation

Savoir faire

Monsieur G. est pris en charge par un réseau de soins palliatifs depuis un mois. Sa situation s’est rapidement dégradée et la fin de vie est proche. Le médecin du réseau de soins palliatifs suggère d’arrêter la nutrition et l’hydratation qui provoquent plus de désagréments que de bienfaits pour le patient. La décision doit être débattue avec le médecin traitant et les infirmières en charge du patient.

Vous pouvez préparer les proches à cette éventualité. Après avoir expliqué que le patient ne mourra pas de faim ou de soif, des explications sur la physiopathologie de l’arrêt de la nutrition et de l’hydratation permettent de diminuer leur souffrance. Vous pouvez encourager les proches à effectuer des soins de bouche qui leur permettront d’exprimer de nouveaux gestes d’attention envers leur parent après l’interruption de l’acte fortement symbolique de le nourrir.

PROBLÉMATIQUE

La loi du 22 avril 2005 permet un arrêt de la nutrition et de l’hydratation assimilées à des traitements médicaux jugés inutiles dans certains cas en fin de vie.

L’alimentation est alors considérée comme une thérapeutique et non comme un soin. Alors que les soins sont prolongés jusqu’à la fin pour apporter le plus de confort au patient, les traitements peuvent être arrêtés dans le même objectif.

Par ailleurs, la valeur symbolique de la nutrition et de l’hydratation doit être considérée. Elle impose que les décisions soient prises et partagées au sein de l’équipe pluridisciplinaire, au cas par cas, en pesant les bénéfices et les inconvénients en termes de confort et en respectant au mieux la volonté du patient. Les proches seront d’autant plus rassurés que les soignants partagent une même vision de la prise en charge. Or certains soignants, comme les proches, peuvent considérer l’arrêt de l’alimentation comme un abandon de la personne ou l’assimiler à une euthanasie.

À L’ARRÊT DE LA NUTRITION ET DE L’HYDRATATION

La baisse de l’insulinémie et l’augmentation du glucagon sont responsables d’une libération majorée d’acides gras libres, dont l’oxydation produit, via le foie, des corps cétoniques qui sont utilisés à la place du glucose. La phase terminale de la dénutrition correspond à l’épuisement des réserves lipidiques de l’organisme qui conduit à une réduction progressive de la masse protéique et à une fonte musculaire. L’arrêt de la nutrition et de l’hydratation altère la conscience en 48 heures, avec un coma parfois calme, parfois agité. Le décès survient en moyenne entre 8 et 15 jours(1).

CONSÉQUENCES CLINIQUES

Certaines apportent un soulagement au patient.

Arrêt de l’hydratation

Insuffisance rénale

Une insuffisance rénale anurique (arrêt de la production d’urine) peut être responsable du décès. L’insuffisance rénale peut également entraîner une encéphalopathie accompagnée de manifestations motrices et de crises comitiales (encéphalopathie urémique) et des conséquences cardiaques de l’hyperkaliémie, généralement responsables du décès du patient(2).

L’accumulation de substances médicamenteuses due à l’insuffisance rénale peut également provoquer une confusion, des myoclonies ou des crises d’épilepsie. La survenue d’une insuffisance rénale rapide peut entraîner un syndrome d’hyperalgésie qui doit être anticipé afin de prévoir un analgésique adapté.

Soif et sensation de bouche sèche

L’intensité de ces symptômes est indépendante de la quantité de liquide perfusé ou administré oralement. Ils ne seraient pas plus importants en cas d’arrêt de l’hydratation si les soins de bouche sont correctement effectués(1). De plus, beaucoup d’autres facteurs participent à ces symptômes : respiration par la bouche, mycose buccale, radiothérapie, médicaments…

À savoir : la sensation de soif diminue avec l’âge et avec l’augmentation de l’osmolarité (concentration de molécules dans le plasma). Elle disparaît au-delà d’un certain seuil (292 mOsm/l chez le sujet jeune et 296 mOsm/l chez le sujet âgé)(2).

Des troubles de la vigilance

Ces troubles, de type somnolence, syndrome confusionnel ou agitation, peuvent être causés ou aggravés par la déshydratation. Comme ils ont souvent une origine multifactorielle, il est difficile d’établir un lien direct entre confusion et déshydratation en situation de fin de vie(3).

Autres conséquences dommageables

Asthénie, nausées et fièvre, douleurs musculaires dues à une hyperkaliémie, un syndrome digestif avec des douleurs abdominales et une diarrhée sont possibles. Les complications de l’alitement comme les escarres ou la constipation peuvent être associées à la déshydratation.

Amélioration du confort du patient

→ Les troubles de la vigilance sont parfois accompagnés d’une altération de la conscience qui soulagerait le patient en diminuant la souffrance morale.

→ L’hyperosmolarité consécutive à la baisse de la fonction rénale diminue les sécrétions respiratoires, la toux, les nausées et les vomissements.

→ Un effet antalgique de la déshydratation est évoqué. Il serait lié à une augmentation de la sécrétion d’opioïdes endogènes. Une autre hypothèse est que, chez le patient en état de jeûne et déshydraté, l’accumulation des produits de dégradation des corps cétoniques pourrait être à l’origine de cette analgésie(3).

Arrêt de la nutrition

Le jeûne complet est préférable

Des situations de jeûne complet pour des raisons diététiques ou religieuses ont mis en évidence des états d’euphorie durant la phase de jeûne qui n’est pas le cas du jeûne partiel. Le jeûne induit une production de corps cétoniques qui auraient un effet anorexique central. Lorsque l’on maintient, pour des raisons de plaisir et de confort, une alimentation et une hydratation orales a minima, une sensation douloureuse de faim et de soif peuvent persister(1).

Altération de l’état général

L’arrêt de la nutrition provoque le plus souvent une perte de poids supérieure à 10 %.

Il entraîne une altération des fonctions cognitives et une baisse de la sensation corporelle et de la conscience du corps. Cet arrêt induit une amyotrophie importante, une fonte musculaire et une diminution du potentiel d’action musculaire.

Le jeûne prolongé altère les défenses immunitaires. Il diminue l’absorption digestive et la mobilité intestinale. Il expose donc à une diarrhée par malabsorption (majorant la déshydratation) et un risque d’infection à point de départ digestif.

Conséquences en faveur du confort du patient

L’élévation des corps cétoniques après une semaine de jeûne induit une diminution de la quantité d’urée formée et du volume des urines produites.

Les corps cétoniques induisent une diminution du métabolisme de base avec comme conséquence une diminution du volume des sécrétions bronchiques et digestives (avec donc diminution de l’encombrement bronchique, de la toux, des nausées, vomissements, diarrhées…).

Des états d’euphorie et de bien-être ont été rapportés au cours de jeûnes complets prolongés.

Des études chez l’animal en situation de jeûne complet pendant 24 heures montrent une élévation du seuil nociceptif, une analgésie suggérant une sécrétion d’endorphines.

ACCOMPAGNEMENT DES PROCHES

Être clair sur les motivations

La décision d’arrêter toute nutrition et hydratation n’a pas pour finalité de faire mourir de déshydratation ou de dénutrition. Le soignant doit rappeler aux proches que la prise en charge médicale vise à accompagner un processus inéluctable et naturel de fin de vie, avec le souci constant du confort du patient.

Un geste symbolique

L’acte de donner à manger est considéré par beaucoup comme un acte d’amour, mais il revient au soignant d’expliquer que l’arrêt de l’alimentation ne signifie par l’arrêt des soins. L’infirmière peut aider les proches en leur montrant et en leur expliquant d’autres gestes qu’ils peuvent réaliser et qui seront autant de preuves de leur amour.

Rappeler la volonté du patient

Le soignant peut s’appuyer sur ce que le malade a pu exprimer dans des directives anticipées, à la personne de confiance, ou sur ce qu’il communique à travers son comportement ou sa coopération aux soins. En ajoutant que les proches ne doivent pas projeter leurs propres angoisses de personnes en bonne santé : dans la majorité des cas, la phase terminale d’une maladie grave s’accompagne d’une anorexie, d’une absence d’appétit et de sensation de faim, voire dégoût de la nourriture ou d’une sensation de satiété précoce, après quelques bouchées.

Les familles qui orientent beaucoup leur relation au malade sur la prise alimentaire, les repas, risquent de se trouver très déstabilisées lorsque surviennent des difficultés pour alimenter ou hydrater leur parent (voir Point de vue p. 53).

Maintenir les soins de supports

« Les soins de support restent les mêmes, la décision d’arrêter l’alimentation intervient dans des contextes avancés, très précaires, explique Anne-Marie Thévenet, infirmière libérale à Saint-Geniès-Bellevue (31). Le soignant veille à humidifier la bouche du patient qui ne boit plus oralement, et explique l’intérêt de ce soin aux proches qui peuvent l’effectuer. Une vigilance particulière est apportée aux points d’appui pour éviter la survenue d’escarres favorisée par la dénutrition. Le matériel pour assurer le confort est adapté jusqu’au bout. On ne sait pas combien de temps cela peut durer. » Parmi les soins de support, les soins de bouche revêtent une grande importance, surtout dans le cas où le patient ne boit plus.

LES SOINS DE BOUCHE

La toilette bucco-dentaire consiste à nettoyer la muqueuse buccale, les gencives, la langue, les lèvres, les dents et/ou les prothèses dentaires lorsque le patient ne peut pas le faire lui-même (voir tableau ci-contre). Elle peut être répétée quatre à six fois par jour. Le maintien d’une bouche saine facilite l’alimentation et la digestion, améliore la respiration, aide au confort, évite la douleur, prévient les infections et favorise la communication.

(1) “Hydratation/nutrition”, docteur Jean-Michel Riou, Association Pour les soins palliatifs, 12 janvier 2009.

(1) “Physiopathologie de l’arrêt de nutrition et d’hydratation”, professeur Denis Oriot, CHU de Poitiers, 9e Journée régionale de soins palliatifs en région Centre, octobre 2010.

(3) “Arrêt de la nutrition artificielle chez le patient en fin de vie”, Élise Piot, thèse de docteur en médecine, Faculté de médecine de Nancy, mai 2011.

Des limites à ne pas dépasser

Lors d’une prescription de perfusion sous-cutanée pour “désangoisser” la famille ou pour diminuer la culpabilité de l’équipe soignante, des limites s’imposent. Si des œdèmes, un encombrement ou une douleur au point de ponction apparaissent, la perfusion sera arrêtée. Si le malade arrache la perfusion, il n’est pas envisageable de l’attacher dans un contexte de fin de vie*.

* “Arrêt de la nutrition artificielle chez le patient en fin de vie”, Élise Piot, thèse de docteur en médecine, Faculté de médecine de Nancy, mai 2011, à consulter sur http://petitlien.fr/62kq.

Question de proche

Mon grand-père, en phase terminale, est en soins palliatifs. On va arrêter de l’alimenter et de l’hydrater : est-ce qu’il va mourir de faim ou de soif ?

Non. La mort est liée à la maladie arrivée en phase terminale. L’alimentation et l’hydratation n’influent que peu à ce stade sur la durée de vie, de quelques heures à quelques jours. En effet, dans la majorité des cas, la phase terminale d’une maladie grave s’accompagne d’une anorexie et d’une absence de sensation de soif.

* “Il va mourir de faim ?”, fiche pratique du Groupe Sfap/SFGG, “Soins palliatifs et gériatrie”, juin 2007, à consulter sur http://petitlien.fr/62kp

Point de vue…

« L’arrêt de l’alimentation provoque toujours un questionnement »

Anne-Marie Thévenet, infirmière libérale à Saint-Geniès-Bellevue (31)

« Chaque situation est différente et comporte ses propres difficultés. L’arrêt de la nutrition provoque toujours un questionnement. Il est assez bien accepté par les familles si on leur explique que ce n’est plus absolument nécessaire de nourrir la personne. Car il faut tenir compte du fait que nourrir leur parent est parfois le seul geste qui reste aux proches dans ces circonstances. Un accompagnement est donc nécessaire. En cas de difficulté, l’infirmière peut toujours se tourner vers le réseau qui a commencé à expliquer la situation à la famille. Il faut que toute l’équipe en charge du patient aille dans la même direction thérapeutique. »