L'infirmière Libérale Magazine n° 285 du 01/10/2012

 

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INITIATIVE→ Depuis plus d’un an, un centre d’appels propose de mettre en relation patients et infirmières libérales. Si ce numéro national surtaxé ne coûte rien aux professionnelles, il suscite néanmoins une polémique entre éthique et nécessité d’une coordination.

Les infirmières libérales se retrouvent régulièrement confrontées à la même difficulté, celle de répondre aux appels de nouveaux clients dans des délais restreints. Si bien qu’un patron de centre d’appels a flairé la bonne affaire. Interpellé par des groupements infirmiers, Fabrice Fix, gérant de Aaron Aalborg France, a ainsi lancé une nouvelle société nommée Direct Infirmier en mars 2011 (lire ci-contre). Il s’agit selon ce dernier de « défendre les intérêts des infirmiers libéraux ». « Notre but est bien de ramener toute la patientèle à domicile vers les infirmières libérales, explique-t-il. Et non pas vers les sociétés privées d’aide à domicile qui ne se gênent pas pour faire de la publicité. »

Son principe ? Proposer un numéro national unique, le 3223, suivi des mots « Direct Infirmier », permettant à tout patient sur le territoire français de trouver une libérale disponible pour se charger de ses soins.

Parmi les professionnelles, cette démarche soulève des réactions allant de l’expectative à la colère. « De quel droit cette personne, qui n’est même pas infirmière, se permet d’utiliser nos diplômes pour faire du business ? »

Concurrence déloyale ?

Pour Christine Bouchet-Lagrue, libérale à Mandelieu-La Napoule (06) et représentante de l’Organisation nationale des syndicats d’infirmiers libéraux (Onsil) dans les Alpes-Maritimes, le service lancé par Fabrice Fix relève plus de la concurrence déloyale. D’autant que Direct Infirmier recourt à la publicité, notamment en diffusant ses prospectus via les pharmacies. « Les infirmières ont le droit d’informer les pharmaciens, pas de déposer des cartes de visite, commente David Guillon, libéral à Nice (06) et membre du conseil de l’ordre infirmier en région Paca. Direct Infirmier ne fait pas de publicité pour des infirmières mais pour un service. » Et le président de l’ONI Didier Borniche de préciser : « On leur a rappelé dans un courrier un certain nombre de règles : interdiction de la pub, de la concurrence déloyale, du détournement de clientèle. » Ce à quoi son directeur juridique ajoute : « Si on a des plaintes plus précises de la part des infirmières, il est évident qu’on les instruira. »(1)

S’il semble légal, ce service suscite d’autres questionnements, à commencer par son efficacité. « Il s’appuie sur l’annuaire de France Télécom, s’étonne Philippe Bordieu. Mais, aujourd’hui, tout le monde n’y est pas inscrit… » Même constat pour David Guillon qui évoque le cas de Nice : « Selon l’Assurance maladie, nous sommes près de 800 sur cette commune. Or les pages jaunes n’en recensent que 400. » De quoi rappeler une expérience menée par l’Assurance maladie depuis plusieurs années, à l’aide d’un numéro de téléphone unique(2) : « L’un des membres du réseau Sidéral Santé avait appelé en se faisant passer pour un patient, se souvient Philippe Bordieu. Il avait donné l’adresse de la rue pile en face de son propre cabinet. Mais ce n’est pas vers lui que l’opératrice l’avait renvoyé… »

Efficacité prouvée ?

« Ils disent parvenir en dix minutes à contacter cinq à dix infirmières et faire la mise en relation. À croire que les infirmières qu’ils contactent sont derrière leur téléphone à attendre les appels, ironise Philippe Bordieu. Nous, à Sidéral(3), cela fait dix ans que nous y travaillons. Lorsque nous avons de la chance, nous pouvons trouver quelqu’un dans la journée… » Autre bémol : le coût du service. « C’est payant, déplore David Guillon. Nous faisons la même chose, à un niveau local, mais de façon gratuite. » Fabrice Fix reste néanmoins convaincu de l’intérêt de sa démarche. « Quant au prix que cela coûte, il reste inférieur à celui que les personnes doivent payer en contactant plusieurs infirmiers libéraux sans en trouver un. » Pourtant, selon le patron fondateur, son offre de service n’est pas encore rentable.

Aussi décriée soit-elle, l’initiative de Fabrice Fix a le mérite de pointer une lacune : « Il faut développer une coordination pour rapprocher l’usager de l’infirmier  », observe Philippe Bordieu.

(1) Le président de l’ONI s’est montré moins clément envers SOS infirmiers et Infirmières secours, « qui sont des organisations où les choses sont très hors la loi ».

(2) Numéro pour joindre l’Assurance maladie : 3646.

(3) Un réseau d’associations de professionnels de santé libéraux basés en Haute-Garonne.

3 questions à

Fabrice Fix, fondateur de Direct Infirmier

Comment est née votre société ?

Je viens du monde des centres d’appels et permanences téléphoniques. Courant 2010, des groupements d’infirmiers libéraux m’ont contacté. L’un était dans le Sud et l’autre dans le Nord. Ils souhaitaient que l’on gère la réception de leurs appels. C’était possible, mais cela posait un problème : ce n’était a priori pas viable économiquement. J’ai alors eu l’idée de créer Direct Infirmier, un numéro surtaxé qui concernerait tous les infirmiers libéraux inscrits dans l’annuaire.

Comment ce service fonctionne-t-il ?

Les patients composent le 3223 et prononcent les mots « Direct Infirmier ». Ils tombent sur une opératrice à laquelle ils expliquent leurs besoins. Nous les mettons ensuite en relation avec un infirmier libéral de leur secteur qui accepte le soin. Cela coûte en moyenne trois euros par appel pour les patients. Mais les infirmiers libéraux ne déboursent rien !

Quels infirmiers contactez-vous ?

Grâce à un petit logiciel, nous repérons la dizaine d’infirmiers basés autour de l’adresse du patient et nous les appelons en suivant l’ordre des annuaires qui est aléatoire.

EN CHIFFRES

→ 5 000 appels traités par Direct Infirmier depuis avril 2011

→ 0,34 €/min pour un appel au 3223

→ 10 minutes, c’est le temps moyen annoncé par Direct Infirmier pour mettre en relation un patient et un infirmier libéral disponible

→ 139 Idels en activité pour 100 000 habitants (selon l’Insee en juillet 2012)

Une réponse unique

Entre les Services de soins infirmiers à domicile (Ssiad), l’Hospitalisation à domicile (HAD) et les structures d’aide à domicile, la concurrence ne manque pas. « Il y a aussi toutes ces petites choses que l’on nous grignote chaque jour, renchérit Christine Bouchet-Lagrue, libérale à Mandelieu-La Napoule (06). Il faut qu’on se défende ! » Pas étonnant donc que cette dernière ait créé sur son secteur “Les infirmières libérales associées” (Lila). Forte d’une trentaine de membres, cette association tente de répondre de façon locale à la même problématique que Direct Infirmier : permettre aux patients de trouver plus facilement une infirmière libérale. Son moyen d’action ? Un téléphone portable qui tourne toutes les semaines sur l’ensemble des cabinets membres. Autres exemples : Sidéral Santé à Toulouse ou la coordination Argil à Nice.