L'infirmière Libérale Magazine n° 285 du 01/10/2012

 

MAYOTTE

Initiatives

Depuis l’obtention de son diplôme, Céline Le Flem n’a exercé qu’hors métropole. Elle est installée à Mayotte, petite île française de l’océan Indien, au large de Madagascar. Mais attention aux clichés : la vie sous les cocotiers mahorais n’est pas toujours une partie de plaisir !

Il fait encore nuit noire quand Céline Le ? Flem quitte sa maison de Mangajou, un petit village situé à l’ouest de la Grande-Terre. Le thermomètre indique un petit 17 °C ce matin : dans cette partie du globe, en juin, c’est “l’hiver”, et les alizés apportent cette relative fraîcheur. Direction la brousse. C’est ainsi que l’on nomme les zones rurales de Mayotte, petite île d’une superficie de 376 km2 proche de Madagascar. Sur le bord d’une route, quelques silhouettes se dirigent vers une mosquée, seul bâtiment éclairé. Le muezzin vient d’appeler à la première prière de la journée, “al fajr”. Un repère pour l’infirmière. « Nos patients se lèvent tôt pour prier. Puis ils prennent leur repas du matin. Pour les diabétiques, on se doit donc d’arriver assez tôt pour injecter l’insuline. »

Céline s’arrête devant un banga, maison traditionnelle, au toit en tôle. « Hodi ! [Il y a quelqu’un ?], lance-t-elle en shimaoré, la langue principale des mahorais, tout en frappant à la porte. Bonjour, je peux entrer » « Karibu ! [Bienvenue] », répond le vieil homme en ouvrant. Céline se déchausse avant de pénétrer dans l’unique pièce. La conversation démarre dans le dialecte local, en prenant des nouvelles de tout le monde avant de commencer les soins. « C’est indispensable de parler couramment le shimaoré pour travailler, explique Céline. Les gens se confient à nous, il est donc important de les comprendre. Et puis les personnes les plus âgées ne parlent pas du tout le français… » Elle a appris seule. D’abord au contact des familles parlant également français, puis avec des phrases-type, qui ont enrichi son vocabulaire au fil du temps.

Un besoin réel d’infirmiers

Céline vit à Mayotte depuis 2006. Après l’obtention de son diplôme en 2002, elle est partie travailler en Suisse avec son ami Sylvain, lui aussi infirmier, avant de rejoindre la Réunion, où elle a exercé pendant un an et demi aux urgences de l’hôpital de Saint-Denis.

Puis direction Mayotte. « Nous étions attirés par la dimension africaine de cette île, moins développée que la Réunion. » Avec pour seuls bagages leurs sacs à dos, ils n’ont pas tardé à faire des remplacements. « Accompagnés, évidemment, car nous ne connaissions ni les lieux, ni la langue ! » Sylvain, devenu son mari, ouvre un cabinet, et Céline prend un poste en PMI, pour assurer un fixe, car « nous n’avions aucune idée si cela allait fonctionner ». Un, deux, trois patients… et l’activité a pris son envol. Céline s’est donc associée au cabinet, quelques mois plus tard, en juillet 2007. « C’est encore aujourd’hui assez facile de s’installer, reconnaît la jeune femme. Il y a un réel besoin d’infirmiers ici. Pas encore de zonage, même si certains secteurs de Mayotte commencent à être saturés. »

Le diabète, première maladie

Le jour n’est pas levé qu’elle a déjà vu quatre ou cinq patients. Tous diabétiques ! « La routine. Jusqu’à 8 heures, ce ne sont que dextro et injections d’insuline. » Le diabète est la première maladie que l’on soigne à Mayotte. Une alimentation riche en féculents, du riz trois fois par jour, des bananes, du fruit à pain, des pâtisseries et, depuis quelques années, l’arrivée de boissons gazeuses ultra-sucrées… « De quoi faire fonctionner le pancréas à plein pot, reconnaît l’infirmière, et de voir des personnes devenir diabétiques et même insulino-dépendants très jeunes. » Les visites s’enchaînent, parfois dans un même village, mais, généralement, il faut rouler un peu entre deux patients. La nature est luxuriante, entre palmiers et bananiers. Parfois, un groupe de makis, les lémuriens locaux, jouent dangereusement sur le bas-côté.

La patiente suivante, aussi diabétique, sort son gros carton de médicaments : « Ils font tous comme cela, précise Céline, c’est leur boîte à pharmacie ! » L’infirmière travaille la plupart du temps sous la lumière blafarde d’un néon ou d’une ampoule basse consommation. Malgré le nombre de patients à voir, elle prend son temps. Elle explique, regarde le petit carnet où les données sont notées. « Certains savent se gérer seuls. On ne passe alors qu’une ou deux fois par semaine pour contrôler, pour réajuster ou pour prendre la tension. Mais nous sommes vigilants, car si nous ne passons plus du tout, cela peut vite déraper ! » Ces visites sont d’autant plus utiles que les médecins libéraux sont très peu nombreux à Mayotte, et beaucoup d’entre eux cherchent à partir actuellement.

9 heures. Petite pause au village. Dans une épicerie, Céline s’offre un café et un croissant, tout en prenant le temps d’échanger avec les hommes assis sous un petit kiosque. Si ce petit coin de France sous les tropiques peut faire rêver, il ne faut pas se tromper : Mayotte n’est pas un paradis et la vie n’y est pas facile. L’adaptation peut s’avérer compliquée : une culture africaine, la barrière de la langue, l’éloignement… mais aussi une situation sociale et économique difficile. « Mais c’est tout de même assez agréable comme environnement pour travailler », reconnaît tout de même l’infirmière.

Une infirmière “m’zoungou”

Retour sur les routes. L’activité bat son plein. Ici, un marché de légumes, là, une école avec ses enfants qui jouent dans la cour. Les femmes portent le traditionnel “salouva”. Certaines ont le visage recouvert de “m’zinzano”, masque de beauté à base de poudre de bois de santal. Parfois quelqu’un fait un signe à Céline : c’est qu’elle est connue dans ce coin, l’infirmière “m’zoungou” ! Ce surnom, pas péjoratif, est celui donné aux métropolitains. « Mes patients sont ravis d’être pris en charge par des infirmiers venus de métropole. Ils pensent être mieux soignés ! Il y a ceux qui ne veulent même pas qu’un infirmier mahorais pénètre dans leur maison, par peur d’être jugés sur leur mode de vie, sur leur alimentation… Ce qui est sûr, c’est que nous avons davantage d’éthique et de conscience professionnelle. » Céline n’est pas la dernière à conseiller ses patients, sur les bonnes habitudes, sur l’hygiène. Elle n’oublie pas non plus de leur expliquer le fonctionnement du système de santé. « Comme il n’y a ni feuille de soins, ni échange d’argent, beaucoup pensent que tout est gratuit ! Pour eux, la Sécurité sociale est une chose abstraite. Je leur fais comprendre que c’est la société, donc tout le monde, qui paye. Il m’est déjà arrivé de prévenir mes patients diabétiques que s’ils ne voulaient pas suivre mes recommandations, nous ne viendrions plus ! » Une fois les visites chez les personnes diabétiques terminées, les soins se diversifient : un pansement sur le pied d’un vieux monsieur, un soin sur une personne handicapée… « Kwézi ! [Bonjour] Jéjé ? [Ça va ?] », dit-elle en arrivant chez une très vieille dame pour des soins et la toilette. « À la différence de la métropole, ici, à Mayotte, il n’y a pas de maisons de retraite. Ce sont donc les infirmières libérales qui s’occupent des personnes âgées à leur domicile. Même si les réseaux d’auxiliaires de vie se sont mis en place », précise Céline. Une autre spécificité de Mayotte, les sans-papiers comoriens : ils seraient des milliers – 26 000 expulsions en 2011, cela donne une idée… « Nous en voyons évidemment peu dans nos tournées, explique-t-elle. Mais, forcément, on en rencontre, et cela m’arrive bien sûr d’en soigner à titre gratuit. » Une façon de leur éviter d’aller se faire soigner au dispensaire, avec le risque de subir un contrôle de la police, de se retrouver au centre de rétention administrative et de se faire expulser…

En préparation du remplacement

Avant de rentrer chez elle, l’infirmière s’arrête au cabinet. Un local obligatoire pour exercer, avec une plaque sur la porte, et les équipements exigés par la législation. « Mais très peu d’infirmiers exercent en cabinet, à part à Mamoudzou, la grande ville. » Il est 14 ? heures, le temps de souffler sur la terrasse de sa maison. En fin d’après-midi, il faudra repartir vers les patients diabétiques. Ce soir, elle aura terminé son cycle de trois longues journées de travail de douze heures chacune.

Après six ans passés ici, Céline et son mari ont d’autres projets. Dans quelques mois, ils reviendront en métropole, et plus précisément en Bretagne, région d’origine de Céline. « Nous avons envie de nous poser un peu, de construire une maison. Les événements de novembre 2011 ont laissé des traces. Des gens très investis – et je pense en faire partie – ont perdu leur motivation. » Céline fait allusion aux mouvements sociaux contre la vie chère : 43 jours de manifestations, parfois violentes, des barrages, et même des actes délibérés envers les métropolitains. « Mais je n’oublierai pas ces années passées ici. Je rentrerai en métropole riche d’une culture nouvelle, qui, j’en suis sûre, me servira dans mes pratiques. » Déjà, elle prévient ses patients qu’elle partira un jour. « Mais nous tenons à préparer notre remplacement. Nous voulons des infirmiers qui aient la même conception du soin, au plus près de la population. Avec l’envie de s’investir, d’apprendre la langue… » Pour le moment, Céline et sa famille veulent encore profiter de Mayotte, du lagon et des Mahorais. La Bretagne attendra encore un peu !

EN SAVOIR +

→ Pour plus d’informations sur la situation sanitaire de Mayotte, le site de l’ARS, agence de santé de l’océan Indien : www.ars.ocean-indien.sante.fr

→ Le projet PAPS, Plateforme d’appui aux professionnels de santé, propose des informations et des services aux professionnels de la santé qui seraient tentés de s’installer à Mayotte : www.ocean-indien.paps.sante.fr