L’assaut est lancé - L'Infirmière Libérale Magazine n° 285 du 01/10/2012 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 285 du 01/10/2012

 

Coordination

Dossier

Au chevet du patient, les intervenants sanitaires défilent. Parmi ces derniers, les services d’hospitalisation à domicile et prestataires de dispositifs médicaux figurent en bonne place. Des partenaires avec lesquels il faut composer pour le meilleur comme pour le pire…

Concurrents ou partenaires ? Avec leur maillage du territoire, leurs équipes pluridisciplinaires et leurs moyens de communication, les services d’hospitalisation à domi­cile (HAD) peuvent-ils éclipser les infirmières libérales ? La relation avec ces autres intervenants au chevet du patient oscille entre collaboration et rivalité. Les rapports se compliquent d’autant plus lorsqu’un tiers entre en jeu, en l’occurrence les prestataires de dispositifs médicaux qui, eux aussi, développent leurs propres réseaux…

REPRISE DES POLÉMIQUES

Avec la rentrée, le climat s’est crispé. Le conflit entre Idels et services d’HAD revient sur le devant de la scène. Au cœur du litige : l’avenant n° 3 de la convention nationale régissant les rapports entre Idels et Assurance maladie, et surtout les majorations tarifaires qu’il prévoit. Une partie de ces revalorisations reste, en effet, inappliquée dans bon nombre de services de soins infirmiers à domicile (Ssiad) et d’HAD. Si bien que la Fédération nationale des infirmiers (FNI) et le Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (Sniil) ont chacun lancé l’assaut en septembre. La première réclame un arbitrage ministériel, le second a entamé des discussions avec les organisations représentant les Ssiad et HAD. Lors de la rédaction de ces lignes, le débat semblait loin d’être tranché. Rien d’étonnant à cela : ces structures se disent incapables d’absorber des hausses tarifaires. En témoigne l’Union nationale de l’aide, des soins et des services aux domiciles (Una) qui, au nom d’un collectif d’une quinzaine d’associations nationales, a interpellé la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) au cours du mois de juillet. Dans un mail commun envoyé à leur autorité de tutelle, elle évoque une enveloppe budgétaire insuffisante pour « couvrir ces dépenses supplémentaires affectées à un poste déjà fréquemment déficitaire ». Dans un communiqué daté du 10 septembre 2012, la Fédération nationale des établissements d’hospitalisation à domicile (Fnehad) évoque, quant à elle, une « situation financière particulièrement tendue pour les établissements d’HAD, qui doivent faire face à des dépenses de plus en plus élevées pour des patients de plus en plus lourds, et ce, sans revalorisation de leurs tarifs depuis six ans »(1).

À cela s’ajoutent d’autres points de polémique, à commencer par la définition même des missions remplies par l’Idel au sein des Ssiad (2) et HAD. « Pour les majorations des actes uniques (MAU) et les indemnités kilométriques, l’augmentation doit être mise en œuvre, admet Line Lartigue-Doucouré, directrice santé et action sociale à l’Una. En revanche, pour la majoration de coordination infirmière (MCI), c’est plus problématique. Les fédérations de Ssiad ne savent pas quoi faire. Nous avons reçu un courrier de l’Assurance maladie expliquant qu’on ne peut pas rémunérer les Ssiad et les infirmières libérales pour un même acte, celui de la coordination. » Avis partagé par le Sniil. Dans un communiqué du 10 septembre, le syndicat considère également que « cette nouvelle majoration s’appuie sur une notion de “coordination”, qui n’a pas été clairement définie et qui comporte plusieurs volets (coordination des médecins, des équipes aides-soignantes, médico-sociale, d’appui logistique, de terrain) ». Plus catégorique, Philippe Tisserand, président de la FNI, estime pour sa part que « les libérales assurent depuis longtemps cette mission de coordination et de continuité des soins. Elles sont présentes quand l’HAD ferme ses portes le week-end et le soir. Elles font le relais auprès du médecin traitant, etc. ».

DÉFINIR LA COORDINATION

À savoir ce que recouvre la notion de “coordination”… C’est bien là que le bât blesse. En la matière, chacun semble tirer la couverture à soi, y compris les prestataires de dispositifs médicaux. Difficile de s’y retrouver. D’autant que le cercle des professionnels du soin à domicile ne cesse de grossir. Si l’on s’en réfère aux réponses que nous a fournis l’Assurance maladie, l’HAD doit intervenir dans des cas cliniques précis : soins ponctuels, notamment en cas de maladie non stabilisée et si besoin de soins techniques et complexes pour une période préalablement déterminée (exemple : chimiothérapie ou antibiothérapie) ; soins de réadaptation au domicile, notamment après la phase aiguë d’une maladie neurologique ou cardiaque, ou d’un traitement orthopédique ; soins palliatifs, de maintien et d’entretien pouvant aller jusqu’à la fin de vie, ou des soins continus, notamment pour des proches qui souffrent d’une maladie non stabilisée (cancer, maladie cardiaque ou pulmonaire). De même, d’après l’Assurance maladie, la distinction entre HAD et prestataires serait clairement identifiable. « Dans le cas de l’HAD, le service apporté au patient est un ensemble de soins avec une équipe et une coordination, explique la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (Cnamts). Dans le cas relatif aux dispositifs médicaux, il s’agit de matériel. » N’en demeure pas moins que les limites sont vite franchies.

À QUI LA MISSION DE COORDINATION ?

Les frontières semblent difficiles à discerner, du fait que chacun revendique le rôle de coordination. En tête, l’HAD s’estime spécialiste dans ce domaine. Encore récemment, dans un communiqué daté du 13 septembre, la Fnehad met en effet en avant « l’expertise reconnue des établissements d’HAD en matière de coordination des soins ». Dans son manuel révisé de 2011, la Haute Autorité de santé confirme d’ailleurs que « ces établissements ont une mission essentielle de coordination et d’anticipation pour garantir la réalisation du projet de soin personnalisé du patient ».

Les Idels ne sont pas en reste et ne manquent pas une occasion de rappeler leur savoir-faire à ce niveau. D’où la proposition de la FNI en mai 2011 concernant la prise en charge de la dépendance en vue de créer la notion d’infirmière référente. Autres concurrents en lice : les prestataires. Ces derniers s’y mettent également si l’on en juge par l’exemple de Locapharm, une entreprise qui déclare accompagner 60 000 patients au quotidien à domicile, dont environ 1 000 sont en HAD. « La valeur ajoutée de l’HAD est de prendre en charge le patient de manière très globale. Elle se différencie surtout par la facilité de coordination, la rapidité d’intervention et son système de forfait. Ce qui permet au patient d’avoir un coût zéro », reconnaît Romain Watremez, directeur des ventes chez Locapharm. Mais ce dernier nuance son propos : « Aujourd’hui, en maintien et en médicalisation à domicile (hors HAD), une structure comme Locapharm est capable d’apporter une prestation équivalente à l’HAD, à la différence près qu’une HAD a systématiquement un médecin dans son équipe pluridisciplinaire, peut intégrer le personnel soignant (Locapharm ne peut que recourir aux intervenants de ville) et est assimilée à un hôpital depuis juillet 2009 (loi HPST). »

CONCURRENCE RELATIVE

La guerre serait-elle déclarée ? Chacun avance ses pions. La Fnehad a ainsi rendu plusieurs visites à ses ministres de tutelle durant le mois de septembre. À ces occasions, elle a proposé à la ministre de la Santé de conclure un « contrat pour l’avenir du système de soins » tout en pointant les 100 000 malades que ses établissements accompagnent chaque année. De leur côté, les prestataires savent déjà comment parer cette offensive : ils peuvent dépasser les limites dans lesquelles sont cantonnés les services d’HAD. « La valeur ajouté de Locapharm sur l’HAD est le fait que nous puissions intervenir sans discernement sur tout type de patient, même ceux dont le seul besoin est un besoin relevant de la dépendance et non du soin », note Romain Watremez. À croire que le prestataire n’est peut-être pas un rival de l’infirmière libérale. Du moins si l’on s’en réfère au Livre blanc de la FNI intitulé Horizon 2030, vision pour les soins infirmiers ambulatoires. En annexe, il reprend un extrait de l’énoncé de position FNI/Synalam (un syndicat représentatif des prestataires de santé à domicile, PSAD) rendue en mars 2012 sur la perfusion à domicile. Les deux organisations estiment que le modèle libéral est « menacé par la méconnaissance de la coordination assurée par le couple libéraux/ PSAD, par le tropisme naturel de l’administration à flécher des financements en direction de structures identifiées… ». Toujours selon la FNI, la collaboration avec les PSAD « repose sur une complémentarité dont le périmètre est bien défini ». Pas sûr pour autant que ce soit vrai partout, ni même que les patients en jugent ainsi… En témoigne Pierre Casadevall, de la Fédération française des associations et amicales de malades, insuffisants ou handicapés respiratoires (FFAAIR), qui observe « de plus en plus de prestataires [se mettre] à fournir des services de type HAD ».

La compétition semble opérer dans les deux sens, comme l’indique Marie-Laure Loffredo, directrice de l’HAD de l’Assistance publique des hôpitaux de Paris : « Il est vrai que certaines HAD se retrouvent en concurrence avec des prestataires », admet la responsable. Mais cette dernière relativise : « Il y a assez de marché potentiel pour nous éviter de faire autre chose que de l’HAD. D’autant que si nous dépassons notre mission, nous risquons d’être déclassés ou de voir nos séjours non payés par l’Assurance maladie. » À voir si tous les protagonistes prendront autant de recul. Quoi qu’il en soit, en attendant que le ministère tranche le conflit en matière de tarifications, chacun devra mettre de l’eau dans sa perfusion.

Pour l’heure, Idels et HAD sont condamnés à travailler en parallèle, voire ensemble. Quant aux prestataires, ils semblent relégués au rôle d’observateur, sans pour autant rester inactifs…

(1) Notre rédaction attend toutefois une réponse de la Fnehad sur le litige entre Idels et HAD relatif aux revalorisations tarifaires.

(2) Notre rédaction a choisi de ne pas approfondir dans le présent dossier les relations entre Idels et Ssiad car ce sujet sera ultérieurement traité à part entière.

(3) L’ONI ne souhaite pas s’exprimer sur ce sujet, considérant que cela relève des compétences des syndicats.

EN CHIFFRES

→ 771,2 millions d’euros, c’est le coût de l’HAD pour l’Assurance maladie en 2011.

→ 156 millions d’euros versés par l’Assurance maladie concernent les produits et prestations de la perfusion à domicile en 2011 (régime général hors SML).

→ 5 euros pour la majoration de coordination infirmière (MCI et 1,35 euro pour la majoration des actes uniques : ce sont deux revalorisations prévues par l’avenant n° 3.

→ 180 euros/jour, c’est le coût forfaitaire annoncé par l’HAD de l’AP-HP.

→ 10 à 40 % d’économie seraient réalisés en ambulatoire versus la prise en charge en HAD, et de 30 à 60 % d’économie versus l’hospita­li­sation complète (selon le Livre blanc de la FNI).

Témoignage

« La cheville ouvrière »

Pierre Casadevall, trésorier de la Fédération française des associations et amicales de malades, insuffisants ou handicapés respiratoires (FFAAIR)

« L’infirmière est la cheville ouvrière de l’ensemble. C’est avec elle que le malade noue la relation la plus importante. C’est elle qui fait remonter les informations de toutes sortes. Les HAD se limitent à des périmètres assez restreints autour des hôpitaux. Dès que l’on habite un peu trop loin, ce sont les infirmières libérales qui prennent le relais. Cela dit, il y a de plus en plus de prestataires qui se mettent à fournir des services de type HAD. Ce glissement nous inquiète énormément. Avec la politique de l’Assurance maladie axée sur la rentabilité et les économies, ces prestataires passent mais restent de moins en moins longtemps. Une visite qui devrait durer une heure ne dure plus que 40 minutes. Résultat : ce sont les familles qui en pâtissent. De plus, comme ils ont peu de temps, ils ont tendance à oublier la part humaine. Ils posent des machines que le malade va devoir garder toute sa vie sans vraiment prendre le soin d’expliquer ce que cela va impliquer… Ils n’ont pas le temps de s’en occuper. »

Témoignage

« Mieux répartir le travail »

Geneviève Bridier, Idel à Villejuif (94) et membre du comité de rédaction de L’Infirmière libérale magazine

« En général, c’est la coordinatrice de l’HAD de notre secteur qui nous appelle. Et lorsque nous avons un patient qui nécessite une prise en charge que nous ne pouvons pas assurer, nous appelons l’HAD. Pour les tarifs, nous appliquons ceux de la convention. Nous avons donc répercuté les récentes augmentations. Quant à la charge de travail, elle est mieux répartie aujourd’hui entre HAD et infirmière libérale. Concernant les prestataires, la relation est différente. Il peut arriver qu’ils nous contactent. Mais ce n’est pas la voie normale, car cela pourrait être considéré par des infirmières comme du détournement de clientèle. Pour ce qui relève de la gestion des stocks de matériels médicaux, nous nous en chargeons. Nous appelons le prestataire s’il faut réapprovisionner. En HAD, nous n’avons aucune vue sur le choix du matériel. En principe, les commandes devraient être passées en amont, par la cadre de service durant l’hospitalisation. Mais, par manque de temps, elle se décharge souvent sur le prestataire. »

Interview
Brigitte Leccia, infirmière libérale à Bandol (83)

« Depuis que je suis en libéral, je n’arrête pas de me former »

Quel rapport entretenez-vous avec le monde hospitalier ?

J’entends souvent un discours peu flatteur sur les infirmières libérales. On nous accuse de ne pas être à la hauteur professionnellement. Il arrive parfois que certains médecins préfèrent recourir à l’HAD, pensant que cela présente une meilleure garantie de qualité de soin. Pourtant, cela ne veut rien dire ! Pour preuve : depuis que je suis en libéral, je n’arrête pas de me former, alors qu’à l’hôpital, je n’en avais pas le temps.

Les tarifs appliqués lorsque vous travaillez avec un service d’HAD suscitent-ils polémique ?

Avec ma nouvelle collaboratrice, nous avons eu une mésaventure récemment. L’HAD avec lequel elle avait signé une convention n’a pas appliqué les tarifs négociés au niveau national. Ils ont profité de son manque d’information… Pour ma part, d’habitude, je n’ai pas de problème. Il arrive que l’HAD fixe un montant forfaitaire à ne pas dépasser. Je dois donc facturer mes soins en fonction de cette grille, mais elle est suffisamment large.

Témoignage

« La confusion entre HAD et prestataires »

Romain Watremez, directeur des ventes chez Locapharm

« Du point de vue du patient, il y a une grosse confusion entre HAD et prestataires. Le patient n’identifie pas bien la différence entre un régime de ville classique en LPP (liste des produits et prestations remboursées) et un système de Tarification à l’activité (T2A) de ville. En 2005, avec la T2A, l’hôpital a eu besoin de rationnaliser la durée moyenne de séjour et sortir le plus vite possible les patients. La difficulté étant la coordination du retour à domicile et des modèles de prise en charge de la dépendance. Beaucoup de structures HAD sont alors apparues. Elles sont devenues des structures “courtiers” ayant vocation à acheter le soin le moins cher possible à divers intervenants. Allant jusqu’à déstabiliser les patients, en imposant souvent les prestataires à domicile avec le meilleur rapport qualité/prix. Depuis peu, les HAD se repositionnent, recrutent un maximum de personnel soignant et investissent dans leurs propres matériels. Et, du coup, ils deviennent des concurrents des infirmiers libéraux, voire des structures prestataires comme les nôtres. »

Analyse
TARIFICATION EN HAD

La facturation expliquée par l’Assurance maladie

Pour le moins complexe, la tarification en HAD entre dans le cadre du groupe homogène de prise en charge (GHPC). Appliqué à la journée, ce « modèle utilise les échelles de pondération associées au mode de prise en charge principal, au mode de prise en charge associé et à l’indice d’état général, qui pondèrent un tarif de base. Ainsi, une combinaison de ces échelles de prises en charge permet d’obtenir un des 31 groupes homogènes de tarif (GHT) », explique l’Assurance maladie.

Concernant la prise en charge des prestataires de service à domicile pour la perfusion, les dispositifs médiaux pour perfusion à domicile et les prestations associées réalisées par les prestataires de service sont inscrits sur la liste des produits et prestations remboursables (LPPR). Le remboursement des produits et prestations inscrits au titre I intervient sur la base d’un tarif de responsabilité défini pour chacune des lignes de la nomenclature (LPPR). Plusieurs modalités de prise en charge sont inscrites, selon qu’il s’agisse d’une prestation, d’un produit, d’une location de dispositifs.

Témoignage

« Réduire la durée du séjour »

Marie-Laure Loffredo, directrice de l’HAD de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP)

« Nous sommes, après Santé Service qui compte 1 200 places, la deuxième HAD de France avec 820 lits autorisés par l’Agence régionale de santé (ARS). Nos prescripteurs naturels sont à 97 % issus de l’AP de Paris. Notre principale mission vise à réduire la durée de séjour. Pour faire appel à nous, le prescripteur utilise l’outil “trajectoire” fourni par l’ARS qui permet de savoir à tout instant s’il reste des places d’HAD ou de soins de suite et de réadaptation. Avant d’accepter un patient, on vérifie s’il répond aux critères de l’HAD. Il doit s’agir d’un soin complexe et coordonné à domicile. Notre ambition serait d’intégrer l’HAD au parcours d’hospitalisation des patients qui peuvent en bénéficier (…). Une fois à domicile, lors de la première visite de l’infirmière de soin, on remet le formulaire intitulé “Accord pour prise en charge en HAD”. Ce document détermine le projet personnalisé de soin. En revanche, il ne précise pas quels prestataires interviendront. Les prestataires avec lesquels nous travaillons sont choisis suite à des procédures de marchés publics. »