L'infirmière Libérale Magazine n° 285 du 01/10/2012

 

Échappées

COMÉDIE CRUELLE

Un peintre à l’abri du besoin se retrouve paralysé par une attaque cérébrale. Sa vie, faite de liberté, d’expositions et de rencontres (amoureuses…) est brisée nette. Juste avant l’accident, une énième dispute avec son épouse. Le peintre l’accuse alors de tous les maux : c’est elle qui l’a fait chuter aussi bas. On découvre qu’avec l’aide d’un ami, reclu dans son atelier, il s’est fixé pour mission d’écrire en secret une analyse de son couple, pour tenter de trouver le courage de se libérer de l’emprise de l’épouse castrastrice. Mais sa femme trouve le manuscrit dans un petit coffre et tachera, en moins de pages, d’offrir sa vision des faits. Le dernier roman de Tahar Ben Jelloun nous livre un Maroc moderne par petites touches, une société où le mariage est plus une institution qu’un droit au bonheur.

Tahar Ben Jelloun, Le Bonheur conjugal. Gallimard, 2012. 360 pages, 21 euros.

PASSERELLES

Écrit il y a vingt ans, en Utah, ce livre nous parvient enfin en VF. Superbe déclaration d’amour au grand lac salé et à son écosystème en péril, vibrant hommage de l’auteur pour sa mère et les huit femmes de sa famille, terrassées par un cancer… Ce texte, rédigé par une naturaliste et activiste engagée, diffuse une tristesse lumineuse. Nous sommes en territoire Mormon, et, sans prosélytisme, l’auteur nous montre une autre façon de concevoir la fin de vie, privilégiant le dernier instant dans l’accompagnement familial. Il pointe aussi un doigt accusateur sur les essais nucléaires pratiqués de 1950 à 1980 dans le Nevada tout proche, multipliant les cancers dans la population. On se surprend à savourer chaque page de ce journal d’ornithologue, ce roman hybride, ce mélange d’espèces, de vie et de maladie.

Terry Tempest Williams, Refuge. Gallmeister, 2012. 344 pages, 24 euros.

ÉNIGMATIQUE

Pour cet autre roman de la rentrée littéraire, c’est une flûtiste talentueuse qui interrompt brutalement sa carrière, paralysée par le trac. Un psychiatre croisé dans une soirée met un nom sur son mal étrange : la mathématopathie aiguë… Alors Anna fera tout pour mettre à bat la tyrannie des chiffres dans notre société déshumanisée. Et son projet prendra une ampleur folle, jusqu’à trouver une raisonnance dans toute la société, au-delà de la musique, au-delà des murs de l’hôpital psy… Un projet pas si fou en fait, mais impossible de vous en dire plus. Un roman savoureux et un auteur à découvrir.

Olivier Dutaillis, Le jour où les chiffres ont disparu. Albin Michel, 2012. 230 pages, 18 euros.

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