Cahier de formation
Savoir faire
Depuis plusieurs jours, monsieur R., en phase palliative symptomatique d’un cancer du poumon, souffre d’accès de dyspnée sévères et répétés, malgré un traitement adapté (benzodiazépine, morphiniques). Ces épisodes de dyspnée sévères entraînent un épuisement psychologique et physique qu’il ne supporte plus. Il est très angoissé. Le médecin lui a proposé d’instaurer une sédation intermittente pour le soulager et pour voir l’effet que la sédation aura sur ses symptômes. La famille s’inquiète et vous demande si leur proche se réveillera.
Rassurez-la sur le fait que la sédation est contrôlée et réversible. En dormant, monsieur R. récupère tant sur le plan musculaire qu’au niveau de son anxiété. Toutefois, une aggravation brutale de son état peut survenir et provoquer le décès qui ne sera pas dû à la sédation.
En 2010, un groupe d’experts a défini la sédation comme la recherche par des moyens médicamenteux d’une diminution de la vigilance pouvant aller jusqu’à la perte de conscience. La sédation peut être appliquée de façon intermittente, transitoire ou continue. Son but est de diminuer ou de faire disparaître la perception d’une situation vécue comme insupportable par le patient, alors que tous les moyens disponibles et adaptés à cette situation ont pu lui être proposés et/ou mis en œuvre sans permettre d’obtenir le soulagement escompté
Quel que soit le lieu d’exercice, l’infirmière applique la prescription anticipée de sédation (protocole de soin personnalisé) :
→ dans les situations à risque vital immédiat, elle applique la prescription et appelle ensuite le médecin qui est tenu de se déplacer ;
→ dans les autres situations, elle appelle le médecin qui vérifie l’indication avec elle avant d’appliquer la prescription de sédation.
À domicile, comme dans toute autre structure, seul un infirmier ou un médecin peut réaliser l’induction, et les réévaluations régulières
La pratique de la sédation contrôlée pour des patients est envisagée sous réserve que la finalité de la décision est principalement le soulagement du patient et pas celui de l’équipe soignante ou de l’entourage
La sédation s’adresse à des patients en phase avancée ou terminale, au moment où la proximité de la mort rend le traitement symptomatique prioritaire. Dans d’autres cas, la sédation est décidée en présence de symptômes réfractaires. La question de la sédation se pose dans deux autres types de situations : lors d’une décision de limiter ou d’arrêter un traitement susceptible de maintenir une personne en vie ou lorsqu’une souffrance est jugée réfractaire.
Les situations qui peuvent se compliquer d’un risque vital immédiat sont les hémorragies cataclysmiques de la sphère ORL, pulmonaire ou digestive et les détresses respiratoires asphyxiques qui engendrent une sensation de mort imminente par étouffement avec réaction de panique. « Dans ces situations, la sédation a pour but d’endormir le malade jusqu’à un coma profond pour qu’il ne perçoive pas la pénibilité de la situation », précise le docteur Véronique Blanchet de l’Équipe mobile douleur soins palliatifs de l’hôpital Saint-Antoine à Paris.
→ Soit le décès est lié à l’événement (asphyxie, hémorragie cataclysmique);
→ soit la reprise de conscience, après amélioration spontanée de la symptomatologie, ne nécessite pas la poursuite d’une sédation continue ;
→ soit les symptômes non contrôlés impliquent le renouvellement de l’injection ou la mise en œuvre d’une sédation continue.
En phase terminale, la sédation est un geste d’urgence qui peut précipiter le décès. « C’est souvent le cas en phase terminale. Dans ces situations extrêmement précaires, le décès survient le plus souvent assez rapidement. Cela soulève beaucoup de questions éthiques, car le soulagement du patient s’accompagne du risque de provoquer le décès », explique Véronique Blanchet. Dans les cas où le patient se réveille, il se sent souvent mieux. « C’est le cas lors de dyspnée importante. En dormant, le patient récupère tant sur le plan musculaire qu’au niveau de l’anxiété. Néanmoins, la cause médicale reste présente et le symptôme dyspnéique revient. »
Les symptômes réfractaires sont des symptômes dont la perception est insupportable et qui ne sont pas soulagés par les traitements disponibles sans compromettre la conscience du patient. « Dans ce cas, tant qu’à faire dormir le patient, il faut faire une sédation conforme aux bonnes pratiques », remarque Véronique Blanchet. Les symptômes réfractaires les plus souvent cités dans la littérature sont la confusion mentale, l’agitation, la dyspnée, certaines douleurs, les nausées et vomissements. Toutefois, ce sont le caractère réfractaire ainsi que la pénibilité du symptôme, évalués par un spécialiste des soins palliatifs ou de la douleur, qui justifient la sédation. Il est donc impossible d’établir une liste exhaustive de symptômes.
La sédation vise à soulager une souffrance intolérable par une réduction de l’état de conscience du patient.
Le midazolam est une benzodiazépine recommandée dans les cas de sédation pour détresse en phase terminale. C’est un hypnotique et sédatif, à action rapide, qui dure de 20 à 60 minutes, avec un effet sédatif dose-dépendant selon la posologie de 0,05 à 0,15 mg/kg. Il est aussi indiqué dans la sédation vigile, avant et pendant les procédures à visée diagnostique ou thérapeutique, chez l’enfant et l’adulte. Réservé à l’usage hospitalier, le midazolam est utilisable au domicile par le biais d’un service d’HAD ou d’une rétrocession par une pharmacie hospitalière. La seule spécialité accessible en pharmacie de ville est le Versed présenté en ampoules de 2 mg/2 ml pas adaptées à une sédation nécessitant 20 à 40 mg par jour.
Les doses sont variables et doivent toujours faire l’objet d’une adaptation individuelle. Le midazolam est un agent sédatif puissant qui nécessite d’être administré lentement et en appliquant la méthode de titration. La titration permet d’obtenir le niveau de sédation recherché en fonction du besoin clinique, de l’état physique, de l’âge et des médicaments associés. Pour la titration, le midazolam est préparé par une dilution dans du sérum physiologique à une concentration de 1 mg/ml. La titration débute par une injection de 1 mg toutes les 2 à 3 minutes, toutes les 5 à 6 minutes chez le sujet très âgé ou fragilisé, jusqu’à l’obtention d’un score de 4 sur l’échelle de Rudkin (voir tableau ci-dessous).
La profondeur de la sédation est évaluée toutes les 15 minutes pendant la première heure, puis au minimum 2 fois par jour. La dose totale qui a été nécessaire pour induire la sédation est notée dans le dossier du patient. Une préparation anticipée de l’injection (conservée jusqu’à 30 jours) peut être envisagée afin de permettre une intervention rapide.
Le maintien d’une sédation continue se fait en injectant une dose horaire en perfusion continue. La dose est égale à 50 % de la dose nécessaire pour obtenir un score de 4 sur l’échelle de Rudkin. Le bien-fondé d’une sédation prolongée au cours du temps doit être régulièrement questionné.
En cas d’inefficacité du midazolam, il est recommandé de ne pas utiliser une autre benzodiazépine. La présence d’un anesthésiste réanimateur est nécessaire pour utiliser des médicaments relevant de sa spécialité : propofol, barbituriques, gamma-OH. Ils ne sont donc pas utilisés à domicile, le malade doit être hospitalisé.
L’assentiment de l’entourage est indispensable pour mettre en œuvre la sédation à domicile.
Pendant toute la durée de la sédation, la surveillance clinique, les soins de confort (nursing, soins de bouche, etc.) sont maintenus. L’accompagnement de la personne malade et des proches doit être poursuivi, renforcé. Le patient sédaté doit bénéficier d’une présence continue par les proches, les bénévoles et les soignants.
(1) “Sédation en médecine palliative : recommandations chez l’adulte et spécificités au domicile et en gériatrie””, Véronique Blanchet, Marcel-Louis Viallard, Régis Aubry, 2010. Médecine palliative – Soins de support – Accompagnement – Éthique. À consulter sur www.sfap.org.
(2) “Soins palliatifs : spécificité d’utilisation des médicaments courants hors antalgiques”, Recommandations de l’Afssaps, octobre 2002.
→ En médecine, le terme « sédation » désigne tout autant le soulagement de la douleur (analgésie), que l’anxiété (anxiolyse) ou l’obtention d’un meilleur sommeil (grâce aux somnifères).
→ Dans la pratique de la médecine palliative, le terme de “sédation” désigne également une autre pratique, qui vise à diminuer la perception d’une situation de détresse perçue comme insupportable par le malade.
→ Le personnel référent est compétent en soins palliatifs, prévenu et joignable.
→ Disponibilité du médicament ou accessibilité d’une pharmacie hospitalière autorisée à la rétrocession de médicaments.
→ Disponibilité du médecin pour faire des visites régulières.
→ Possibilité d’un suivi infirmier régulier.
→ Possibilité de contacter un médecin ou un infirmier à tout moment.
→ Assentiment de l’entourage (proches, auxiliaires de vie…) et une présence continue pour que la sédation ait lieu au domicile. Si ces conditions ne sont pas remplies, un transfert en milieu hospitalier adapté doit être envisagé.
* ”Sédation pour détresse en phase terminale et Sédation pour détresse en phase terminale et dans des situations spécifiques et complexes : recommandations chez l’adulte et spécificités au domicile et en gériatrie”, Recommandations de bonne pratique, Sfap.
Nathalie Pettoello, infirmière libérale à Quevauvillers (80)
« Infirmière libérale depuis plus de vingt ans, je ne me se sentais pas armée pour affronter les situations “lourdes”’ de fin de vie, à une époque où les soins palliatifs étaient peu répandus. Les médecins ne renvoyaient pas systématiquement les malades vers l’hôpital et on rencontrait des difficultés à domicile. Des formations courtes sont proposées par les réseaux de santé et d’autres organismes [voir la partie Savoir plus p. 56]. Elles sont ciblées sur des aspects particuliers comme la bonne utilisation des morphiniques, par exemple. Elles permettent aussi de resituer les priorités en soins palliatifs. Qu’est-ce qu’on privilégie ? Faut-il refaire un pansement tous les jours ? Ne vaut-il pas mieux laisser souffler le patient entre la toilette et la réfection d’un pansement ? Les diplômes universitaires apportent une formation complète pour ce type de prise en charge, y compris pour l’accompagnement des familles. »
Géraldine Malka, infirmière libérale à Plaisance-du-Touch (31)
« Dans le cas d’une sédation, on travaille main dans la main avec l’équipe du réseau de soins palliatifs. L’accompagnement est renforcé. Certains patients nous reconnaissent par le son de notre voix. Ils nous connaissent, nous appellent par nos prénoms, alors que les équipes d’HAD peuvent tourner. Il n’est pas rare d’être appelé par un parent qui veut s’assurer que l’infirmière d’HAD pourra prendre le relais des soins que nous avons mis en place. Dans ce contexte, le toucher est aussi très important. Il arrive que le patient nous réponde d’une pression de la main alors qu’on le croyait complètement inconscient. »