L'infirmière Libérale Magazine n° 287 du 01/12/2012

 

Prescription infirmière

Dossier

Depuis 2007, les infirmiers ont le droit de prescrire des dispositifs médicaux. Après des débuts hésitants, cette pratique s’est imposée dans le quotidien de nombreux professionnels. Le contenu de ce texte, légèrement modifié en mars 2012, est encore loin d’être clos.

On y était habitué : depuis toujours, les infirmiers libéraux géraient seuls le matériel de soins au domicile du patient, établissant consciencieusement des listes que les médecins, en confiance, recopiaient lors de leurs visites. C’est bien pour simplifier cette gestion du matériel de soins que l’idée de “prescription infirmière” a vu le jour. Elle apparaîtra dans ces termes pour la première fois dans le rapport Brocas(1) en 1998 mais restera sans suite. En 2002, les kinésithérapeutes devanceront les infirmiers en obtenant du gouvernement le droit de prescrire le matériel nécessaire pour leurs soins. Il faudra attendre décembre 2006 pour que les infirmiers les rejoignent (article 51 de la loi 2006-1640 du 21 décembre 2006).

DÉBUTS INDÉCIS

Cette loi de 2006 énonce qu’un arrêté fixera la liste des produits que les infirmiers pourront prescrire seuls. Un âpre débat s’amorce alors entre l’Ordre des médecins, l’Assurance maladie et les syndicats infirmiers pour tenter d’en délimiter le contenu. La position des partenaires en présence se révèle particulièrement tranchée : les médecins n’acceptent la prescription infirmière que pour des dispositifs médicaux (DM) et refusent de déléguer la prescription de tout médicament. Or la définition du “médicament” regroupe aussi bien les antalgiques et les antidiabétiques oraux que tous les antiseptiques, le sérum physiologique et des topiques comme la crème Emla ou Dexeryl, produits pourtant quotidiennement entre les mains des infirmiers. L’arrêté final, publié le 13 avril 2007, sera ainsi le reflet exact de cette philosophie et les infirmières ne seront autorisées qu’à prescrire des DM.

Les infirmières libérales s’approprient ce droit mais, rapidement, un nouveau problème se pose : la consommation de sets de pansements en secteur de ville se met à grossir au-delà de toute prévision. Le flou entourant la formulation des prescriptions, et surtout le contenu fluctuant des sets d’un fabricant à l’autre (ce contenu allant de la simple paire de pinces avec quelques compresses au set complet incluant le petit matériel et le pansement actif) occasionnaient en effet un surcoût important (le prix des boîtiers de cinq sets allant d’une trentaine d’euros à plus d’une centaine). Ce sont alors les sets qui sont montrés du doigt et la question de leur déremboursement qui s’ouvre. S’en suivra un véritable bras de fer entre l’Assurance maladie – motivée par une plus stricte maîtrise des coûts – et les syndicats professionnels d’Idels privilégiant la qualité d’asepsie complète des sets, surtout dans un contexte où les nouveaux agents infectieux protéiniques (prions)(2) ont rendu caduques les boîtes en métal réutilisables et les stérilisateurs que les infirmiers utilisaient jusque-là.

Ce conflit touchera à sa fin avec les textes de l’arrêté du 28 octobre 2011(3) qui fixe le contenu minimal de sets pour plaies post-opératoires (les sets les plus simples) puis celui du 20 décembre 2011(4) qui fait de même pour les sets pour plaies chroniques (sets plus complets avec stylets et sérum physiologique). Les sets sont enfin inscrits à la LPP comme un dispositif médical (DM) à part entière.

Enfin, une refonte du texte initial sur les prescriptions infirmières, en date du 30 mars 2012, abroge le précédent et propose une liste modifiée des DM (mais toujours pas de médicament) pouvant être prescrits les infirmières. Ce texte introduit officiellement les sets dans la liste des DM que peuvent prescrire les infirmières. Ultime rebondissement, les coûts de fabrication des sets pour plaies chroniques sont considérés par les laboratoires comme supérieurs aux tarifs de remboursement fixés, ce qui leur retirerait, à en croire les laboratoires, tout intérêt commercial(5).

Au jour où nous mettons sous presse, bien que les infirmières puissent enfin prescrire, ces sets (bien utiles pour les plaies chroniques, notamment dans la phase de détersion) ne sont donc… pas disponibles dans le commerce.

UN TEXTE EN TROIS TEMPS

Même s’il est assez court, le texte de l’arrêt du 30 mars 2012(6) vaut la peine d’être étudié attentivement, car il resitue – sans trop changer par rapport à la précédente version – la prescription infirmière sous trois catégories distinctes.

D’abord, rangé sous l’appellation « matériel que l’infirmier peut prescrire seul, dans le cadre d’une prescription médicale », on trouve tout le matériel pour les pansements simples (compresses, sparadrap et pansements secondaires), y compris les sets à pansements, les cerceaux de lit, le matériel pour l’incontinence urinaire et fécale, les stomies puis le matériel à perfusion. Pour ce matériellà, dans le cadre d’une prescription médicale initiale, les infirmiers peuvent prescrire exactement ce dont ils ont besoin pour les soins.

En deuxième catégorie, le « matériel à prescrire après information du médecin ». On y trouve un matelas et des coussins anti-escarres, les pansements actifs (hydrocolloïdes, hydrocellulaires, etc.) et les sondes de nutrition entérale. Pour ce type de matériel, avant de prescrire, les infirmiers doivent donc “informer” le médecin à l’origine de la prescription initiale. La notion d’information du médecin référent reste toutefois encore un peu floue et suscite des débats quant aux moyens de sa mise en application (cf. la rubrique Votre cabinet de L’ILM n°284 et n°286).

Et enfin, le « renouvellement du matériel à l’identique », qui concerne les bas de compression mais aussi le matériel nécessaire aux diabétiques, pour lequel l’autonomie des infirmiers se réduit à reproduire exactement la prescription initiale du médecin… en attendant la prochaine visite du médecin et son œil d’expert.

Après des débuts hésitants, la prescription est un geste apprécié des Idels, constamment en progression, ce que montrent les résultats de notre étude ILM/Celtipharm (p. 27).

CINQ ANS APRÈS, UN PREMIER BILAN

D’après le croisement de plusieurs données, réalisé par nos soins, chaque infirmière libérale prescrirait en moyenne cinq fois par an, ce qui représenterait une somme globale de près de 60 millions d’euros annuels. 88 % de cette somme sont utilisés pour du matériel de pansements puis viennent ensuite les produits pour l’hygiène (8 %) et le matériel pour l’autotest des glycémies (3,5 %), assez loin derrière.

Un autre chiffre retient cependant notre attention : alors que l’Assurance maladie encourage les infirmières à prescrire, arguant de possibles économies pour le système de santé, les premiers chiffres de l’Uncam(7) semblent démentir ce principe. On note ainsi que la baisse de coût des prescriptions de matériel pour les pansements faites par les médecins généralistes (due, on l’imagine, au basculement de la prescription des DM vers les infirmières) est moins forte que la hausse des dépenses induite par les infirmières sur un rapport de 11,4 %. On pourrait donc penser qu’il n’y a pas d’économie réelle sur la consommation de matériel depuis l’apparition des prescriptions infirmières.

Interrogés sur ce chiffre, nos interlocuteurs proposent des réponses assez tranchées. Ainsi le docteur André Deseur, président de la section Exercice professionnel de l’Ordre des médecins (lire aussi la double interview parue dans nos Actualités de L’ILM n°281) fait reposer ce chiffre sur la pression exercée par les laboratoires, instigateurs de sessions de formations gratuites de plus en plus nombreuses, sur une population infirmière peu habituée à de telles sollicitations. Une analyse que refuse d’entendre Thierry Amouroux, secrétaire général du Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI), rétorquant que c’est « un faux problème, car les médecins sont soumis à la même pression. Des études récentes ont déjà prouvé cette influence des labos sur les prescriptions des médecins »(8). L’explication de cette hausse des prescriptions devrait donc être cherchée ailleurs. Et si, n’ayant pas l’initiative de prescription, les infirmiers n’effectuaient que des prescriptions “secondaires”, qui compléteraient et augmenteraient la prescription initiale ? « Quand le nombre de prescripteurs augmente, les dépenses augmentent aussi », avance doctement Noëlle Chabert, présidente du syndicat Convergence infirmière. Pour Anick Touba, à la tête du Sniil, « la vraie question est de savoir combien de consultations médicales ont été économisées, et surtout combien de temps a été gagné sur la guérison du patient en prescrivant un matériel réellement adapté », ce qui effectivement, à ce jour, n’a pas été évalué.

DEMAIN, QUEL AVENIR ?

Nos intervenants semblent s’accorder à ne trouver que des conséquences positives à la prescription infirmière, l’associant à une reconnaissance de l’autonomie professionnelle et à une solution pragmatique sur le terrain (gain de temps, service au patient, etc.). Mais, lorsque l’on aborde le devenir de ce texte, les avis prennent des directions opposées. Alors que l’Ordre des médecins semble tenir à ce que les prescriptions infirmières restent « dans le renouvellement strict de matériel, et pourquoi pas de certains traitements », l’Ordre des pharmaciens, par la voix de Jean-Charles Tellier, président de la section A (celle des pharmaciens titulaires d’officine) de l’Ordre, pense, lui, « que l’on ne peut pas remettre en cause le statut du médicament, mais que l’on pourrait le repenser en rapport avec l’usage pour lequel il est prescrit, penser à créer différentes classes de médicaments dont certains seraient prescriptibles par les différents acteurs de santé ». Les syndicats infirmiers, quant à eux, font entendre leur voix, unanimes en ce qui concerne le besoin criant d’autonomie. « Nous devons aller vers une plus grande autonomie des infirmiers, notamment en ce qui concerne les soins des plaies dont l’initiative devra être infirmière, martèle Annick Touba. Il est aberrant que nous nous retrouvions dans des sorties d’hospitalisation avec des prescriptions inadaptées et parfois coûteuses parce que basées sur du matériel hospitalier qui n’a rien à voir avec celui disponible en ville. Nous souhaitons donc que se développe la consultation initiale infirmière et que ce soit bien elle qui décide du nombre de pansements à effectuer et du matériel à utiliser. » Un avis partagé par Thierry Amouroux, pour qui « un infirmier n’est pas un simple auxiliaire médical. Nous espérons nous diriger vers une vraie autonomie infirmière et le droit de prescrire fait partie de cette évolution. Les infirmiers sont souvent les plus à même de savoir ce qui est bon pour des plaies qu’ils voient tous les jours. Ce n’est pas forcément celui qui a fait le plus d’études qui est le plus compétent sur le plan pratique ». Mais c’est justement l’un des nerfs de la guerre : la formation. Un point que Fabienne Rittiman, vice-présidente de la FNI, soulève : « Nous ne sommes pas formés initialement pour prescrire des médicaments. L’évolution de ce texte devrait donc s’organiser autour de la formation, par la création de DU, par exemple. Ainsi, on pourrait imaginer un texte de base pour tous les infirmiers, mais dont les compétences s’élargiraient à la carte, en fonction des formations universitaires suivies. » Recontextualisé avec la loi HPST, ouvrant des pistes dans la délégation de compétences, Noëlle Chabert, la présidente de Convergence infirmière, se plaît à « imaginer qu’avec une formation spécifique, les infirmières vont pouvoir s’imposer, notamment dans la surveillance des pathologies chroniques. Avec, au final, le droit pour les infirmières cliniciennes de prescrire plus, y compris des médicaments ».

LENTE ÉVOLUTION

La prescription infirmière, telle qu’elle se pratique aujourd’hui, est donc le fruit d’un long cheminement commencé il y a plus de treize ans. La forme actuelle de ce texte, publié en mars 2012, est un consensus temporaire. Son avenir reste incertain tant les attentes sur son devenir semblent diverses et parfois opposées parmi les différents partenaires en présence. Cependant, au-delà du « droit de prescrire du sérum physiologique déjà disponible en vente libre »(9), on peut aussi se demander si ce n’est pas un autre débat qui est mené ici. Avec le « droit de prescrire » et même si ce ne sont “que” des DM, les infirmiers semblent être parvenus à ouvrir une première brèche symbolique dans le mur entre médicaux et paramédicaux. Difficile d’imaginer un retour en arrière ou que cette brèche se referme. Dans un contexte où la désertification médicale rebat les cartes des attributions traditionnelles, il semble légitime de considérer la prescription comme le premier pas vers une plus grande autonomie de la profession. Un tout petit pas, certes. Mais ce texte étant, par sa formulation même, de « prescription infirmière », tout un symbole, son évolution le sera forcément.

(1) Du nom d’Anne-Marie Brocas, haut fonctionnaire spécialiste de l’économie de la santé. Le texte est encore consultable sur ce lien raccourci : http://petitlien.fr/66eh

(2) Pour mémoire, ce qu’est un prion : http://petitlien.fr/66ei

(3) Texte du 28 octobre 2011 définissant le contenu des sets de soins post-opératoires : http://petitlien.fr/66ej

(4) Arrêté du 20 décembre 2011 fixant le contenu des soins pour plaies chroniques : http://petitlien.fr/66ek

(5) Les laboratoires Hartmann estiment que le coût de remboursement des sets pour plaies chroniques ne permet pas leur fabrication : http://fr.hartmann.info/128849.php

(6) Texte de l’arrêté du 20 mars 2012 fixant la liste du matériel que les infirmiers peuvent prescrire : http://petitlien.fr/66el. Mais lire surtout notre Mémento, actualisé à partir de la dernière liste des codes LPPR d’août 2012, document fourni par la Direction de la Sécurité sociale (DSS).

(7) “Observatoire des infirmiers”, compte rendu du Cnamts du 24 janvier 2012 (non disponible sur le Net).

(8) Thèse de médecine générale d’Étienne Foisset disponible sur http://petitlien.fr/66em, vous en trouverez les idées principales sur http://petitlien.fr/66en

(9) Lire aussi la question n° 127883 posée par le député Jacques Le Guen (UMP) à l’Assemblée nationale le 7 janvier 2012 (rubrique Actualités de L’ILM n° 279).

Témoignage

« Le primo-prescrivant, un chef d’orchestre »

Jean-Charles Tellier, président de la section A (titulaires d’officines) de l’Ordre des pharmaciens

« Il est étonnant que les infirmières ne puissent pas prescrire du sérum physiologique alors que ce produit est en vente libre et qu’il n’est pas classé comme un médicament. On ne peut pas remettre en cause le statut du médicament, mais on pourrait le repenser en rapport à l’usage pour lequel il est prescrit, faire différentes classes de médicaments dont certaines seraient prescriptibles par les divers acteurs de santé. Cependant, toute évolution doit passer par la permanence des soins et la coordination (article 38 de la loi HSPT), notamment en se référant au primo-prescripteur. Ainsi, dans les soins de ville, le primo-prescrivant doit rester le chef d’orchestre, celui à qui tout le monde se réfère, en particulier dans les sorties d’hospitalisations. Malheureusement, à ce jour, chacun agit de façon autonome et l’on arrive parfois à des problèmes, jusqu’à une non-application des prescriptions initiales. Il ne faudrait plus saucissonner les interventions mais bien laisser la santé du patient au centre de la prise en charge. »

Témoignage

« Je ne prescris que ce qui est utile »

Annick Abeillé, infirmière libérale à Bordeaux (33)

« Je prescris souvent, mais j’ai ralenti depuis “l’affaire des sets” et ses nombreux atermoiements qui ont tout compliqué [ndlr : plusieurs fois le remboursement des sets à pansements a été remis en cause ces dernières années]. J’essaie d’être la plus responsable possible par rapport à ce nouveau droit. Je fais attention à ne prescrire des compresses stériles que lorsque c’est utile. La prescription devait réduire les consultations chez le médecin, mais, en pratique, cela n’a rien changé, voire cela complique la gestion des stocks chez les patients. Dans ma clientèle, beaucoup ne lisent pas le français et, souvent, ce que j’ai prescrit l’est à nouveau à cause des prescriptions automatiques de certains médecins. Je pense donc que, si l’on doit développer les prescriptions, il faudra absolument le faire en concertation. En revanche, je ne me sens pas formée pour renouveler des médicaments : pourquoi ne pas le demander plutôt aux pharmaciens ? Je souhaite que ce droit se développe parce que je me sens parfois plus compétente que les médecins sur les pansements ou sur certains points pratiques des traitements, mais chacun doit rester à sa place. »

EN CHIFFRES

→ 57,2 millions €: c’est le montant des remboursements aux patients en 2011, lié aux prescriptions infirmières. En progression de 19,7 % entre 2010 et 2011 (Cnamts).

→ 45,7 millions €: c’est le montant remboursé en 2011 pour la seule catégorie des articles pour pansements (Cnamts).

→ – 5,2 millions €: c’est la baisse des montants remboursés pour les pansements, prescrits par les omnipraticiens entre 2010 et 2011 (Cnamts).

→ + 6 millions €: c’est la hausse équivalente pour les pansements d’Idels entre 2010 et 2011 (Cnamts).

Comment faire

Règles de rédaction de la prescription Infirmière

• Les règles de rédaction des prescriptions infirmières sont très strictes, sous peine d’être refusées par les caisses d’Assurance maladie. Ainsi, chaque prescription doit présenter (source CPAM) :

→ votre identification complète : nom, qualification et numéro d’identification ;

→ le nom et le prénom du patient ;

→ la date de rédaction de l’ordonnance ;

→ la dénomination du dispositif médical et, le cas échéant, la quantité prescrite ;

→ la catégorie ALD ou pas (si vous n’avez pas de prescription bizone) ;

→ votre signature.

• Enfin, comme les prescriptions médicales, toute prescription infirmière devra être réalisée en double exemplaire (une pour le pharmacien et l’autre à conserver dans le dossier de soins).

• Pour en simplifier la rédaction, des logiciels de gestion infirmiers ont inclus des outils “ordonnancier”. Certains laboratoires vous proposent des ordonnanciers vierges, vous pouvez aussi les rédiger en ligne sur certains sites Internet, demander aux imprimeurs médicaux de vous créer des blocs ou bien créer vous-même un modèle avec un traitement de texte…

• Pour les aides spécifiques au choix des pansements, lire nos conseils page 54.

Interview Dider Tabuteau, responsable de la chaire santé à Sciences Po Paris

« Plus d’autonomie aux “paramédicaux” »

Que pensez-vous du droit de prescrire pour les infirmiers ?

C’est le rattrapage d’un retard proprement français dû à une dichotomie importante entre médicaux et paramédicaux. Dans le Code de la Santé publique, on parle même encore “d’auxiliaires médicaux”, terme aussi désuet que péjoratif ! Il faudrait parler de professions médicales à compétences plus ou moins larges. Donc le droit de prescrire pour les infirmiers est une porte qui s’ouvre doucement, modestement et très tardivement. Mais il est à peu près certain que les problèmes de démographie médicale vont nous amener à revoir les rôles de chacun dans le système de santé.

Les chiffres de l’Uncam publiés en janvier 2012 semblent montrer que les dépenses induites par les prescriptions infirmières en matière de pansements sont supérieures aux économies sur ces mêmes prescriptions réalisées par les praticiens.

Ce sont des chiffres que je n’ai pas étudiés. Je serais donc bien en peine de les commenter précisément. Cependant, je ne suis pas sûr que le but de ce droit soit les économies sur les prescriptions, mais plutôt sur les consultations. En effet, il faut lutter contre les prescriptions inutiles, tant pour des raisons économiques que déontologiques. Une meilleure organisation du système de santé, en donnant un peu plus d’autonomie aux “paramédicaux”, ferait diminuer le nombre de consultations médicales et libérerait du temps médical réellement efficace : c’est là que se feront les économies. En clair, il semble assez logique que, pour un patient donné, quel que soit le prescripteur, il ait accès au même matériel. Tant mieux si la prescription infirmière est plus affinée et économe. Mais l’essentiel est d’éviter des consultations médicales qui ne sont pas indispensables. Et compte tenu des risques de pénurie médicale, cela devient également un enjeu de santé publique.

Ne serait-il pas logique alors de créer les consultations infirmières ?

Ce terme de “consultation” réservé aux médecins est justement le reflet de notre organisation fondée sur le “tout médecin” : le médecin fait une consultation et l’action des autres relève d’une prescription… Si l’on change d’approche en gardant le médecin au centre mais en reconnaissant une réelle autonomie à chaque profession paramédicale, il faut revoir non seulement les compétences mais aussi les protocoles et les rémunérations. L’intervention de chaque professionnel devra alors être reconnue globalement, y compris dans sa capacité à accompagner le patient et à adapter les traitements. Cela nécessitera aussi d’aller d’un paiement à l’acte vers un paiement par forfait, notamment pour les patients chroniques. De nouvelles rémunérations ne peuvent se concevoir, dans le contexte macroéconomique actuel, que dans une redistribution des ressources de l’Assurance maladie, pas dans l’institution de strates supplémentaires d’actes.

Témoignage

« Ce droit n’est qu’un os à ronger »

Jean-Jacques Séchaud, infirmier libéral en Seine-et-Marne (77)

« J’ai utilisé le droit de prescrire une fois et je n’ai pas l’intention de recommencer tant que ses conditions d’application resteront les mêmes. Ce texte nous dénie toute réflexion si l’on s’en tient à une application stricte et il relève surtout d’une économie de secrétariat pour le médecin à l’origine de la prescription. Concrètement, ce n’est que l’économie pour les caisses d’une nouvelle consultation, car si de nombreux médecins ne se font pas régler pour un simple renouvellement de matériel, ce n’est pas le cas pour tous. Et de ces économies, nous n’avons aucun retour, si ce n’est des obligations et des risques plus importants par le déplacement de responsabilités que nos assurances professionnelles ne manqueront pas de reporter sur nos épaules quand les premiers problèmes surviendront. Ce droit n’est donc qu’un os à ronger pour masquer la pauvreté des propositions pour vraiment faire avancer la profession. Elle n’est au fond que le reflet du peu de considération que les caisses et certains milieux médicaux ont pour nous. ».

Témoignage

« Il faudra passer nombre de réticences »

Martine Romani, infirmière libérale en Gironde (33), membre élu de l’Ordre infirmier d’Aquitaine

« Les infirmiers n’ont pas pris ce texte à bras-le-corps dès le début, mais il se met en place doucement. Je pense que les infirmiers sont demandeurs d’un élargissement de leurs droits de prescription, au moins pour retrouver une situation cohérente avec leur pratique. Quand on voit les problèmes que pose déjà la désertification médicale, il nous semble assez logique que l’on va tendre vers un réel transfert de compétences et pas un simple transfert de tâches, notamment en ce qui concerne les renouvellements de traitements et l’éducation des patients. À terme, ce droit de prescrire devrait donc s’étendre et se développer, notamment vers les prescriptions d’initiatives infirmières et vers la consultation infirmière. Cependant, je sais aussi que ce chemin sera long, parce qu’il faudra passer nombre de réticences, en particulier de certains médecins… et mêmes de certains usagers. »