L'infirmière Libérale Magazine n° 288 du 01/01/2013

 

Prévention

Dossier

Pas de doute, les Français préfèrent vieillir à domicile plutôt qu’en institution. Pas toujours facile à concrétiser, ce choix nécessite une bonne coordination entre les intervenants, des financements… et le maintien d’activités et de plaisir quotidiens. Mais quelles sont les clefs pour que les personnes âgées puissent bien vieillir chez elles ?

Aujourd’hui, vivre et vieillir chez soi est le parcours de vie normal pour 90 % des 75 ans et plus(1), et même pour la moitié des centenaires. Car, dans les faits, la dépendance n’est pas si fréquente que cela : elle ne concernerait que 8 % des Français de plus de 60 ans(2). À première vue, on pourrait donc penser que les infirmières libérales ont affaire à des patients plus heureux et alertes que leurs collègues en Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad).

QUELS FREINS ?

Pour autant, le tableau n’est pas si rose. Un grand nombre de personnes âgées sont en effet atteintes de polypathologies et soignées à grand renfort de boîtes de médicaments. Pour éviter les risques iatrogènes (lire notre cahier de formation paru dans L’ILM n° 268, mars 2011), une bonne coordination entre les soignants intervenant à domicile semble indispensable. Quant aux risques de chute, ils sont eux aussi bien réels (lire notre Cahier de formation du mois dernier et l’encadré page 20). D’autre part, on peut se demander si les infirmières libérales sont suffisamment armées au cours de leur formation initiale pour faire face à des situations parfois complexes. A priori, en Ifsi, grand âge et dépendance sont des enjeux aujourd’hui identifiés dans les programmes et les jeunes diplômés sont à même de prendre en charge les personnes dépendantes. Cependant, des formations complémentaires seraient les bienvenues…

Pour les Idels, l’offre de formation continue n’est pas forcément adaptée, et les financements insuffisants. « Je suis en master de gérontologie à Montpellier, une formation que je finance avec mes propres deniers, relate Pauline Riquet, infirmière libérale en Ariège (09). La prise en charge par un organisme de formation a été refusée. En gérontologie, il n’y a pas beaucoup d’opportunités de formation pour les Idels. Or les patients âgés représentent en moyenne 85 % de la clientèle… » Espérons que la réforme du DPC (développement professionnel continu) sera avantageuse pour les libérales !

La gériatrie serait donc une spécialité à creuser, d’autant plus que l’une des mesures du Projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) 2013 propose des expérimentations pour améliorer le parcours de santé des personnes de plus de 75 ans à risque de perte d’autonomie (lire notre actualité p.6). L’entrée unique dans le parcours se ferait via un pharmacien d’officine ou une infirmière libérale. Le décret d’application de cette mesure est en attente.

PRISE EN CHARGE

Quoi qu’il en soit, la prise en charge médicale par les libéraux peut d’ores et déjà s’appuyer sur différents relais : équipes mobiles douleur ou Alzheimer, par exemple. Les accueils de jour qui permettent le maintien à domicile de personnes ayant un certain niveau de dépendance sont une aide précieuse. Il en est de même pour les réseaux de santé gérontologiques, au nombre de 124 en France. En mai dernier, Guillaume Le Goff, Idel à Saint-Cyr-en-Retz en Loire-Atlantique (44), a intégré le Réseau de la Loire à la vie (Respa) : « On m’a demandé de suivre une famille difficile, dont les autres Idels ne voulaient plus. Il s’agit d’un couple de personnes âgées dépendantes qui vit avec son fils. C’est une prise en charge épuisante, mais, heureusement, le réseau est là. Nous pouvons dégager des temps de parole entre nous, avec les membres du Respa et du Clic, qui intervient aussi en partenariat. Je peux appeler l’infirmière coordinatrice du Respa à tout moment : elle prend les choses en main sans tarder et fait notamment le lien avec l’hôpital (hématologue, gérontopsychiatre…). »

Au-delà de la seule prise en charge médicale, vivre à la maison doit également rester un plaisir, et non une contrainte ou un choix subi. Activités et menus plaisirs quotidiens ont intérêt à être maintenus autant que possible. Pour certains, ne plus faire la cuisine ni, dans une moindre mesure, la vaisselle sonne le glas d’un moment important de plaisir. « Le sensoriel est très important à cet âge-là, estime Odile Boccard, Idel dans les Alpes-Maritimes (06). Quand je vois arriver les plateaux-repas apportés par la mairie, inodores et sans saveur, je me pose des questions… »(3) Un certain nombre de communes proposent des activités aux seniors. Mais l’offre est moins importante en milieu rural. Et comment faire lorsque la dépendance empêche tout déplacement ?

FINANCER LE RESTE À CHARGE

Les plans de santé publique et les missions menées en faveur des personnes âgées ne manquent pas : plan Alzheimer 2008-2012, plan national “Bien vieillir” 2007-2009, mission “Vivre chez soi” remise à Nora Berra en juin 2010, débat national sur la dépendance… Mais ces différentes initiatives manquent de suivi et de coordination. Quant au chantier de la dépendance, rebaptisé “de l’autonomie”, après avoir été repoussé par le précédent gouvernement, il a également été ajourné par le gouvernement de Jean-Marc Ayrault et devrait être abordé seulement en 2014. D’ici là, Michèle Delaunay, la ministre déléguée chargée des Personnes âgées et de l’Autonomie, doit proposer une nouvelle prestation autonomie, plus juste que l’Allocation personnalisée à l’autonomie (Apa), seule aide existante pour les personnes âgées dépendantes, mais dont les critères d’attribution varient beaucoup d’un département à l’autre et qui peine à couvrir les besoins.

Car bien vieillir à la maison suppose avant tout des financements. Au domicile aussi, le reste à charge pour les familles reste élevé. L’aménagement du logement constitue une part importante du budget nécessaire. Or les aides existantes sont méconnues et manquent de lisibilité, sans compter que nombre de personnes âgées rechignent à aménager leur logement (lire l’encadré Analyse p.20).

Que faire si l’on n’est pas bien chez soi ? Car il n’est pas facile de déménager à cet âge, surtout lorsqu’on n’a pas eu la chance d’accéder à la propriété à un moment de sa vie. Des logements, autres que le domicile et l’institution, font leur apparition, témoignant d’une évolution des mentalités. Les colocations de seniors se développent. Ainsi, à Paris, la Fondation hospitalière Sainte-Marie s’apprête à ouvrir le centre Robert-Doisneau, un ensemble mêlant Ehpad et foyers pour personnes handicapées, ouvert sur la ville. Au rez-de-chaussée, des commerces seront accessibles depuis l’extérieur mais également depuis la résidence. Cependant, ce genre d’initiative demeure encore anecdotique, en France.

REGARD DÉVALORISANT DE LA SOCIÉTÉ

Bien vieillir suppose aussi d’être bien perçu en tant que personne âgée. Or nombre d’aînés éprouvent un mal-être souvent lié au regard dévalorisant porté sur eux par notre société jeuniste et “anti-âge”… Pourtant, « la jeunesse a besoin de ses aînés : ils sont le socle depuis lequel elle peut se projeter vers l’avenir », estime Cécile Bacchini, psychologue âgée de 34 ans, qui travaille à l’accueil de jour Alzheimer “Les Rives”, à Pantin en Seine-Saint-Denis (93). Et d’ajouter : « La société tend à porter un regard dévalorisant sur ses aînés, comme s’ils n’étaient plus des adultes à part entière. Ces discours de dévalorisation sont souvent intégrés par les personnes elles-mêmes. Je peux les entendre fréquemment lors d’entretiens. »

Les réflexions et les initiatives pour changer ce regard se développent, comme l’a montré le colloque “La Cause des Aînés 2” à Paris en octobre 2012 (lire témoignage ci-contre). Il faut réintégrer les personnes âgées dans la cité via des activités intergénérationnelles.

UN SURSAUT INDIVIDUEL

Pour rappel, le gouvernement de François Fillon avait mis sur pied un plan national “Bien vieillir ensemble” en 2007-2009. L’un des piliers de ce plan était le label “Bien vieillir -Vivre ensemble”. Plusieurs collectivités ont obtenu celui-ci pour une série d’actions favorisant l’insertion des personnes âgées dans la cité, parmi lesquelles l’agglomération de Rennes, en Ille-et-Vilaine (35), s’est distinguée.

Le gouvernement, les collectivités, mais aussi la société tout entière doivent opérer un sursaut pour mieux accepter et intégrer le grand âge. Mais c’est également à chacun, individuellement, de savoir donner un sens à sa vie, sans forcément se reposer sur la collectivité et les soignants. Et ce, même lorsqu’on ne travaille plus et qu’on a perdu son conjoint. Entre enjeux gouvernementaux, regard social et initiatives individuelles, la prise en charge du grand âge reste un défi prioritaire qui devra mobiliser tous les acteurs de la société. Reste à se lancer dans un chantier difficile mais prometteur pour l’avenir.

(1) Source : rapport Action sociale de l’Assurance retraite sur l’aménagement du logement (Cnav, juin 2011).

(2) Source : synthèse du débat national sur la dépendance, juin 2011 (ministère des Solidarités et Cohésion sociale).

(3) Risquant d’amener la personne âgée vers une situation de dénutrition… Lire notre cahier de formation p.25.

Témoignage

« Isolement social et problèmes financiers »

Pauline Riquet, Idel à Saint-Jean-du-Falga (09)

« Aujourd’hui, le principal problème dans le maintien à domicile des personnes âgées, c’est l’isolement social. Certes, le Clic organise des ateliers mémoire. Mais comment font les patients qui ne peuvent pas se déplacer ? D’autre part, les finances sont l’autre grande difficulté. 70 % de ma clientèle vit avec moins de 1 000 euros par mois. Les aides allouées aux personnes âgées sont dérisoires. Pour ce qui est des soins, en milieu rural et semi-rural, les équipes médicales spécialisées type Alzheimer n’existent pas. Mais nous avons les Clic, nous pouvons aussi alerter le médecin traitant, le kiné… Mais tout ce travail de liaison n’est pas reconnu dans la nomenclature. Chaque cabinet infirmier devrait monter un dossier de soins infirmiers pour permettre un suivi rigoureux : ce dossier papier laissé au domicile peut ainsi être consulté par les divers intervenants. »

En chiffres

→ Plus de 91 % des personnes âgées de 60 ans et plus sont considérées comme autonomes ou quasi autonomes, au regard de la grille Aggir. Cependant, parmi ces personnes, certaines peuvent être affectées par diverses maladies (source : Fédération nationale de gérontologie, 2011).

→ En 2011, on dénombrait 1,2 million de bénéficiaires de l’Apa, dont environ 721 000 à domicile et 478 000 en établissement (source : Drees, 2012).

→ L’État consacre environ 22 milliards d’euros par an à la dépendance. Au moins la moitié est supportée par la branche maladie de la Sécurité sociale, et les départements supportent 5 milliards au titre de l’Apa, créée en 2002 afin d’aider à financer les services d’aide à domicile (source : Synalam).

→ Le montant moyen des retraites est de 1 000 à 1 200 euros.

→ Coût moyen d’une maison de retraite : 2 200 euros/mois. Le reste à charge est donc compris entre 1 000 et 1 200 euros, d’après les estimations d’Agevillage.com.

Analyse
ACCESSIBILITÉ

Pas facile d’aménager son logement…

La solution du maintien à domicile est largement plébiscitée par les Français, mais elle reste difficilement accessible en raison de son coût financier. En effet, rester à domicile suppose des aménagements du logement (éclairage particulier, monte-personne, rehaussement des toilettes, remplacement de la baignoire par une douche adaptée, etc.).

Des aides existent, provenant de différentes institutions : l’Apa peut financer une partie des travaux, mais aussi l’Anah (Agence nationale pour l’amélioration de l’habitat) pour les propriétaires modestes, la Cnav (Caisse nationale d’assurance vieillesse), l’État via un crédit d’impôt pour les propriétaires… Les réseaux gérontologiques ou les Clic peuvent faire intervenir des ergothérapeutes pour un diagnostic à domicile.

De fait, les différentes aides manquent de visibilité et les personnes âgées s’y perdent. C’est pourquoi le Synalam (Syndicat des aides à domicile) a édité récemment un guide qui récapitule ces aides*. Selon un rapport publié par la Cnav en juin 2011, globalement, il n’y a pas de transformation radicale des logements, mais des aménagements à la marge. Cependant les auteurs notent une résistance des personnes âgées à accepter ces aménagements, synonymes pour elles de handicap et de vieillissement.

*Guide du financement du maintien à domicile sur petitlien.fr/68q3

Témoignage

« L’accueil de jour a un impact positif sur les personnes âgées »

Nadine Cohen-Zerbib, ancienne Idel, directrice de l’accueil de jour Alzheimer “Les Rives”, à Pantin (93)

« Les personnes viennent aux Rives, à l’accueil de jour, deux jours par semaine. Cela soulage avant tout les aidants. Les personnes elles-mêmes ont parfois du mal à venir, surtout au début, car elles ne se rendent pas compte de leurs troubles. Les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer perdent souvent confiance en elles et se replient sur elles-mêmes au domicile. Ici, nous proposons des ateliers de stimulation des mémoires et des gestes, de la musicothérapie, des moments de convivialité, de socialisation… Les familles témoignent souvent de l’impact positif de l’accueil de jour sur leur proche : “Il est plus ouvert, plus actif, participe davantage aux conversations…” Nous mettons en place des actions de coordination pour les situations les plus complexes, comme l’organisation de réunions avec l’ensemble des intervenants et la famille. »

Interview Annie de Vivie, présidente d’Agevillage.com, coordinatrice du collectif “Une société pour tous les âges”

« Instaurer une vraie gouvernance »

Quelles sont les actions du collectif ?

Le collectif se bat dans plusieurs directions. Tout d’abord, le financement : les montants de l’Apa ne sont pas suffisants ni égalitaires d’un département à l’autre. Il faut créer une nouvelle prestation basée sur une grille universelle qui fasse consensus – l’actuelle grille Aggir utilisée pour définir le degré de dépendance est critiquée par tout le monde. Deuxième direction : une labellisation de la filière des maisons de retraite, Ssiad et services d’aide est indispensable pour harmoniser les tarifs, les pratiques et les formations des personnels.

Les guichets uniques comme les Clic sont-ils suffisamment connus ?

Non, et c’est là notre troisième combat : la gouvernance. Il faut une porte d’entrée unique pour obtenir des informations. Depuis 2004, les Clic sont décentralisés et n’offrent pas le même niveau de prestation. Idéalement, il faudrait partout des Clic de niveau 3, avec un référent unique disposant de compétences sociales, médicales, voire psychologiques, qui orchestre la prise en charge de la personne âgée. Nous estimons qu’il faut instaurer une nouvelle gouvernance, un pilotage national doublé d’un pilotage régional, avec des portes d’entrée au niveau des Clic. Des initiatives locales de la part de collectivités, d’entreprises, d’associations pour aider les personnes à bien vieillir, il y en a. Le problème, c’est que tout cela n’est ni synthétisé ni mutualisé, par défaut de gouvernance.

Témoignage

« Le relationnel est très important à domicile »

Odile Boccard, Idel à Grasse (06)

« Beaucoup de personnes âgées sont à un moment de leur vie où les défenses tombent. De vieilles histoires ressortent. La toilette est un moment privilégié pour parler, écouter, laisser émerger ces histoires. Pour des personnes seules, en souffrance, si cela est fait avec amour et attention, c’est très bénéfique. Ce n’est pas qu’une question de temps et de durée, c’est aussi une attention à l’autre dans toutes les circonstances. Les personnes âgées représentent 80 % de mon activité. Dans notre métier de libéral, nous n’avons aucune réflexion entre nous sur notre travail, sur la relation, le grand âge… Or la vigilance s’impose, car nous sommes de fait en position de domination au domicile d’une personne âgée dépendante. »

Témoignage

« Sortir de l’anti-âge »

Catherine Bergeret-Amselek, psychanalyste, organisatrice du colloque “La Cause des Aînés 2”

« Dans mon cabinet de psychanalyste, je reçois des patients de tous les âges. Une partie a entre 60 et 90 ans, car il n’y a pas d’âge pour commencer une analyse. Quand on a tiré le ruban de la vie, on voit mieux ce qu’est un être humain. Quand on perd son travail, ses amis, son conjoint, tout n’est pas fini, loin s’en faut. Pour surmonter les épreuves, il faut se relier aux autres : le contact avec la nature, la compagnie d’un animal, la vie associative, la spiritualité, la créativité, l’amitié, l’amour peuvent être salvateurs. La majorité des personnes ont envie de vieillir chez elles. Toutefois, si le contexte n’est pas favorable, il vaut mieux envisager une entrée dans un établissement. Le grand vieillissement de la population impose de s’équiper économiquement et psychologiquement pour sortir de l’anti-âge et aller vers l’accord-d’âge. Il me semble urgent de créer des dispositifs psychosociaux et de mettre à contribution des psychanalystes pour aider les aidants, superviser les soignants et faire le pari du sujet quels que soient son âge et sa pathologie. Une clinique pluridisciplinaire doit être adaptée à chaque situation. »

EN SAVOIR +

→ Les réseaux de santé gérontologiques : www.reseaux-gerontologiques.fr

→ Les Centres locaux d’information et de coordination (Clic): http://clic-info.personnes-agees.gouv.fr

→ Sur la Cause des Aînés : www.cause-des-aines.fr En mai 2013, parution aux éditions Erès de L’avancée en âge, un art de vivre, actes du colloque d’octobre 2012

→ 72 villes labellisées “Bien vieillir – Vivre ensemble” : www.social-sante.gouv.fr

→ Guide du Synalam sur l’aménagement du domicile : www.synalam.fr