L'infirmière Libérale Magazine n° 288 du 01/01/2013

 

Cahier de formation

Savoir faire

Le dépistage de la dénutrition permet de repérer les situations à risque, les états de dénutrition avérée et de dépister une éventuelle dénutrition future. En plus des conseils, l’infirmière libérale peut aider les patients à choisir des compléments nutritionnels oraux.

Monsieur M. a 78 ans et il vit seul. Il sort d’un centre de rééducation après une fracture du poignet. Il semble en bonne forme, mais il vous avoue qu’il n’a pas trop mangé à la clinique.

Monsieur M. est dans une situation qui cumule plusieurs facteurs de risque de dénutrition : la fracture et son traitement, et l’hospitalisation. Vous lui proposez de mesurer son poids et vous le comparez à son poids antérieur. Si cette donnée n’apparaît nulle part, vous vous fiez au poids qu’il vous donne. C’est aussi l’occasion de lui poser quelques questions sur son alimentation et ses difficultés éventuelles, car l’isolement est également un risque de dénutrition.

Les Programmes nationaux nutrition santé (PNNS) successifs ont permis une prise de conscience de la fréquence et de la gravité de la dénutrition chez les personnes âgées. Pourtant, la mise en application de moyens pour lutter contre cet enjeu de santé publique reste très inégale, et souvent insuffisante. Le dernier PNNS, en cours pour la période 2011-2015, a fixé pour objectif la réduction, en cinq ans, du pourcentage des personnes âgées dénutries vivant à domicile ou en institution :

→ de 15 % au moins pour les plus de 60 ans ;

→ de 30 % au moins pour les plus de 80 ans.

Tous les professionnels sociaux ou de santé peuvent contribuer à atteindre ces objectifs avec des outils simples de dépistage. Notamment la mesure du poids. La visite à domicile est aussi l’occasion de porter un regard “nutritionnel” simple. Y a-t-il quelque chose dans le frigo ou dans le placard ? La personne est-elle capable de se faire à manger de façon diversifiée ? Est-ce qu’elle termine ses plats ? Quelle est la fréquence des viandes ou équivalent en protéines dans l’alimentation ?

UN DÉPISTAGE ANNUEL

À domicile, la HAS recommande de faire le dépistage de la dénutrition au minimum une fois par an. Chez les personnes âgées présentant des facteurs de risque de dénutrition (lire ci-dessous), l’évaluation de l’état nutritionnel doit être plus fréquente en fonction de l’état clinique de la personne et de l’importance du risque. Le dépistage de la dénutrition repose sur :

→ la recherche de situations à risque de dénutrition ;

→ l’estimation de l’appétit et/ou des apports alimentaires ;

→ la mesure du poids ;

→ l’évaluation de la perte de poids par rapport au poids antérieur ;

→ le calcul de l’indice de masse corporelle [IMC = Poids (kg)/Taille2 (m2)].

UN DÉPISTAGE AVANT LA CRISE

Les cas de dénutrition chez la personne âgée, sont trop souvent diagnostiqués au moment d’une hospitalisation ou lors de l’entrée en institution d’hébergement (quand cette évaluation est réellement effectuée), d’autant que, dans la plupart des cas, la dénutrition s’aggrave au cours de l’hospitalisation. La prise en charge est d’autant plus efficace qu’elle est précoce. De plus, cette prise en charge peut par elle-même éviter l’hospitalisation pour fracture par exemple (sarcopénie) ou pour infection. Elle peut aussi retarder l’entrée en institution.

INTÉGRER LE POIDS DANS LE DOSSIER PATIENT

« Depuis de nombreuses années, on a inclus une courbe de poids dans le dossier de soins, rapporte Annick Boissel, infirmière libérale à Aix-en-Provence (13). On pèse les personnes de plus de 65 ans une fois par mois. La mesure du poids est reportée sur la courbe, ce qui permet de visualiser rapidement les variations. » Lorsque les personnes ne sont pas équipées d’un pèse-personne fonctionnel, « on leur demande d’en acheter un comme pour un thermomètre ». La mesure du poids doit être un réflexe à domicile. Accompagnée d’explications, elle permet de sensibiliser le patient à l’intérêt de gérer ses apports nutritionnels. « Si on ne fait pas la mesure du poids, on ne se rend pas compte de la perte de poids sur l’aspect du patient. Ou alors on s’en rend compte tardivement, une fois que la masse musculaire est trop diminuée », ajoute l’infirmière.

SITUATIONS À RISQUE

Pouvoir agir avant l’hospitalisation et l’entrée en institution est l’un des grands enjeux vis-à-vis des personnes à partir de 70 ans. Le repérage en amont, dès les premiers signes d’alerte, contribue à éviter les complications. Certaines situations doivent interpeller quel que soit l’âge du patient : les cancers, les pathologies à l’origine d’une mauvaise digestion et/ou d’une malabsorption des nutriments, l’alcoolisme chronique, les pathologies infectieuses et/ou inflammatoires chroniques, ainsi que toutes les situations susceptibles d’entraîner une diminution des apports alimentaires et/ou une augmentation des besoins énergétiques.

UN COUP D’ŒIL AU FRIGO

Caroline Rio, diététicienne libérale et formatrice auprès des aidants et des professionnels, s’est inspirée d’une enquête réalisée par le gériatre suisse Charles-Henri Rapin intitulée “In frigo veritas” pour s’intéresser au remplissage du frigo des personnes âgées (voir encadré ci-dessous). « Outre la valeur nutritionnelle des aliments, les frigos bien remplis sont aussi le reflet d’une vie familiale ou sociale de qualité. C’est un reflet de convivialité, observe-t-elle. Ils démontrent que la personne est encore capable de faire des courses qu’elle choisit elle-même, ou qu’un proche ou un professionnel s’en occupe. » Ainsi la présence de sucreries de type “Kinder” peut être associée à la visite des petits-enfants. La diététicienne remarque aussi que l’accessibilité du frigo est un critère facilitant la gestion de l’alimentation. « L’entretien du frigo au niveau hygiène est fonction de son accessibilité. Souvent, chez les personnes âgées, les frigos sont des modèles petits et bas. Du coup, les derniers rayonnages et le bac à légumes sont difficiles d’accès. Au point que, parfois, les aliments semblent avoir été jetés. » Pour détourner les difficultés fonctionnelles ou liées à une hypotension orthostatique, « il y a intérêt à surélever le frigo, sur une petite table par exemple », suggère Caroline Rio.

COMMENT AGIR ?

Alerter le médecin

Lorsqu’une perte de poids est repérée, Annick Boissel interroge le patient et sa famille : « Est-ce que le patient a un bon appétit ? Est-ce qu’il peut faire les courses et cuisiner ? » « Il faut parfois demander pourquoi le patient a décidé de moins manger, car il y a des croyances inadaptées en matière d’alimentation » constate l’infirmière, qui donne les premiers conseils pour aider la personne à augmenter sa ration alimentaire quotidienne. « En cas de dépendance, on s’appuie sur les proches, si possible. » Quand la perte de poids est préoccupante, le médecin doit être averti. Le test de Broker (ci-contre) permet d’étayer le signalement au médecin. Plus simple que le Mini Nutritional Assessment (MNA), il ne nécessite pas de mesures.

Les aides

L’aide ménagère et/ou l’auxiliaire de vie sociale peuvent faire les courses, préparer les repas, aider à la prise des repas, etc. Le portage des repas et l’accès aux foyers restaurants peuvent être intéressants.

Se renseigner

Auprès des réseaux de soins, dont les réseaux gérontologiques, des Centres communaux d’action sociale (CCAS), des services administratifs qui interviennent dans l’instruction des dossiers nécessaires pour l’attribution de ces aides. Les Centres locaux d’information et de coordination (Clic) sont des lieux d’information complémentaire : guichets d’accueil de proximité, d’information, de conseil et d’orientation, destinés aux personnes âgées et à leur entourage. Ils rassemblent toutes les informations susceptibles d’aider les personnes âgées dans leur vie quotidienne.

Pour la prise en charge financière de ces aides, interviennent :

→ le conseil général pour l’Allocation personnalisée d’autonomie (APA). Cette allocation peut permettre de financer une aide ménagère ou un portage des repas par exemple ;

→ l’aide sociale départementale (domaine de la solidarité départementale). Elle contribue au financement de l’hébergement en structure institutionnelle des plus démunis ;

→ l’aide des caisses de retraite et de certaines mutuelles.

12 Signes d’alerte

La présence d’un seul des critères suivant suffit à évoquer un risque de dénutrition.

→ Revenus financiers insuffisants.

→ Perte d’autonomie physique ou psychique.

→ Veuvage, solitude, état dépressif.

→ Problèmes bucco-dentaires.

→ Régimes restrictifs.

→ Troubles de la déglutition.

→ Consommation de 2 repas par jour seulement.

→ Constipation.

→ Prise de plus de 3 médicaments par jour.

→ Perte de 2 kg dans le dernier mois ou de 4 kg dans les 6 derniers mois.

→ Albuminémie < 35 g/l ou cholestérolémie < 1,60 g/l.

→ Toute maladie aiguë sévère.

Source : “Livret d’accompagnement destiné aux professionnels de sante”, INPES, septembre 2006.

Question de patient

Comment prendre des protéines lorsque je n’ai pas envie de préparer un repas ?

Il suffit de tenir à disposition une alternative protéinée au repas dans le frigo, comme du fromage, du fromage blanc ou du pâté, etc.

“In frigo veritas”

C’est dans le cadre d’un stage au Centre communal d’action sociale (CCAS) d’Angoulême que Gaëlle Lamouroux, alors étudiante en master 2 “droit et politique sanitaires locales”, a réalisé des clichés des réfrigérateurs au domicile de personnes âgées de plus de 60 ans. L’enquête initiée par Caroline Rio est inspirée des travaux du gériatre suisse Charles-Henri Rapin qui a démontré la corrélation entre le contenu du frigo et la fréquence des hospitalisations, notamment pour cause de dénutrition. L’enquête du CCAS a révélé 9 cas de dénutrition sur un total de 107 personnes (soit 14,02 % des personnes interrogées !), « et une trentaine de personnes pour lesquelles il y avait de forts indices de dénutrition », ajoute Gaëlle Lamouroux. L’enquête a aussi démontré que les personnes vivant en foyer-logement géré par le CCAS et bénéficiant d’aides matérielles et humaines (salle de restaurant, aide pour faire les courses…) présentaient un meilleur état nutritionnel, avec des frigos nettement mieux fournis. Si les moyens financiers ne sont pas négligeables, l’isolement apparaît comme un facteur essentiel de risque de dénutrition chez les plus âgés. « Le contenu du frigo est une véritable sonnette d’alarme des carences nutritionnelles », conclut Gaëlle Lamouroux, en reprenant les mots de Charles-Henri Rapin.

Nutritional Risk Index de Buzby (NRI)

Élaboré au début des années 1980, le NRI est un index nutritionnel validé et simple, qui a un intérêt pronostique démontré. Il prend en compte l’albuminémie et le pourcentage de perte de poids par rapport au poids usuel selon la formule :

NRI = 1,519 x albumine (g/l) + 0,417 x (poids actuel/ poids usuel) x 1004.

Il reste conseillé par le Programme national Nutrition Santé (PNNS). La stratification selon le degré de dénutrition se fait de la façon suivante :

→ > 97,5 : sujet non dénutri ;

→ 83,5 à 97,5 : sujet en dénutrition modérée ;

→ < 8 305 : sujet sévèrement dénutri.

Cet index, comme tous ceux qui utilisent la perte de poids, est pris en défaut par la rétention hydrosodée et par la difficulté de recueil du poids habituel. Malgré ces réserves, la NRI est un bon outil de l’évaluation du risque nutritionnel et peut être recommandée en pratique clinique pour la période péri-opératoire et chez les malades en état d’agression.

Le calcul du NRI, assez fastidieux, peut être remplacé par l’utilisation d’abaques (Nutristeps*) ou de disques spécifiques.

*www.nutristeps.org