Cahier de formation
LE POINT SUR
Le diéthylstilbestrol, ou DES, est un œstrogène de synthèse prescrit aux femmes enceintes pendant une trentaine d’années, jusqu’en 1977. Aujourd’hui en âge de procréer, les femmes exposées à ce produit in utero connaissent parfois des complications génitales et obstétricales et doivent faire l’objet d’un suivi particulier.
Commercialisé sous les noms Distilbène ou Stilbestrol-Borne, le DES a été prescrit aux femmes enceintes, en France, entre 1948 et 1977, pour prévenir les fausses couches, les risques de prématurité et pour traiter les hémorragies gravidiques, avec un pic de prescriptions entre 1968 et 1973. 160 000 enfants environ (80 000 hommes et 80 000 femmes) ont été exposés au DES dans le ventre de leur mère pendant cette période. Ces personnes ont aujourd’hui un âge compris entre 33 et 63 ans. Les conséquences obstétricales sur cette première génération pourront ainsi être observées jusqu’en 2015. La surveillance doit se poursuivre sur la troisième génération (enfants de parents exposés in utero) pour évaluer les effets multigénérationnels.
Tout dépend de la période d’exposition au traitement pendant la vie intra-utérine, plus que de sa durée ou des doses prescrites. La période à risque serait située entre la 6e et la 17e semaine d’aménorrhée.
Les atteintes de l’appareil uro-génital constatées sont plus fréquentes chez eux que dans la population générale : kystes épididymaires, anomalies testiculaires telles que l’hypotrophie, la cryptorchidie ; hypospadias (anomalie de position du méat urinaire).
Les principales complications connues par les “filles Distilbène” (ainsi appelées dans le milieu associatif) sont les suivantes.
→ L’adénocarcinome à cellules claires du vagin et du col de l’utérus : la fréquence de survenue serait d’environ un cas pour mille patientes. L’âge moyen des femmes concernées est de 24,5 ans. Depuis 2005, la notification de cancers utéro-vaginaux a fortement baissé. Et la proportion des localisations vaginales des cancers est en diminution, au profit des localisations cervicales.
→ Les anomalies structurales, morphologiques et fonctionnelles au niveau du vagin, du col et du corps de l’utérus, des trompes : adénose, ou présence en dehors de sa localisation normale de la muqueuse cylindrique du col utérin. Généralement, la guérison de cette anomalie est spontanée ; autres anomalies cervico-vaginales (20 % à 60 % des jeunes femmes exposées). La plus fréquente est l’hypoplasie du col utérin (absence ou diminution du relief du col, aspect en “cimier de casque”) ; anomalies utérines : utérus en forme de T et cavité utérine de petite taille, hypoplasie utérine (utérus petit dans sa globalité) ; trompes “grêles” à la cœlioscopie.
Des problèmes de fertilité (une femme sur trois) et des complications obstétricales :
→ risque d’insuffisance ovarienne précoce (données non confirmées à ce jour) ;
→ anomalies de la glaire cervicale rendant la pénétration des spermatozoïdes difficile ;
→ grossesse extra-utérine : le risque est multiplié par un facteur allant de 5 à 10 par rapport à la population générale ;
→ fausses couches précoces au premier trimestre, légèrement plus fréquentes que dans la population générale ;
→ fausses couches tardives à 15-24 semaines d’aménorrhée, caractéristiques chez ces patientes (risque multiplié par facteur 10) ;
→ accouchements prématurés.
À noter : 84 % d’accouchements à terme dans la population générale contre 50 % chez les femmes exposées. Ce chiffre tombe à 33 % chez les femmes présentant une anomalie morphologique de l’appareil génital.
Il faut penser à une exposition in utero à l’interrogatoire chez toute femme née avant 1977, dans un contexte de troubles de la fertilité, d’antécédents de fausses couches à répétition ou de grossesse extra-utérine. Un examen clinique révélant des lésions caractéristiques du vagin et/ou du col de l’utérus ou une hystérographie montrant un utérus en T ou une hypoplasie doivent bien entendu éveiller les soupçons. Il faut aussi prendre en compte les antécédents maternels de fausse couche. Une exposition doit être recherchée de façon systématique dans le cadre d’un bilan de fertilité, de grossesse extra-utérine, d’avortements à répétition du 1er trimestre ou surtout du 2e trimestre, et d’accouchement prématuré.
Même en l’absence de tout symptôme, une consultation chez un gynécologue est indispensable chaque année et doit comporter :
→ un examen gynécologique à la recherche d’anomalies du vagin et de l’utérus,
→ des frottis du vagin et du col,
→ une colposcopie en fonction des résultats du frottis.
Des pertes de sang inexpliquées entre les règles doivent faire rapidement pratiquer un examen gynécologique pour éliminer une complication. Des consultations gynécologiques spécialisées existent notamment à Grenoble, Paris et Strasbourg.
Le bilan de fertilité doit comporter un test de Hühner, pour juger de la qualité de la glaire cervicale, et une hystérographie pour dépister une anomalie de la cavité utérine et des trompes. Enfin, une échographie, si possible couplée à un doppler, doit être pratiquée pour évaluer les indices de pulsatilité des artères utérines, et donc les possibilités d’implantation de l’embryon.
→ Toute grossesse chez une jeune femme exposée in utero au DES doit être considérée, a priori, comme une grossesse à risque. Il convient de vérifier la situation intra-utérine de l’œuf et d’effectuer une surveillance bimensuelle du col.
→ Les mesures préventives précoces sont le repos, la réduction d’activité, l’arrêt de travail, le suivi à domicile par une sage-femme. Une hospitalisation peut être envisagée.
→ Le risque de prématurité est du même ordre de grandeur qu’en cas de grossesse gémellaire. Un repos précoce est en général recommandé. Un cerclage du col utérin peut être indiqué.
En 2011, les résultats d’une enquête menée auprès des gynécologues par l’Afssaps (Agence française de sécurité sanitaire et des produits de santé) montre que seule la moitié d’entre eux connaît précisément l’ensemble des conséquences de l’exposition au DES. Et 40 % d’entre eux souhaitent la mise en place d’une nouvelle campagne d’information… La mémoire de ce syndrome semble se perdre. C’est pourquoi, après des courriers adressés aux médecins en 1998 et 2002, l’Afssaps a décidé l’année dernière d’informer à nouveau les personnes exposées et les professionnels de santé sur les modalités de dépistage et de prise en charge.
• ANSM (Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé, anciennement Afssaps) : www.ansm.sante.fr
• Réseau DES : www.des-france.org
• Le portail des maladies rares et des médicaments orphelins : www.orphanet.fr.