L'infirmière Libérale Magazine n° 288 du 01/01/2013

 

Joanna Fabry, mandataire judiciaire à la protection des majeurs déléguée à la tutelle/curatelle

La vie des autres

Diplomate et rigoureuse, Joanna Fabry exerce sa fonction auprès de personnes en grande difficulté pour gérer leur budget. Sa mission, passionnante, se trouve à mi-chemin entre la gestion du patrimoine, l’économie sociale et l’action éducative.

« Bonjour Mme Verrechia, comment allez-vous ? » Joanna Fabry, mandataire judiciaire déléguée à la tutelle pénètre dans un trois pièces du Ve arrondissement parisien dont le double salon est en travaux, murs dénudés de leur tapisserie et toutes fenêtres ouvertes malgré la fraîcheur de la température extérieure. Joanna trouve la vieille dame, placée sous curatelle renforcée depuis 2008, en très petite forme : « Je n’en peux plus de me sentir mal dans ma peau, je fais une dépression, je veux aller à l’hôpital », se plaint-elle.

Aider à gérer un budget

Joanna Fabry travaille depuis trois ans auprès de l’antenne Paris Sud de l’ATFPO (Association tutélaire de la fédération protestante des œuvres). Sa mission : aider les personnes en grande difficulté à gérer leur budget. « Nous travaillons essentiellement avec des personnes âgées et des individus présentant des pathologies psychiatriques », résume-t-elle. La fonction est à mi-chemin entre la gestion de patrimoine, l’économie sociale et familiale et l’action éducative. Comme chacune des cinq déléguées de l’association, elle suit simultanément soixante personnes placées sous tutelle – mesure de représentation dans laquelle le tuteur agit à la place de la personne protégée, en accord avec le juge – ou curatelle –  dispositif judiciaire d’assistance dans lequel les décisions sont prises avec la personne, il est dit “renforcé” lorsque le curateur perçoit les ressources et réalise les dépenses pour la personne protégée.

« Il n’y a jamais de routine dans ce métier. C’est mon premier emploi, mais j’imagine volontiers l’exercer durant toute ma vie professionnelle », confie Joanna. De retour de chez Mme Verrechia, elle tente de récupérer par téléphone un extrait d’acte de naissance en Côte d’Ivoire pour une majeure protégée qui fait une demande de nationalité française… Tout à l’heure, elle rappellera l’infirmière à domicile et le médecin de Mme Verrechia pour avoir leur sentiment sur son état d’esprit et de santé. « Dans notre mission, il est très important de rester en lien avec tous les intervenants à domicile, de vérifier aussi que les interventions ont bien lieu, précise-t-elle. Il est déjà arrivé qu’une personne soit hospitalisée sans que j’en sois informée. »

Joanna travaille surtout à gérer le budget des personnes placées sous sa protection, vérifier que les ressources entrent régulièrement sur le compte, payer les factures pour les personnes sous tutelle, s’assurer que leurs droits sociaux sont respectés, réaliser les démarches administratives, juridiques, fiscales, immobilières que la personne ne peut conduire… « On apprend tous les jours avec ce métier, souligne Joanna. Et puis il y a une dimension humaine importante : on s’attache beaucoup. »

Si l’action des déléguées à la tutelle est vaste, elle est également bien encadrée, par la loi et l’organisation interne de l’association.

Des dossiers partagés

Ainsi, chacune des actions que Joanna accomplit avec ou pour une personne protégée est compilée dans un dossier informatique, tenu à jour quotidiennement, de même que la comptabilité de chacune des personnes protégées. « Nos dossiers sont partagés, cela permet à notre binôme d’être informé de chaque dépense, ou de l’état physique et moral de la personne », résume-t-elle. Car chaque mandataire peut se reposer sur un collègue en cas d’absence. En outre, le système permet à la responsable du service de consulter à tout moment les dossiers. « Tous les deux mois, je fais aussi le point sur chacun de mes suivis avec ma responsable », explique Joanna.

L’organisation du travail des déléguées est également très encadrée. Chaque année, Joanna doit se rendre à deux reprises au domicile de chaque personne suivie. Par ailleurs, deux demi-journées par semaine sont consacrées à l’accueil sur rendez-vous des personnes suivies et deux autres demi-journées sont dédiées à la permanence téléphonique. Le reste du temps est consacré aux démarches à effectuer pour les majeurs protégés.

En fin de journée, Joanna Fabry a finalement pu joindre le médecin et l’infirmière de Josette Verrechia. Elle n’est qu’à demi rassurée : « L’aide à domicile et l’infirmière libérale ont été remplacées, ce qui pourrait expliquer la détresse que ressent cette dame. Mais son médecin dit que cette attitude est récurrente, qu’elle veut juste qu’on s’occupe d’elle, alors que moi je sens une réelle souffrance. Peut-être que je m’inquiète trop… »

Elle dit de vous !

« Les infirmières libérales sont des interlocuteurs très fréquents qui nous aident à faire le point sur des situations. Ce sont souvent les professionnelles qui connaissent le mieux la personne parce qu’elles passent régulièrement au domicile. Elles nous alertent quand la personne ne va pas bien, nous indiquent s’il y a besoin d’un aménagement spécifique du domicile – pour éviter les chutes par exemple mais aussi des soucis domestiques parfois plus basiques, comme une panne d’eau chaude – ou encore s’il faut renforcer l’aide à domicile, voire penser à l’entrée en institution… Elles sont souvent bien plus impliquées que les médecins, même si ce sont eux qui doivent prendre les décisions importantes, comme faire entrer la personne en institution. »

MODALITÉS

Une activité récemment réformée par la loi

Depuis une réforme entrée en vigueur le 1er janvier 2009 (loi du 5 mars 2007), les déléguées à la tutelle/curatelle doivent valider un Certificat national de compétences des mandataires judiciaires à la protection des majeurs. Pour la fonction de mandataire judiciaire délégué à la tutelle/curatelle, trois années d’études sont exigées, dans le secteur du droit ou du travail social. La rédaction d’un document individuel de protection avec chaque majeur protégé fixant les objectifs et la nature de la mesure de protection dans le respect des principes déontologiques et éthiques, des recommandations de bonnes pratiques professionnelles et du projet de service est obligatoire. D’une durée maximale de cinq ans, la mesure de protection peut être renouvelée sur décision du juge. Enfin, un compte rendu sera annuellement rédigé à l’intention de l’autorité judiciaire pour chaque majeur protégé.