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MOBILISATION → Les quelque 130 infirmières libérales de Polynésie française et la cinquantaine de remplaçantes que compte l’archipel tirent le signal d’alarme. D’autorité, la Caisse de prévoyance sociale vient, en effet, de décider d’une nouvelle baisse du tarif des actes.
Pétitions, manifestations, rencontres avec les pouvoirs publics… Depuis novembre dernier, les quelque 180 infirmières libérales de Polynésie française se mobilisent pour tenter d’infléchir la baisse annoncée de 5 % de leurs actes. Une disposition prise par les trois régimes de la Caisse de prévoyance sociale (CPS) en 2012 – instances au sein desquelles ne siège aucun représentant de la profession – et qui doit entrer en vigueur ce mois-ci. Le président du Syndicat des infirmiers libéraux de Polynésie française (SILPF), Jérôme Fernandez, ne décolère pas : « En 2010, nous avions déjà consenti à une baisse de 3 % du tarif de nos actes pour participer à l’effort nécessaire qui visait à rétablir l’équilibre du budget de l’Assurance maladie. Cette baisse devait être ponctuelle. En contrepartie, nous demandions que des réformes structurelles soient réalisées pour rétablir le cap de manière pérenne. Or, non seulement rien n’a été fait mais, de surcroît, on nous oblige aujourd’hui, comme nos collègues kinésithérapeutes, à avaler une nouvelle baisse de 5 %. Et, dans le même temps, les médecins généralistes voient leur enveloppe maintenue et celle des sages-femmes augmentée de plus de 2 %. C’est inacceptable ! »
Confrontée à de sérieuses difficultés économiques, la Polynésie française a vu son inflation galoper de près de 18 % en dix ans.
Ce à quoi s’ajoute une flambée record des prix et des charges sociales depuis 1995 ainsi qu’une hausse importante du chômage ces dernières années. Le financement de la Caisse maladie étant, à 75 %, assuré par les cotisations sociales, son déséquilibre ne fait que grandir. « En quinze ans, nos cotisations sociales ont grimpé de 954 %, le prix du litre de gasoil de 224 % et celui du sans plomb de 156 %. C’est vertigineux ! », s’alarme ainsi Jérôme Fernandez.
Établi à Nuku Hiva depuis trois ans, ville principale des îles Marquises, Laurent Barucchi s’inquiète également. « Actuellement, notre file active est d’environ 135 patients. Parmi eux, 80 nous “coûtent” de l’argent. Si, jusqu’à maintenant, nous n’avons jamais rechigné à faire les soins parce que l’on parvenait à amortir le manque à gagner grâce à une organisation serrée, là, on commence vraiment à s’interroger », dit-il. Et d’ajouter : « Mais que vont devenir nos patients si nous sommes contraints de mettre la clé sous la porte ? Car, en plus des soins, nous faisons aussi office d’hospitalisation à domicile puisque de tels dispositifs n’existent pas. Il n’y a pas non plus de médecin généraliste aux Marquises, et le seul infirmier fonctionnaire, qui est installé dans une autre vallée, ne se déplace pas à domicile. Quant à l’hôpital de Nuku Hiva, qui est un petit établissement, il ne sera pas en mesure d’assurer la prise en charge des patients si leur santé se dégrade faute de soins infirmiers. Résultat, les malades devront être envoyés à Papeete. D’ici, il faut plus d’une heure pour aller à l’aéroport et ensuite trois heures quinze de vol pour rejoindre Tahiti. Le coût financier sera faramineux, sans compter à terme l’impact sur la santé publique. C’est incohérent. »
Le tarif des actes n’est pas la seule baisse à laquelle doivent faire face les infirmières libérales de Polynésie. « Depuis 2009, nos indemnités kilométriques ont été divisées par neuf. Aujourd’hui, on perçoit à peine 8 centimes d’euro par kilomètre. Or, ici, les gens ne se déplacent pas, c’est à nous de le faire. L’an dernier, j’ai parcouru 33 000 kilomètres ! Et le coût de la vie est en moyenne de plus 40 % en Polynésie par rapport à celui de la métropole. Par exemple, en France, le prix de mon véhicule est de 9 000 euros ; ici, il est à plus de 18 500 euros », détaille Jérôme Fernandez. Du président de la Polynésie française aux administrateurs de la CPS, en passant par le représentant de l’État français, le président de l’Assemblée polynésienne et les élus locaux, les infirmiers libéraux font feu de tout bois pour alerter sur leur situation. Mais si le mouvement a le sentiment d’être écouté, il n’est pas pour autant entendu. « Notre pétition a été signée par plus de 12 000 Polynésiens en quelques jours, mais personne ne bouge au niveau du gouvernement ou de la Caisse de prévoyance. Nous avons aussi pris contact avec les syndicats libéraux de métropole et n’avons à ce jour reçu aucune réponse, pas même une marque de soutien. Seul l’un d’entre eux nous a demandé de lui envoyer de la documentation… », déplore le président du SILPF. Le moment est critique pourtant, insiste Jérôme Fernandez. « Si on ne parvient pas à trouver un accord dans les prochains jours pour signer l’avenant, notre convention deviendra caduque. S’appliquera alors une convention individuelle au tarif d’autorité, à savoir moins 40 % du tarif actuel. Bref, le moindre des actes nous coûtera de l’argent », explique-t-il. Sans compter que la nomenclature générale des actes professionnels n’a pas été révisée depuis 2003. « De fait, nous ne pouvons profiter de toutes les récentes revalorisations professionnelles », précise-t-il.
Quant aux autres professionnels libéraux de l’Archipel, ils ne semblent pas très prompts à soutenir les infirmières libérales. « Cela fait des années qu’on demande une révision des coefficients afin que nous soyons tous au même niveau. Nous, on préconise un coefficient de 1,4 pour tous les libéraux. Ce qui est cohérent par rapport à la cherté du niveau de vie ici, mais, évidemment, ils ne veulent pas en entendre parler. Les dentistes ont un coefficient de 2,27, les médecins spécialistes à 1,9, les kinés à 1,72 tandis que le nôtre plafonne à 1,23 et qu’il pourrait encore chuter sous la barre des 1,2 ! », tempête Jérôme Fernandez. En outre, le régime de solidarité de Polynésie française (l’équivalent de la CMU), qui dépend à 100 % de la collectivité territoriale, n’est plus approvisionné régulièrement. De fait, de nombreuses Idels dont la patientèle est composée majoritairement de bénéficiaires de ce régime attendent des mois avant d’être payées. « C’est juste un scandale ! », lance le président du SLIPF. Et de conclure : « Il faut mettre à bas quelques clichés. La Polynésie, ce ne sont pas les vahinés, les cocotiers et la mer turquoise. Au quotidien, j’exerce mon métier dans un environnement qui ressemble davantage aux favelas de Rio qu’à celui des cartes postales. » Pour l’heure, la situation semble bloquée, mais la menace de la mise en place du tarif d’autorité joue contre la mobilisation infirmière et elle pourrait bien, au final, avoir raison d’elle. À suivre…
Les Idels de Polynésie ne sont pas obligées d’avoir un cabinet, mais cette dérogation prendra fin le 1er janvier 2014. « Si nous ne parvenons pas à renégocier son prolongement, 2014 sera pire que 2013. En plus, cette disposition n’a pas de sens ici, car les gens ne veulent ou ne peuvent se déplacer », explique Jérôme Fernandez. Par ailleurs, à Papeete, où le prix de l’immobilier est très élevé, un pas-de-porte avoisine les 30 000 euros. Par ailleurs, les professionnels libéraux, en plus des impôts sur le revenu dont ils ne sont pas exonérés, doivent s’acquitter d’une patente de 400 euros par an. Un tarif multiplié par dix lorsqu’ils disposent d’un local, et ce, qu’ils exercent seuls ou en groupe. « On peut considérer, estime le président du SILPF, que cette charge supplémentaire sera d’environ 15 % et, plus grave encore, pronostiquer que 50 % des infirmières libérales ne pourront pas tenir. »